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Grand oral religieux pour la Maison Blanche

Publié le 20 août 2008 par Savatier

Pourrait-on imaginer voir, en France, les deux finalistes d’une élection présidentielle passer au confessionnal médiatique, interrogés par un archevêque dans une cathédrale comble ? Cette image donne la mesure de la distance qui sépare les Etats-Unis de notre pays. 

Le 16 août dernier, Barack Obama et John McCain, répondant à une invitation du télévangéliste Rick Warren, ont dû faire face à un feu roulant de questions devant un parterre de 2200 fidèles évangéliques attentifs, dans le cadre d’un « forum religieux » diffusé sur trois chaines câblées, dont CNN.

Cette première dans l’histoire politique des USA, qui eut probablement scandalisé Thomas Jefferson, farouche partisan de la séparation de l’Eglise et de l’Etat inscrite dans la Constitution, est significative des changements opérés dans la société américaine depuis une vingtaine d’années. Il ne s’agissait pas d’un débat. Comme dans un jeu télévisé, l’un des candidats (Barack Obama) devait répondre aux questions du pasteur-présentateur pendant que son concurrent attendait dans une pièce insonorisée voisine avant de se soumettre au même questionnaire. Aujourd’hui, ce mode d’organisation fait polémique, la presse laissant entendre que McCain, encore dans le cortège qui le conduisait à l’église Saddleback de Lake Forest (Californie) lors de l’audition d’Obama, aurait pu entendre les questions posées et les réponses de son adversaire…

Le choix de Rick Warren était plutôt judicieux. Jouissant d’une grande influence au sein de la communauté évangélique (dont 25% des électeurs américains se réclament), le personnage, hautement médiatique, se démarque des positions extrémistes de Pat Robertson (télévangéliste pour lequel Mahomet serait un « bandit de grands chemins »  et le coma d’Ariel Sharon une « punition divine » pour avoir cédé un territoire aux Palestiniens). Il n’a pas défrayé la chronique pour des scandales sexuels comme Jimmy Swaggart, Jim Bakker et plus récemment Ted Haggard qui exhortaient pourtant leurs fidèles à la chasteté et à la fidélité. Il ne fonde pas non plus son succès sur une théologie mortifère de la peur, prophétisant l’Apocalypse pour demain et souhaitant une attaque contre l’Iran comme John Haggee. Sa comptabilité et les origines de sa fortune personnelle ne sont pas examinées à la loupe par la Commission des finances de Sénat de Washington comme celles de Kenneth Copland, Benny Hinn (faiseur de miracles à la chaîne controversés), Creflo Dollar (le « prédicateur à la Rolls ») ou Paula White. Si Warren soulève quelques débats dans l’arène évangélique, c’est surtout, semble-t-il, pour ses approches théologiques qui, bien que conservatrices, se veulent pragmatiques et non conventionnelles.

Pas de questions politique ou économique
Les questions posées aux deux candidats ne touchaient ni l’économie, ni la crise de l’énergie, ni la politique internationale, ni la situation de l’Irak, ni la question iranienne. Toutes visaient à tester leur fibre religieuse et morale… Il est vrai que, si les fondamentalistes chrétiens, adeptes du conformisme de masse, avaient fait bloc (80%) derrière Georges W. Bush aux dernières élections présidentielles, seuls 67% pensent aujourd’hui voter pour McCain dont la personnalité ne convient pas à leur idéal rigoriste (divorcé, il a récemment pris ses distances avec John Haggee qui l’avait soutenu officiellement et traité Pat Robertson « d’agent de l’intolérance »). Chacun se devait donc de tenter de séduire les indécis sur leur registre et leur terrain.

L’un et l’autre ont donc affirmé en préambule leur foi dans le Christ et la rédemption. Mc Cain s’est prononcé clairement contre l’IVG et le mariage homosexuel, alors que Barack Obama a apporté une réponse plus nuancée, en insistant sur les dimensions humaines de ces sujets, provoquant le silence consterné d’une assistance qui l’a toutefois applaudi pour ses multiples citations bibliques.

Tous deux ont déclaré penser que le Mal (avec une majuscule significative) existe et qu’il doit être vaincu. Pour McCain, sans surprise, il a pris la forme de l’extrémisme musulman, pour Obama, il s’exercerait plutôt au Darfour. Voilà qui m’a fait penser à cette citation d’Hannah Arendt, distanciée par rapport à la religion, qui suggérerait volontiers que l’enfer est pavé de bonnes intentions :

« Le mal radical existe, mais pas le bien radical. Le mal radical naît toujours lorsqu’on espère le bien radical. Il ne peut y avoir de bien et de mal qu’entre des hommes qui ont des relations entre eux ; la ʺradicalitéʺ détruit la relativité et de ce fait les relations elles-mêmes. Le mal radical est toute chose qui est voulue indépendamment des hommes et des relations qui existent entre eux. »

Restant sur des sujets convenus et assez consensuels, le pasteur n’a posé aucune question sur le Diable (92% des évangéliques disent y croire, selon une étude de Harris Interactive) ni le créationnisme (60% d’entre eux partagent cette conviction). En revanche, les spectateurs ont pu assister à une de ces belles séances de confession qui, si elles rappelles singulièrement les autocritiques des années les plus sombres du Communisme ou les jeux de téléréalité, n’en connaissent pas moins un succès très populaire auprès des Américains (on se souvient des excuses de Marion Jones pour dopage ou de celles de Jimmy Swaggart, tout aussi larmoyantes, pour avoir fréquenté des prostituées). Mortification publique et contrition font plus que jamais recette outre-Atlantique. Le candidat républicain a ainsi dit regretter l’échec de son premier mariage, son concurrent démocrate a avoué avoir usé, dans sa jeunesse, d’alcool et de stupéfiants, fustigeant au passage son « égoïsme » et son « inaptitude à s’identifier aux autres »…

Pour tenter de comprendre ce curieux pays où les problèmes les plus brûlants de l’actualité et les programmes électoraux semblent moins importants que les questions de religion et de vie privée des candidats, un ouvrage de Sébastien Fath, historien et chercheur au CNRS, apporte quelques éclairages intéressants : Dieu bénisse l’Amérique (Le Seuil, 288 pages, 17€). Publié en 2004, donc avec un certain recul par rapport au 11 septembre, cet essai analyse dans une perspective historique les relations complexes et parfois inquiétantes entre patriotisme, religions et cercles de pouvoir aux Etats-Unis. Il présente le concept – difficile à assimiler pour les Français empreints de laïcité – de « religion civile », explique le rôle messianique dont l’Amérique se croit investie ainsi que l’usage politique qui est fait de la religion. L’importance de la moralité est naturellement évoquée ; elle laisse au lecteur l’impression étrange d’un pays pris dans une sorte de schizophrénie, la moralité étant nettement plus focalisée sur la sexualité – à un point d’obsession – que sur les comportements financiers ou les préoccupations sociales, et les promoteurs de cette morale s’en affranchissant avec plus ou moins de cynisme et d’adresse.

Curieusement, en dépit de l’influence croissante des télévangélistes et de leurs empires médiatiques, véritables machines à convertir, l’auteur, dans sa conclusion, pressent une évolution guère plus rassurante, mais inattendue : « L’hypothèse centrale de cet essai postule le glissement de cette religion civile vers un nouveau stade, découplé des anciens ancrages chrétiens. Une phase inédite, encore incertaine, caractérisée par une substitution : de bras armé du messie chrétien, l’Oncle Sam devient le messie lui-même. L’utopie extra-mondaine du ʺRoyaumeʺ se sécularise sous la forme d’un modèle ʺprêt à consommerʺ, la société américaine actuelle, paradigme indispensable. »


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