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Fantasmes sur vidéos : Haïfa Wehbé

Publié le 24 août 2008 par Gonzo


On sait, au moins depuis la publication de L’Orientalisme d’Edward Saïd il y a bientôt quarante ans, combien l’Orient voluptueux peut suggérer de fantasmes… Mais quels sont les fantasmes des habitants de cet "Orient voluptueux" ?
Pour les femmes, le beau Mouhannad, l’acteur turc d’un feuilleton doublé en arabe qui fait fureur en ce moment, est certainement la dernière idole en date (voir ce billet). Et pour les hommes – c’est une généralisation bien entendu ! – il y a Haïfa. Parmi toute une gamme de chanteuses libanaises, dont l’image se diffuse principalement via les vidéoclips qui passent en boucle sur les chaînes satellitaires, Haïfa Wehbé est certainement la plus engagée… sur la voie d’un érotisme qui, comme partout, n’a jamais autant d’intérêt que lorsqu’il outrepasse - juste ce qu’il faut - les frontières de l’interdit.
En ces temps de très grand conflit entre jeunes et moins jeunes générations (plus de la moitié du monde arabe a moins de 24 ans, c’est une donnée qui donne à réfléchir…) et alors que les médias véhiculent toutes sortes de propositions qui oscillent entre, d’un côté, une évolution des mœurs selon laquelle les pays arabes reprendraient à leur compte les modèles sexuels diffusés par la globalisation et, de l’autre, des appels au plus extrême rigorisme moral, il va de soi que Haïfa Wehbé, en tant qu’icône sexuelle, focalise sur sa personne des enjeux de société, bien vite recouverts par toutes sortes d’oripeaux politiques !
Avec d’aussi nombreux admirateurs (et admiratrices tout de même !), il va de soi que la chanteuse enchaîne gala sur gala dans le monde arabe. Autant de visites qui déplacent les foules, et qui sont parfois également l’occasion de joutes politiques, en particulier lorsque tels ou tels partisans de l’islam politique se saisissent de l’occasion pour protester contre la venue du Mal incarné (pour les mâles) et, faute de pouvoir exiger l’interdiction des chaînes satellitaires (ou alors, ce serait vraiment la révolution car chacun y trouve son exutoire), exiger au moins celle de ses tours de chants.
Après l’Egypte et l’Algérie où les autorités – certainement pour l’amour de l’art et de la liberté d’expression – ont résisté aux pressions, c’est au Bahreïn, en mai dernier, que des voix se sont élevées pour protester contre la venue de la chanteuse, pourtant invitée dans le cadre de la fête des travailleurs. (Une idée dont il faut absolument s’inspirer pour la prochaine Fête de l’Huma !)
Au Parlement, les députés dits "islamistes", majoritaires depuis les élections de 2006, se sont réunis en urgence pour faire annuler le concert. Fort heureusement pour ses nombreux fans dont certains avaient prévu de venir du Koweït ou de l’Arabie saoudite, un compromis fort poli...tique a été trouvé : plutôt que les tenues provocantes mettant trop en valeur des appas qu’elle a par ailleurs généreux, la sulfureuse Haïfa a adopté lors de ce concert réservé "aux familles" une tenue plus modeste (محتشمة) qu’à l’habitude (voir illustration).
Et pour achever de clouer le bec à ses détracteurs, la vedette a eu recours à une de ses stratégies les plus efficaces en oubliant un temps son personnage de femme fatale pour adopter celui de la mère compatissante en profitant de son séjour à Manama pour visiter une institution pour enfants handicapés ! Une stratégie quasi perverse – au sens banal du terme bien entendu – qui a fait la fortune de son plus grand succès, "Boss al-wawa", soit "Bisou sur le bobo" qui, comme bien des succès populaires, peut supporter plusieurs lectures. (En suivant ce lien (malheureusement un peu lent) les lecteurs non-arabophones auront accès, via la traduction anglaise, aux subtilités sémantiques de ce grand moment d’érotisme populaire arabe).
Pour achever ce billet de fin d’été, la vidéo d’un des clips les plus osés paraît-il de Haïfa Wehbé qu’il vous est suggéré de visionner... pour mieux apprécier bien entendu la traduction que j’ai essayé de faire d’un excellent article publié tout récemment par Ahmad Moghrabi dans le quotidien libanais Al-Safir. (Pour ne pas être trop long, je n’ai pas gardé la seconde partie où l’auteur explique comment l’exotisme de ces vidéos est devenue un ingrédient nécessaire pour une culture qui, dans cette phase d’islamisation, tient désormais à l’écart une sexualité naguère plus présente dans l’espace public.)
Fantasmes en clips vidéos.
Le corps de Haïfa Wehbé remplit la totalité de l’espace visuel du clip Ne dis rien à personne, comme autant de mots explosant sur une page blanche où les hommes ne seraient même pas de petites virgules (1), qu’il s’agisse du réalisateur de la vidéo ou de ses spectateurs virtuels ! Leur présence fugace se limite à admirer ce corps qui se livre à mille agaceries. Ils ont l’air totalement possédés par la belle, même quand ils s’entraident pour la porter dans leurs bras, sans qu’un seul d’entre eux puisse se vanter de poser vraiment la main sur elle, sans parler de la posséder. Il n’y a rien d’autre que le corps de Haïfa, se livrant à sa propre célébration. La vidéo s’ouvre encore et encore sur lui (revêtu d’une tenue aux allures de maillot de bain) et se referme sur lui de même, dans la scène [où elle danse dans] un verre, tirée d’un répertoire bien connu qui détermine comment la caméra filme le corps féminin et en fait une marchandise stéréotypée.
Pour ne rien changer aux habitudes là non plus, la vidéo a suscité maintes réactions. On n’a pas tardé à lancer à son propos les qualificatifs habituels dès qu’il s’agit de parler de ces vidéos et de ce qu’elles disent de la femme et du sexe aujourd’hui, en particulier dans le monde arabe. On peut malgré tout remarquer que ce type de critique tend à diminuer, et que le clip de Haïfa Wehbé a tout de même recueilli quelques éloges, ce qui n’était pas arrivé si souvent jusque-là !
Il ne faudrait pas en déduire pour autant que l’imaginaire projeté au Liban et dans le monde arabe sur Haïfa Wehbé a réellement changé. Celle-ci reste un sujet toujours aussi "polémique" pour utiliser un mot bien faible, un sujet qui fait naître des pensées, des fantasmes, dont il n’est pas difficile de deviner la nature en entendant les termes utilisés lors des discussions sur ses prestations, ou celles des artistes qui se produisent sur les vidéos de ce type. Pourquoi cela ? Peut-on affirmer à leur sujet qu’elles ne font rien d’autre que de jouer sur le corps féminin et sur sa nudité ? Ce qui est en jeu en réalité, est-ce que ce n’est pas le regard des spectateurs de ces vidéos, ou plus exactement la culture qui, elle-même, façonne ces regards ?
Il suffit à ce sujet de rappeler ce qui s’est passé il y a quelques mois au Bahreïn où Haïfa devait se rendre pour une soirée. La classe politique s’est brusquement agitée, des cris se sont élevés pour veiller jalousement à la préservation "des bonnes mœurs et de la religion". Juste parce que Haïfa devait monter sur une scène ! Une solution ayant été trouvée, le soleil a pu briller de nouveau et la chanteuse donner son tour de chant à Bahreïn, à condition de "dérober" son corps aux regards en l’entourant de toutes sortes de tissus honnêtes ! Les valeurs, les traditions, les coutumes établies depuis la nuit des temps ont donc échappé ainsi à la "menace" que faisait peser sur elles le corps d’une Haïfa désormais comme entravée par l’imaginaire des ces vidéos si suggestives exploitant visuellement les fantasmes sexuels. Que valent-elles donc, ces valeurs et ces traditions si un corps provocant suffit à les menacer de disparition ? En quels termes peut-on décrire cette pitrerie qu’est devenue la culture arabe aujourd’hui ? On voudrait pouvoir en rire !
Admettons que l’importance de ces hautes « valeurs » morales tient à ce qu’elles nous permettent de nous protéger : seraient-elles si illusoires, si fragiles, qu’elles ne puissent se défendre, et qu’elles cessent de jouer leur rôle ? Mieux : qu’il suffise de quelques couches de tissu vaporeux pour qu’elles se sentent plus assurées ? Et que quelques vidéos, où manque un peu trop de tissu, suffisent à donner au corps de Haïfa Wehbé – par ailleurs l’exemple par excellence de l’exploitation commerciale outrancière des fantasmes par la télévision – un pouvoir capable de susciter toutes sortes de fantaisies sexuelles par sa seule présence ?
Tout cela est fort révélateur des zones d’ombre qui entourent les questions sexuelles dans la culture arabe (sans parler de ce que l’on peut en déduire sur la place prise par la télévision dans les médias). On parle beaucoup de la nudité de ces interprètes des clips arabes : est-ce vraiment cette nudité qui fait problème ou bien son contexte ? Celui-ci met en évidence une réelle obsession vis-à-vis du sexe, obsession sur laquelle surfent les réalisateurs de ces vidéos, les interprètes en quête de célébrité qui se gagne en allant toujours plus loin dans le commerce du corps ou encore le public qui caractérise cette phase particulièrement critique de notre culture.
(1) Fawâsil dans le texte original. Je ne résiste pas au plaisir de rappeler que le mot virgule, à l’origine, signifie « petite verge !

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LES COMMENTAIRES (1)

Par nassim
posté le 27 novembre à 19:21
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