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70's : Power to the digital people !

Publié le 27 août 2008 par Olivier Roumieux

People's Computer CompanyLes nouvelles générations l'ont peut-être oublié, mais le micro-ordinateur, tout du moins sa version américaine, est une création autant politique que technologique. Avant que les grandes compagnies et le capitalisme ne les récupèrent en même temps que leur créateurs, leur mission était de redonner du pouvoir numérique au peuple. Dès 1987, Philippe Breton se penchait sur cet épisode fondateur de la micro-informatique dans son ouvrage Une histoire de l'informatique.

Début de citation
Le micro-ordinateur est né d'un projet social formulé au début des années soixante-dix par un groupe radical américain, qui avait surtout comme souci la démocratisation de l'accès à l'information, plutôt qu'un désir d'innovation technique.

une compagnie d'ordinateurs pour le peuple


Toute l'affaire semble avoir commencé en 1970 à l'université de Berkeley, en Californie, en plein milieu de la crise du Cambodge où plusieurs groupes d'étudiants férus d'informatique et de programmation, mais aussi constituant un des fers de lance du mouvement contre la guerre du Viêt-nam, décidèrent de mettre leurs connaissances techniques au service de leur cause politique. Deux ans plus tard, la revue radicale People's Computer Company annonçait que « les ordinateurs étaient principalement utilisés contre le peuple au lieu de le libérer ». L'article concluait : « Il est temps de changer tout cela, nous avons besoin d'une compagnie d'ordinateurs pour le peuple. »
Il n'était évidemment pas encore question de micro-ordinateurs : une première réalisation de ce projet politique sera Resource One, une sorte de communauté informatique installée dans un local d'artistes de la banlieue industrielle de San Francisco et organisée autour d'un IBM XDS-940, machine légèrement obsolète pour l'époque. Une « base de données urbaines », accessible à tous, collectait toutes les informations utiles aux activités communautaires de la région.

démocratie directe en matière d'information


Un second projet vit rapidement le jour en août 1973, Community Memory (« Mémoire communautaire »), utilisant cette fois-ci un réseau de terminaux dispersés dans toute la région. L'objectif était toujours « une démocratie directe en matière d'information ». Le système fonctionnait sans contrôle central sur les informations que chacun pouvait introduire ou lire à son gré. Community Memory était présentée comme une alternative à l'usage dominant des médias électroniques qui provoquaient la passivité des usagers. Les radicaux californiens retrouvèrent, peut-être sans le savoir, les accents exacts des critiques que Norbert Wiener formulait trois décennies plus tôt, lorsqu'il dénonçait les systèmes programmés où l'information remontait et ne redescendait jamais et où tous les actes de l'homme étaient prévisibles. La lutte de ces jeunes radicaux était donc bien dans l'esprit des débuts de la cybernétique, une lutte contre l'entropie que le système politique américain semblait générer. L'un de leurs objectifs était de lutter concrètement contre la politique du secret en matière d'information, ce qui était également l'un des piliers de la pensée de Wiener.

une société de communication transparente et pacifique


La démocratie américaine voyait s'enfoncer de plus en plus en son sein un coin constitué par le poids croissant de la défense nationale. Le secret qui entourait tout ce qui touchait aux activités militaires s'étendait chaque jour davantage et menaçait à terme les valeurs fondamentales de l'Amérique. Dans un pays où le respect de la vie privée était sacré et où l'institution – fréquente en Europe et dans les pays totalitaires – des « documents d'identité » restait inconnue, un service comme la NSA – National Security Agence – pouvait, au nom des intérêts de de la défense, posséder secrètement, et en dehors de tout contrôle démocratique, la plus grande base de données probablement jamais réalisée sur la vie privée de millions de citoyens. A la dernière guerre mondiale avait succédé la guerre froide, la guerre de Corée, puis celle du Viêt-nam, où l'ordinateur avait systématiquement été utilisé dans un contexte d'opacité maximale. Ce que la lutte contre le nazisme avait légitimé ne paraissait plus être valable dans le contexte extérieur d'une guerre d'origine coloniale. Tout cela, pour beaucoup d'Américains, semblait contraire à la nature même de cette technologie qui devait permettre, comme Wiener l'avait souhaité, l'avènement d'une société de communication, transparente et pacifique.
Évidemment, les tentatives de la « mémoire communautaire » constituait un faible moyen pour réaliser un tel projet. Le « peuple », on s'en doute bien, n'était pas le principal consommateur de ce système d' « information à accès libre ». De plus il y avait quelque chose de paradoxal à vouloir lutter contre IBM – pour ce que représentait cette compagnie – avec... des ordinateurs IBM dont l'architecture était conçue dans un esprit centralisateur.

Kentucky Fried Computer


La solution à ce problème fut en quelque sorte trouvée en 1975 à Albuquerque, Californie, où fut mis au point l'Altaïr, premier véritable micro-ordinateur commercialisé. Plusieurs groupes réfléchissaient alors à la possibilité de créer une technologie alternative, avec des moyens simples. Ces groupes avaient pris des noms en résonance avec l'esprit frondeur de l'époque : Loving Grace Cybernetics, IBM pour Itty-Bitty Machine Company, ou Kentucky Fried Computer, en référence à la chaîne de restauration rapide de poulet, et puis aussi Apple dont l'emblème rappelait aussi bien la compagnie de disques créé par les Beatles que les accents rustico-écologiques du mouvement contestataire de l'époque. Le premier logo d'Apple était formé par un blason d'un style assez vieillot représentant Newton sous un arbre d'où pendait... la fameuse pomme de la connaissance.
Le radicalisme de l'époque était en effet un mélange assez savoureux de gauchisme éventuellement marxiste, de bouddhisme zen, d'écologie « survivaliste », de musique rock et électronique, de science-fiction mâtinée de retour aux sources. Certaines communautés vivaient en Californie dans des campements à l'orée des villes, mangeant autour des feux de camps des plats végétariens – éventuellement garnis de champignons hallucinogènes – et conjuguant les attraits de la stéréophonie, de l'électronique et du retour à la nature. Ces hordes barbares – au demeurant très pacifiques – d'un nouveau genre partaient à la conquête du vieux monde pour lui imposer une culture égalitaire. Le micro-ordinateur naquit au sein de ce milieu, mais son succès dépassa immédiatement les espérances de départ. L'Apple II de Stephen Wozniac et Steven Jobs, conçu et construit au départ dans un garage, apporta rapidement la fortune à ses fondateurs. Une partie des bénéfices fut investie... dans le financement de deux gigantesques festivals rock, l'un en 1982, l'autre l'année suivante.

une personne, un ordinateur


Le micro-ordinateur avait trouvé rapidement des relais en dehors du mouvement contestataire. Le gouverneur de Californie, Jerry Brown, fut l'un des hommes qui encouragèrent la généralisation de l'usage de cette nouvelle informatique., à l'origine, disait-il, d'une « culture entièrement différente » où « l'information est l'égalisateur et met à bas la hiérarchie ». L'annonce du modèle suivant d'Apple, le Macintosh, s'accompagnera d'un slogan en continuité avec les origines de la micro-informatique et affirmant sa vocation universelle : « Le principe de la démocratie tel qu'il s'applique à la technologie est : une personne, un ordinateur. »
Le micro-ordinateur trouvera ses véritables lettres de noblesse quand les grandes compagnies, et pour finir IBM elle-même – qui attendra tout de même 1981 pour lancer son Personal Computer -, se lanceront à leur tour à l'assaut du marché de l' « informatique conviviale ».

Fin de citation

Miracle du Web, on peut désormais lire en ligne la fameuse revue People's Computer Company, tout du moins quelques-uns de ses numéros !
http://www.digibarn.com/collections/newsletters/peoples-computer/index.html
On apprend à l'occasion que Bob Albrecht, l'un de ses fondateurs, fut pendant longtemps un ardent partisan du langage Basic, meilleur moyen selon lui pour les masses de reprendre le pouvoir face aux informaticiens qui codaient alors en Fortran, langage considéré par beaucoup comme relativement ésotérique.
Dire qu'à quatorze ans, lorsque je faisais mon premier « Hello World » Basic, je participais à la Révolution de l'informatique pour les masses... Trop cool !


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