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Aventure littéraire métropolitaine - suite

Publié le 28 août 2008 par Magda

Tout à l’heure, je prenais le métro et comme d’habitude, je m’attendais à une nouvelle aventure littéraire. Je commence à avoir l’habitude. Que je lève le nez pour constater que tout le monde bouquine comme moi - serais-je victime d’un complot littéraire? Suis-je l’héroïne d’un roman d’espionnage? - ou que je lorgne sur le magazine de mon voisin, bref, tout peut arriver.

Magda, épuisée, cernée, mi-glacée mi-chauffée et empêtrée dans une veste en fourrure de lapin (j’en rajoute un peu), s’écroule sans grâce sur un siège du métropolitain parisien après une journée bien remplie. Elle dégaine un livre fascinant, à la couverture morne tout droit sortie d’un épisode de Derrick, et l’ouvre là où gît un marque-pages-ticket-de-caisse-de-chez-Franprix (mentionnant évidemment un achat récent de Galak pour éviter la rupture de stock). Elle ouvre donc Le langage du cinéma et de la télévision de Bruno Toussaint, et le place bien à hauteur de ses yeux, pour ne se faire emmerder par personne. C’est un de ces moments vagues, entre chien et loup, pendant lesquels notre anti-héroïne pourrait envoyer le monde entier se faire rôtir les orteils chez le vieux Belzébuth.

“Ça te fait vraiment rêver, ce que tu lis?” Je lève les yeux, un peu étonnée quand même. Un grand type black, dreadlocks, T-shirt qui a fait la guerre et treillis fatigué, me regarde, mi-figue, mi-raisin.

“Comment ça?” est la seule réponse que votre chère lectrice si habituée à interviewer les autres a réussi à bafouiller.

“Ça te fait vraiment rêver, le cinéma?

Je vais pas répondre à un discours aussi con, me dis-je en mon for intérieur. Je tente de me replonger dans ma lecture, mais rien à faire, ça m’énerve. Je relève la tête et attaque :

Magda : C’est mon métier! Si ça ne me faisait pas rêver, je me tirerais une balle dans la tête.

(Cela manquait légèrement de diplomatie, je l’admets.)

Beautiful Black Boy : T’apprendras rien dans ton livre. Ferme-le et va faire des films, si ça te fait tellement rêver.

Magda (véhémente) : T’aime pas le cinéma, peut-être? Tu n’y vas jamais? Tu ne regardes jamais de films! Tu n’en télécharges jamais!

Beautiful Black Boy (autoritaire) : Non, pour moi, le cinéma c’est rien que de la propagande.

J’ai envie d’abandonner, tant je trouve cette discussion vaine. Mais il poursuit :

BBB : Ferme ton livre, il sert à rien. Fais des films.

M : Pour moi, ce livre, c’est une grammaire! Si tu veux faire un film, il faut bien apprendre la technique!

BBB : En Afrique, il y a un million de Charlie Parker* au mètre carré. Ils ont jamais appris quoi que ce soit.

M (un peu séduite quand même par cette phrase) : Ok. Mais ils ont des bases ryhtmiques, quand même. C’est comme dans le sport, tu t’entraînes!

BBB : Bon. Tu connais Bruno Dumont? T’aimes ce qu’il fait?

M (se la pète) : Je ne sais pas, je trouve qu’il récupère des esthétiques tout le temps…

BBB : Qui fait des trucs neufs en ce moment, à ton avis?

M : Lars von Trier… Mais ce n’est plus un jeune cinéaste…

BBB : Oui, mais il a fait ses films à l’arrache!

M : Oui, mais il a d’abord appris, puis il a déconstruit!

Le ton est monté, tout le wagon nous écoute avec un voyeurisme totalement assumé. Un jeune Japonais assis près de moi éteint son Ipod pour suivre la bataille. BBB se marre, secoue la tête, effaré par ma logique. Il tripote un Pod avec un stylet.

M : Par exemple, tu fais quoi, là?

BBB : Je joue aux échecs!

M : Pour jouer aux échecs, tu as bien dû apprendre les règles. Tu me parles des Africains… Prends Martin Luther King. Avant d’imposer sa vision aux Américains, il a appris les règles du système. En clair, si tu veux changer quelque chose, apprends les règles, puis bousille-les!

BBB : Ferme ton livre et fais des films, c’est tout!

M (au comble de l’exaspération) : Mais c’est ce que je fais!

Là, je l’ai perdu. Il farfouille dans un tas de vieux papiers cornés. Je me lève pour descendre à ma station. BBB me tend un papelard qui a dû passer six mois dans la poche arrière de son jean. Son visage est peu engageant, mais je prends le papier.

BBB : Viens dîner là quand tu veux, ok? C’est le resto de mon cousin. On t’invite.

Surprise, je m’arrête un instant. Et puis je souris, déplie le papier, le lit. Enfin, je sors en emportant l’adresse d’un boui-boui où m’attend une autre joute verbale sauce pimentée. Parce que si BBB prétend mépriser le livre… je vois bien, moi qu’il en a lu plus d’un.

*Charlie Parker, célèbre musicien de jazz américain, saxophoniste alto.

**Bruno Dumont, cinéaste français, auteur-réalisateur de “Flandres“, Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2006.

***Lars von Trier, cinéaste danois, auteur-réalisateur des Idiots et de Breaking the Waves, fondateur du courant cinématographique dit “Le dogme”.


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