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Le charlatan

Par Nanne

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Le maître des âmes - Irène Némirovski
   (Folio n°4477)

Nice, 1920. Dario Asfar, jeune médecin vit dans la grande précarité de l'époque. Lui qui avait cru acquérir l'honneur en France, ne récoltait que la honte et le mépris de ses origines, mélange d'italien, de grec et de levantin. "Il se haïssait de ressembler à tous ces marchands de tapis, de lorgnettes, de cartes postales obscènes qui trainaient déjà depuis la place Masséna jusqu'à la promenade des Anglais. Cette vie d'aventures, d'expédients, certes, c'était le lot de ceux qui lui avait été destiné dès l'enfance, comme à eux, à cette racaille levantine, ses frères. N'était-il donc en rien différent d'eux ? Comme il leur ressemblait par les traits du visage, par l'accent, par sa maigre échine, ses yeux brillants de loup".
Pour nourrir sa femme et son enfant, le docteur Asfar acceptera de procéder à un avortement clandestin sur la belle-fille de sa concierge russe - Elinor - une aventurière américaine. Malgré tout, l'argent tarde à arriver pour le docteur Asfar qui se morfond sur sa situation de métèque, d'étranger, de refoulé. Il est êrsuadé que son destin est
celui d'un vaurien, d'un charlatan. Le docteur Dario Asfar se croit maudit, comme ses ancêtres, condamné à vagabonder tel le Juif errant. En faisant appel à un ancien patient - Ange Martinelli - maître d'hôtel  dans un palace de la Côte d'Azur, le docteur Asfar se voit recommander une certaine clientèle qui paye mieux que ces exilés russes ou d'Europe Centrale échoués à Nice. Au lieu de l'éducation et du savoir, le docteur Asfar ne rencontrera en France que le mépris. "Oui, vous tous, qui me méprisez, riches Français, heureux Français, ce que je voulais, c'était votre culture, votre morale, vos vertus, tout ce qui est plus haut que moi, différent de moi, différent de la boue où je suis né !".
Mais la roue tournera et le docteur Asfar verra son avenir assuré lors de sa rencontre avec Philippe Wardes, richissime homme d'affaires. En le guérissant d'une pneumonie, le docteur Asfar sait désormais que sa réussite sociale dépendra de ce patient capricieux, vivant aux bords de la folie. Il comprend vite que pour gagner beaucoup d'argent, une seule solution : manipuler les âmes de personnes fragiles, les maintenir dans une dépendance permanente de sa méthode. Dévier la psychanalyse naissante. Oser devenir un imposteur pour une clientèle riche, bourrée de remords et cherchant à se déculpabiliser. "Ah ! si j'osais ... Ce qu'il leur faut, c'est un confesseur, c'est quelqu'un pour

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connaître leurs sales secrets, les écouter et les renvoyer avec un te absolvo, leur permettre surtout de s'assouvir sans remords ... Les doper ! Voici ce qu'il faut, pensa-t-il [...]".
Sa méthode innovante, sa hâblerie, le conduira ves les sommets de la société. Treize ans après ses débuts difficiles, le docteur Asfar est réputé. Il est en vogue, il coûte cher et ses patientes se l'arrachent. Il se grisera se cette réussite sociale, synonyme - pour lui - d'intégration. Il se saoûlera de son ascension sociale en dépensant de l'argent, beaucoup d'argent. Cette course effrénée à la recherche de la prospérité l'entraînera sur des chemins dangereux.
Initialement paru dans Gringoire sous la forme de feuilleton, "Le maître des âmes" d'Irène Némirovski aborde un sujet prédominant dans la France des années 1930 : celui de l'immigration d'Europe Centrale et Orientale, paria sur le
continent européen et - bientôt - dans le monde entier. Mais ce qui surprend surtout  dans ce roman, c'est le peu d'ampathie que l'auteur trouve à son personnage. Elle en fait un être veule, lâche, traître, se plaignant en permanence de la précarité de sa situation. Fort avec les faibles, veule avec les
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riches. Irène Némirovski ne trouve aucune excuse à ce misérable docteur Asfar. Il cumule toutes les tares sociales, même s'il est un médecin doué, psychologue et qui perçoit très vite les besoins de ses patients. Au fil de cette lecture du "Maître des âmes", on en vient à détester le docteur Asfar, à lui souhaiter le pire. Irène Némirovski nous dépeint une société mondaine mérisant et méprisable, qui fait et défait les fortunes et les carrières.


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