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Des chanteuses et des hommes (politiques) : "la dialectique des corps et des hommes influents"

Publié le 07 septembre 2008 par Gonzo

Bien que son titre puisse le donner à penser, ce billet n’a rien à voir avec la vie privée du président de la République française et de son épouse, la chanteuse Carla Bruni. Certes, on cherche dans les kiosques français des couvertures qui ne sont pas illustrées par la photo de l’une ou de l’autre (au point de faire étrangement ressembler la presse française aux journaux arabes qui ne sauraient déroger à l’actualité royale, princière ou présidentielle). Mais dans le monde arabe, et en Egypte tout particulièrement, c’est un autre homme politique, et une autre chanteuse, qui occupent toutes les conversations, au point de reléguer à l’arrière-plan les sacro-saints feuilletons de ramadan.
Il faut dire que ce feuilleton-là possède tous les ingrédients des pires scénarios de la trash télévision : sexe, argent, trahison, violence… et politique.
Un rapide rappel des faits est sans doute nécessaire. Fin juillet, le corps de Suzanne Tamim (سوزان تميم), une chanteuse libanaise qui a une vie sentimentale compliquée est découvert dans son appartement en haut d’une des tours de Dubaï, aux Emirats. Le 9 août, l’assassin présumé, un ancien policier égyptien, est arrêté. Quelques jours plus tard, un quotidien du Caire, al-Dustour, est saisi, et plusieurs de ses journalistes mis en accusation, pour avoir écrit qu’une importante personnalité politique locale était mise en cause dans l’enquête. Le 2 septembre, et sur la foi d’enregistrements saisi auprès de l’assassin présumé, le parquet égyptien annonce la mise en accusation pour "incitation au meurtre" (التحريض على قتل) de l’homme d’affaire Hisham Talaat (هشام طلعت), connu pour entretenir une liaison tumultueuse avec la victime depuis plusieurs années.
L’homme arrêté n’est pas exactement n’importe qui. Milliardaire d’une cinquantaine d’années à la tête du très puissant groupe immobilier, Talaat Mustafa Group (estimé à plusieurs milliards de dollars), ami personnel de la famille Moubarak et en particulier du jeune fils prodige Gamal, Hisham Talaat, membre du Parlement égyptien où il participait à la commission économique, était jusqu’alors une des figures clés du parti au pouvoir.
Dans les innombrables commentaires de la presse arabe sur cette affaire, cet article d’Elaph (un quotidien en ligne un peu trash qui se délecte de cette affaire) résume bien les différentes hypothèses qui pourraient expliquer ce dénouement juridique, au-delà, bien entendu, de la rigueur et de l’impartialité qui caractérisent la justice égyptienne.
Un premier scénario évoque les tensions qui opposeraient les milieux d’affaires proches du pouvoir et qui auraient provoqué la chute de Hisham Talaat au profit de son rival, Ahmad ‘Izz (أحمد العز), un autre magnat de la construction.
On peut également penser que les autorités ont décidé de lâcher le magnat de l’immobilier en constatant l’écho de cette affaire auprès de l’opinion, peu disposée à prendre le parti d’un mari volage et père de famille, et bien évidemment très émue par le sort de la belle et jeune chanteuse libanaise, sauvagement assassinée. Après différentes décisions récentes, en particulier la relaxe d’un autre milliardaire propriétaire du ferry dont le naufrage en Mer Rouge, en 2005, avait tout de même provoqué un millier de victimes, il n’était pas mauvais que la justice montre qu’elle pouvait être exemplaire.
Dernier élément, fort important sans doute, la réaction des autorités des Emirats, le lieu du crime. Avec constance, ces autorités travaillent à asseoir la réputation sécuritaire de leur pays, aussi bien en ce qui concerne les capitaux que les personnes. Dès lors que le crime suscitait un tel retentissement, tout a été mis en œuvre, dans l’enquête policière mais également auprès des autorités égyptiennes, pour s’assurer que la justice suivrait son cours.
Un procès retentissant viendra sans doute mettre un terme à toute cette histoire qui passionne l’opinion. Mais dans le monde arabe, comme en France et ailleurs, il y a fort à croire que cela ne marquera pas la fin de "la dialectique des corps et des hommes influents", selon la jolie formule d’un journaliste d’Elaph. D'ailleurs, et même si elle est moins connue en Occident que la geisha japonaise, la qayna (قينة), la courtisane,, chantée par Jahiz dès le IXe siècle, fut une des grandes figures de la culture arabe classique.
En effet, en dépit des airs dévots qu’ils se donnent (et qu’on leur prête encore plus souvent), les pays arabes connaissent, eux aussi, la sexualité et ses troubles. On aurait tort dans ce domaine comme dans d’autres de se fier aux apparences et encore plus aux idées trop simples.
On en voudrait comme seul exemple, une autre de ces qayna d’aujourd’hui, l’ébouriffante Hayfa Wahbe (qui n’a plus de secrets pour les lecteurs de ces chroniques, au moins depuis ce billet). A différentes reprises (voir par exemple cet article sur le site de la chaîne Al-Arabiya), la très exubérante Haifa a ainsi déclaré toute l’ardeur qu’elle éprouvait vis-à-vis de cheikh Hassan Nasrallah, le célèbre dirigeant du Hezbollah, si facilement décrit comme l’exemple par excellence d’un courant politique totalement opposé aux "valeurs-de-l’Occident".
Que la belle Haïfa puisse déclarer qu’elle est "à la disposition de dirigeant Hassan Nasrallah pour tout ce qu'il pourrait me demander" (أنا تحت أمر السيد نصرالله فيما يطلبه مني) peut nous laisser rêveurs sur l'aura dont jouissent les hommes influents politiquement. Mais cela devrait surtout nous obliger à nous demander si les clivages, culturels et politiques, passent bien comme on nous le dit si souvent entre le libéralisme laïc occidentalisé d’un côté et le rigorisme musulman rétrograde de l’autre. A l'évidence, la vision du monde d'une Haïfa Wehbe et de beaucoup d'autres Arabes répond à d'autres catégories.Culture & Politique arabes

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