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Obama et la question raciale, acte II

Publié le 10 septembre 2008 par Lbouvet

Barack Obama a placé jusqu’ici sa candidature dans une perspective post-raciale qui lui a plutôt réussi. Il a en effet convaincu, lors des primaires, les électeurs démocrates noirs qu’il était celui, malgré une histoire personnelle différente de celle de la grande majorité des Noirs américains, qui pouvait pour la première fois les faire entrer à la Maison-Blanche. Obama a également su convaincre de nombreux électeurs démocrates blancs qu’il n’était pas qu’un candidat noir pour les Noirs. Ce premier acte ne s’est pas déroulé sans mal puisque, entre les sous-entendus de l’équipe Clinton et des liens difficiles à rompre avec le révérend Jeremiah Wright, le candidat démocrate a dû déployer des qualités rhétoriques et une habileté tactique hors du commun pour l’emporter.

Au moment où commence une nouvelle phase de la campagne, Obama se retrouve face à un problème d’une tout autre ampleur. La question n’est plus désormais de savoir s’il est capable de mobiliser le vote noir en sa faveur ou s’il peut convaincre les électeurs démocrates de son credo post-racial ; ce qui se joue à partir de maintenant, c’est la possibilité même du dépassement, au sein de l’électorat blanc, de la réticence à élire un Noir à la présidence. On rappellera, pour donner un ordre de grandeur au problème, que les Blancs ont été 94,5 millions à voter à la présidentielle de 2004 pour seulement 13,5 millions de Noirs et, surtout, que 60% des électeurs blancs ont voté pour Bush contre 40% pour Kerry.

Deux « effets » se mêlent qui compliquent particulièrement la tâche d’Obama : un effet « droits civiques » et un effet « Bradley ». L’effet « droits civiques» peut être résumé ainsi : depuis 1968, les Démocrates n’ont jamais obtenu la majorité chez les électeurs blancs lors d’une élection présidentielle. Ainsi, par exemple, Al Gore comptait-il 12 points de retard sur George Bush dans cet électorat lors de l’élection controversée de 2000. Cette tendance lourde est essentiellement due au réalignement électoral consécutif au vote des lois de 1964 et 1965 sur les droits civiques qui ont fait du Parti démocrate jusque-là dominant dans les Etats du Sud, le « parti des Noirs ». Ce qui a conduit une grande partie de l’électorat blanc du Sud, puis progressivement de l’ensemble de l’intérieur des Etats-Unis, à basculer vers le Parti Républicain – les Reagan Democrats des années 1980 et les value voters de Bush dans les années 2000 s’inscrivent dans le prolongement de cette évolution de long terme. L’effet « Bradley » tient son nom de l’élection pour le poste de gouverneur de Californie en 1982 lorsque le maire noir de Los Angeles, Tom Bradley, a été battu par son rival blanc alors qu’il était en avance dans tous les sondages – un pourcentage significatif des électeurs blancs interrogés déclarant vouloir voter pour le candidat noir alors qu’ils ne le font pas lors de l’élection, les enquêtes de sortie des urnes corroborant cet « effet ».

On peut invoquer un racisme latent – rarement exprimé bien évidemment – comme explication globale de ces difficultés structurelles mais rien ne permet de le mesurer avec certitude. Le politologue Andrew Hacker cite dans son dernier article, Obama : The Price of Being Black, New York Review of Books, Vol. 55, n°14, Sept. 25, 2008, deux enquêtes récentes qui montrent que la question raciale est au cœur de cette élection quoi qu’en disent candidats et commentateurs : un sondage ABC News/Washington Post de juin montre ainsi que 20% des Blancs interrogés affirment que la race du candidat pèsera lourd dans leur vote alors que 30% admettent avoir des préjugés raciaux alors qu’une enquête CBS News/New York Times en juillet indique que 70% des Blancs interrogés pensent que le pays est « prêt à élire un président noir » – même si certains ajoutent spontanément « mais pas Barack Obama »…

Ultime difficulté, la question raciale est souvent inextricablement mêlée à des considérations socio-économiques dont on a vu qu’elles étaient déterminantes dans les swing states et les battleground states lors des primaires, ces Etats-clefs qui doivent être remportés pour espérer gagner l’élection présidentielle. Or, on se souvient qu’Hillary Clinton a devancé Obama dans pratiquement tous ces Etats (Pennsylvanie, Ohio, Floride…). De plus, dans ces mêmes Etats, c’est Clinton et non Obama qui a conquis la majorité des voix des swing voters, ces électeurs-charnière qui font l’élection lorsque le jeu est serré entre Républicains et Démocrates. Ce sont des hommes (et des femmes d’ailleurs…) blancs qui n’ont généralement pas fait d’études supérieures et dont les sérieuses préoccupations économiques se mêlent aux fameuses questions de « valeur ». Bref typiquement le profil des Reagan Democrats et des value voters évoqués plus haut. Or ce sont ceux précisément que le candidat républicain John McCain est bien décidé à garder dans son camp en novembre comme il l’a spectaculairement montré ces derniers jours en sortant de sa manche son atout-maître : Sarah Palin, sa colistière, véritable incarnation, s’il en est, de cet électorat.


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