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Oui, maman

Publié le 11 septembre 2008 par M.

Elle est assise sur la marche d’entrée d’un immeuble. Les coudes sur les genoux, la tête entre les mains. Elle porte un bandeau rose dans ses cheveux blonds. Et une grosse frange.

A côté d’elle, sa mère. Petite, fine, les cheveux noirs et courts, elle porte un jean qu’elle a remonté au dessus de ses chevilles, et un débardeur noir qui laisse voir son ventre. Elle parle fort et avec les mains. Elle répète c’est moi qui ai la garde, tu entends ? Ça veut dire que c’est moi qui décide, moi et personne d’autre, tu entends ? C’est maman qui décide, pas papa. Et la petite fille fait oui de la tête.

Debout face à elle, un type. Grand, maigre, un marcel gris sur un jean troué. Ses cheveux sont en bataille, il porte une sacoche en bandoulière et des baskets aux pieds. Et lui aussi, il répète : ouais, ta maman a raison, tu l’entends ? Ta maman a raison. Et la petite fille fait oui de la tête.

- Ton père c’est un abruti. Un irresponsable, un bébé. La preuve : il est retourné vivre chez son papa et sa maman.

- Ouais, elle a raison ta mère.

- Toi, ta gueule ! Et puis, ton père est un minable, un tricheur, un menteur. Crois moi, j’ai eu le temp de m’en rendre compte, six ans de vie commune, six ans d’enfer ! Tu sais pourquoi c’est maman qui a ta garde ? Parce que papa n’est pas capable de s’occuper de toi, c’est le juge qui l’a dit.

- Ouais, elle a raison ta mère, c’est le juge qui l’a dit.

- Toi, ta gueule !


Toujours la tête entre les mains, les coudes sur les genoux, la petite fille fait oui. Elle lève parfois les yeux, balaye la rue du regard comme pour chercher de l’aide, ou crier au secours. Puis elle se tourne vers sa mère, oui maman, et remet sa tête entre ses mains.

- Il faut pas l’écouter, ton père, quand il parle de moi. Il a pas le droit de parler de moi, ou de mes amis. De dire des saloperies. Parce que c’est des mensonges ce qu’il te dit, ton père. Fred, c’est un ami de maman, juste un ami.

- Oui, et entre amis on se rend service. Ta mère m’héberge en ce moment parce que c’est un peu la merde pour moi, et…

- Toi, ta gueule ! Viens pas l’embrouiller, la p’tite, elle a pas besoin de tout savoir, sinon elle va rien comprendre. Je veux juste qu’elle sache que son père est un mytho, tu entends Lola ? Ton père est un menteur, et un jaloux. Il dit du mal des amis de maman parce que lui il a pas d’ami, pas de copain, pas de copine, je suis sûre qu’il a pas tiré son coup depuis des lustres…

- Avec sa gueule, c’est sûr…

- Toi, ta gueule ! Lola ? Regarde-moi dans les yeux, Lola.

Et la petite fille obéit. Elle lève ses grands yeux clairs sur sa mère et dans son regard on ne lit rien. Ni colère, ni peine, ni interrogation. Juste de la résignation. Et un peu de fatigue, peut-être.

- Quand papa te pose des questions sur maman et ses amis, il faut pas lui répondre. Tu lui dis que tu sais pas, d’accord ? Tu lui dis que tu sais pas, que ça te regarde pas, que c’est des histoires de grandes personnes. Et que maman va prévenir le juge s’il continue, d’accord ?

- Oui, maman.

- Je veux pas que tu lui racontes ce qu’il se passe à la maison.

- Mais je lui raconte rien…

- Si, tu lui racontes ! Il sait des choses, il les tient bien de quelqu’un ! Et ça ne peut être que toi… Alors la prochaine fois, je veux que tu lui dises que tu sais pas, d’accord Lola ?

- Mais je lui ai dit, déjà ! Je lui ai dit que…

- Je veux pas savoir ! Je te dis juste ce que tu dois faire maintenant.

- Mais…

- Pas de mais, Lola.

- Mais attends ! J’essaie de t’expliquer quelque chose !

La petite fille se met alors à parler comme une grande personne. Mieux qu’une grande personne. Elle se lève, pour se placer au dessus de sa mère. Elle a la tête bien haute, et fait de grands gestes avec les mains. Ses sourcils se haussent, son intonation est très juste. Elle articule parfaitement, et ses mots sont pesés au gramme près. Une femme, petite mais vraie. Avec sa tunique verte et son pantalon clair, les cheveux bien raides encadrant son visage d’enfant, malgré tout.

Elle parle à sa mère en la regardant dans les yeux, elle approche même son visage du sien pour bien se faire comprendre. Mais l’autre ne voit rien, elle allume sa cigarette. Elle ne voit pas le regard de Lola qui insiste, elle ne lit pas cet attention, je parle, écoute moi entre ses lignes, non. Elle allume sa cigarette, regarde le type, lui fait signe de se taire et lui tend le briquet qu’elle lui a emprunté.

- Je lui ai déjà dit, à papa. Je lui ai dit que je voulais pas l’écouter, que je voulais pas répondre à ses questions, je lui ai dit que je voulais pas parler de ça. A toi aussi, je te l’ai dit. Je veux pas parler de ça.

- Oui, et bien tu vas en parler. Mercredi, tu vas en parler au Docteur Laval, tu vas lui dire ce que papa te dit quand tu passes le week-end chez lui. Les méchancetés qu’il dit sur maman, sur ses amis, sur Fred. Tu lui diras tout ça, au docteur.

- Tout ce que papa me dit ?

- Oui.

- Et tout ce que toi, tu me dis ?

- Oui. … Non. … Y’a rien à dire, sur moi. Je m’occupe de toi, je t’emmène à l’école, te fais à manger, je fais ton lit tous les matins, voilà. Moi, je fais que m’occuper de toi. Je raconte pas des saloperies sur les gens, moi.

Et la petite fille fait oui de la tête.

- Allez, viens ! Lève-toi, on s’en va.

- On rentre à la maison ?

- Non, on va faire les courses avant.

- Ouais, y’a plus rien à bouffer à la maison.

- Toi, ta gueule.

- Mais je suis fatiguée…

- Tais toi, Lola, et lève-toi. On y va.


La nana attrape la petite fille par la main, l’aide à se lever et remonte la rue. Depuis la fenêtre, je les regarde s’éloigner. Le type à leur côté, l’allure nonchalante, sa cigarette roulée toujours à la main. La mère marche vite, d’un pas assuré, voire énervé. La petite traîne un peu des pieds. Elle l’a dit, elle est fatiguée. Moi, je la crois.

Depuis la fenêtre, je les regarde s’éloigner et je me dis que je devrais garder mes fenêtres fermées. Le monde me rend si triste, parfois…

  

  

  

  

  

  


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