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Peter Bogdanovich (sous le marronnier)

Par Inisfree

Quand je suis arrivé, il était allongé sur un banc sous le grand marronnier. Tout autour, un tapis de feuilles brunies. Il s'est redressé vivement.

- C'est sec, a-t'il lancé, Tu as vu l'état de mon arbre ?

- Il est malade non, j'ai dit en lui tendant la main. J'en ai vu plusieurs comme ça. Tu l'as pas fait traiter ?

Nous nous sommes serré les mains, gravement

- Pas le temps, trop de films en retard. L'année prochaine.

- Faudrait balayer les feuilles, j'ai dit en m'asseyant.

Il a repris sa position initiale en croisant les mains sous la tête.

- Faudrait. Je dois d'abord te remercier pour les Bogdanovich.

J'ai étendu mes jambes sous une petite table en froissant les feuilles.

- Alors ? Tu ne les avais jamais vu ?

- Non, je me suis rendu compte que je ne connaissais de lui que ce truc des années 80 sur le gamin malade, Mask avec Cher, la chanteuse.

Il a joué d'un violon imaginaire.

- Mélo, mélo. Je te sers quelque chose ?

De dessous le banc, il a empoigné une bouteille au contenu chaleureusement brun, sans étiquette.

- Il y avait aussi Harry Carey Junior dans Mask. C'est quoi ?

L'air était doux, la fin de l'été. Il m'a servi un verre.

- Possible, je ne l'ai pas remarqué. Ca fait longtemps, je l'avais vu à sa sortie en 85. C'est un vin de noix cuvée 97 que j'ai retrouvé au fond d'un placard, a-t'il ajouté en me tendant le verre. Et puis j'avais trouvé ça pénible. Comme quoi il ne faut pas rester sur une première impression.

Nous avons trinqué. J'ai dégusté, lentement.

- En fait, c'est le documentaire de James Chressantis sur les chefs opérateurs Lazlo Kovacs et Vilmos Zsigmond qui m'a fait prendre conscience de mes lacunes.

- No subtitles necessary, ai-je précisé. Il est bon.

- Ces vastes plans en noir et blanc de Kovacs sur Paper Moon, ça m'a de suite donné envie. Je ne sais pas où ils ont trouvé le titre français, La barbe à papa, A l'époque, ça avait suffit à me dissuader. C'est comme What's up doc ? tourné juste avant. On s'fait la valise, docteur ? A croire que les distributeurs n'avaient jamais vu un Bugs Bunny de leur vie. Je veux bien qu'il y ait une histoire de valise, mais quand même.  Qui peut avoir envie d'aller voir des films avec des titres pareils ?

- Surtout avec Ryan O'Neal, ai-je acquiescé vigoureusement en me servant un second verre.

- C'est une erreur. Plus je surmonte mon préjugé sur l'homme de Love story, plus il m'impressionne. Après tout, Kubrick, Edwards, Hill, Mailer et maintenant Bogdanovich. C'est pas si mal. Là il est vraiment impeccable, que ce soit son petit escroc des années 30 en mal de paternité ou sa parodie de Cary Grant en musicologue. Je ne dirais plus de mal de lui et je bois à ça.

Le vin avait bien vieillit au fond de son placard.

- Bogdanovich... a-t'il dit doucement en sirotant son verre. Pourtant, pour des fordiens comme nous, c'est quand même une référence. C'est l'homme qui a tenté de faire parler le maître. Et celui-ci ne l'a pas ménagé. « Je ne vois pas de quoi vous voulez parler ». Mais il a parlé quand même un peu.

Son imitation de John Ford était moyenne mais je n'ai pas vu l'intérêt de lui faire remarquer.

- C'est étrange ces deux films, a-t'il continué. Très référencé, pleins de citations et pourtant, ça fonctionne bien, ce n'est pas agaçant comme chez certains. What's up doc ? C'est complètement hawksien, l'hommage aux comédies de la grande époque avec le couple que tout oppose comme dans L'impossible monsieur bébé. Et puis aussi, comme chez Blake Edwards, il y a toute cette nostalgie du burlesque, les poursuites, les gags physiques et même une tarte à la crème.

- Il y a aussi une dimension parodique sympathique. La poursuite, ai-je poursuivi, c'est San Francisco et Bullitt et les rues en montagnes russes. Le gag de la vitre, c'est un beau moment.

- C'est très construit. Ce qui est bien c'est que le côté virtuose ne plombe pas le film. Et puis le couple O'Neal – Barbra Streisand fonctionne parfaitement. C'est la première fois que la vois aussi sexy. Et puis Madeleine Khan, c'est l'une des femmes les plus drôles du monde. Et puis, ah ! La parodie de Casablanca...

Il a soupiré et nous a rempli les verres. Le soir commençait déjà à tomber. Une lune pâle apparût au-dessus du marronnier.

- C'est la fin de l'été, a-t'il philosophé. Paper Moon, c'est autre chose. C'est un film plus étrange, un mélange subtil de comédie et de drame. J'avais comme l'impression de personnages à la Capra traversant Les raisins de la colère de Ford. La comédie de cet homme et de cette fillette qui doivent apprendre à être père et fille, enfin plus le père qui doit apprendre à le devenir. Et puis ça se passe dans un arrière plan de dépression, d'Amérique en crise et en noir et blanc, celle de Ford, de Night of the hunter de Laughton, de Welles. J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de références à la photographie de l'époque, mais je n'y connais pas grand chose. La première scène, c'est ça, un enterrement qui sert de fond à une rencontre de comédie, un enterrement Fordien filmé par Welles.

- Bogdanovich a aussi écrit sur Welles, ai-je fait remarquer.

- Ca ne m'étonne pas. J'ai eu souvent l'impression que dans ces deux films, Bogdanovich se plaisait à rendre hommage à ses maîtres. On sent son plaisir à se confronter à leurs styles, à leurs fondamentaux. En même temps, il y a une tonalité plus moderne qui donne un côté personnel à l'ensemble. Tiens, au fait j'ai ramassé quelques figues.

Il m'a tendu un plat. J'ai pioché. Il a continué.

- Un peu étrange parfois, cet aspect plus contemporain. Ses personnages, au fond, surtout dans Paper Moon, son un peu ambigus. Lui, c'est quand même un escroc qui arnaque des petites gens inoffensifs. Il profite de leur malheur en faisant croire que leurs défunts ont commandé des bibles de luxe. Personne ne va refuser. Et puis sa fille ne se pose pas de dilemme moral quand à ça. Elle est très délurée, Tatum O'Neal. Je me suis marré quand on la voit fumer au lit. Ce n'est plus quelque chose que l'on verrait !

- Ca ne m'a pas frappé ce côté des choses, ai-je dit en mâchant mes figues bien mielleuses. Je ne sais pas si c'est parce que je suis jeune père, mais j'ai plus été sensible à leur relation qu'à leurs aventures d'escrocs. Il est peut être un peu pitoyable, mais ça ne rend que plus intéressant son parcours pour accepter sa paternité. D'ailleurs on se demande si c'est quand même bien sa fille.

- Tu as des doutes ?

- Oui, et finalement ce n'est pas important qu'elle le soir biologiquement ou non. Ca m'a fait penser au discours final de Rois et reines de Depleschin. Ce grand discours sur la paternité. Là, Bogdanovich l'illustre. Et jamais il ne tombe dans la pathos. Le plan final, c'est l'alliance du burlesque avec la voiture qui dévale la pente seule et du western avec les paysages sans fin, la route vers l'horizon.

- Et ça boucle avec la photographie sublime de Kovacs. A Kovacs !

Nous avons levé nos verres.

- Tu ne m'as rien dit sur The last Picture Show, ai-je remarqué.

Il a pris un air à la fois penaud et énervé, ce qui n'est pas facile.

C'est un zone 1 et je n'arrive pas à le lire, même avec VLC.

- Dommage. A Peter Bogdanovich, l'un des plus brillants continuateurs du cinéma américain classique.

Nous avons levé nos verres. La nuit était tout à fait tombée.

- Tu restes pour diner ?


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