Le crime de poison au Moyen-Age

Franck Collard, Le crime de poison au Moyen-Age, Puf, 2003

Avec cet ouvrage, issu d’un dossier d’habilitation à diriger des recherches, Franck Collard propose une étude systématique du crime de poison. Il s’agit pour lui de déterminer ce qu’est le crime de poison, la manière dont il est jugé et dont il est puni. Ainsi que le signale l’auteur dans le titre même de son premier chapitre (« un crime insaisissable ? »), le crime de poison est bien difficile à cerner, parce que difficile à identifier. L’enjeu de l’ouvrage est de déterminer « le mode d’existence de ce crime dans les esprits » (p 7). Y-a-t-il une spécificité du crime de poison au Moyen-Age ? Comment est-il considéré ? L’auteur part à la recherche des traces du crime de poison. Ce crime là figure-t-il dans les chroniques, romans, fictions ? Dans la littérature exemplaire, le motif de l’empoisonnement apparaît marginal ; le veneficium est surtout un symbole du péché. Judiciairement, le crime de poison ne constitue pas une catégorie autonome. Franck Collard choisit dans ce contexte général de s’intéresser au crime vénéneux. Malgré une documentation faisant quelque peu défaut, l’auteur parvient à quelques conclusions. Notamment, l’auteur montre que vers la fin du Moyen Âge, on enregistre une croissance des crimes vénéneux ; c’est entre 1240 et 1300 que F Collard voit le renversement s’opérer. Il reste cependant que le crime par empoisonnement demeure marginal, bien que l’on puisse noter la prolifération des traités sur les venins à partir du XIVe siècle. Un chapitre attire plus particulièrement notre attention. Il s’agit du chapitre III intitulé « Sociologies de l’empoisonnement ». L’auteur fait une sociologie des victimes de l’empoisonnement criminel. Les victimes sont-elles plutôt jeunes, tel le premier dauphin de Charles VI assassiné à 9 ans en 1401 ou plus âgés, comme Guiette Guillonne, ce qui permet plus facilement de maquiller le crime ? Les femmes sont-elles épargnées par le crime de poison ? Il semble que dans les affaires de mort précoce, les esprits soient enclins à voir un crime de poison. D’après les sources et calculs de l’auteur, à 75% aux XIVe et XVe siècles, le crime de poison tend à concerner d’abord les couches supérieures de la population. Franck Collard invite cependant à la prudence : les sources manquent de précision et surtout il se peut, comme il le signale p 102 « qu’à la fin du Moyen-Age, l’opacité des affaires d’Etat, soit en partie responsable de la multiplication des imputations de poison dans les cours et les palais ». Le prince fait figure de victime particulièrement propice au crime de poison, ce qui semble dans une certaine mesure être pour l’auteur, une construction culturelle. Du côté des empoisonneurs eux-mêmes, le flou domine et ce que traduisent les sources, c’est plus « une sociologie des représentations criminelles » qu’une sociologie criminelle (p 106). La femme est-elle l’empoisonneuse que les esprits du Moyen-Age ont voulu dresser ? Les sources factuelles sont entachées de représentations de l’époque, produites par des hommes, elles sont donc particulièrement enclines à dessiner le visage de l’empoisonneuse. Il reste cependant que la présence féminine parmi les crimes de poison semble plus accusée que pour d’autres types de crimes. Plus loin, Franck Collard s’attache à replacer le crime de poison dans un contexte de relations. Le crime de poison est-il d’abord affaire de famille ou de rapports de pouvoir ? La cellule conjugale semble un espace particulièrement ouvert au crime toxique. L’auteur met à jour une relation hiérarchique, l’empoisonné étant vu comme supérieur socialement à l’empoisonneur. Le chapitre IV permet de pénétrer dans les représentations de l’époque. Le crime de poison est un crime « abominable ». L’empoisonneur mérite tous les châtiments de l’enfer ; il est bien le pire des crimes. Au total, un livre percutant, solidement argumenté.

par Frédérique