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Crise des subprimes: analyse critique du plan Paulson Welfare state for the rich !

Publié le 21 septembre 2008 par Objectifliberte

Crise des subprimes: analyse critique du plan Paulson Welfare state for the rich !Plan Paulson: le même que pour notre Crédit Lyonnais, mais en plus grand

Le secrétaire américain au trésor, Henry "Hank" Paulson (photo, à côté de Ben Bernanke), a annoncé jeudi la création d'une vaste structure de "defeasance" étatique -- en anglais: RTC, pour Resolution Trust Corporation - ayant pour mission de racheter à toute banque ses créances sinistrées par la crise financière, moyennant une décote (négociée au cas par cas), la structure de defeasance se chargeant ensuite de revendre ces actifs une fois les marchés revenus au calme. Naturellement, l'achat sera financé par les contribuables américains, ceux de demain, par une augmentation de la dette fédérale. Puis le gouvernement revendra les actifs, et la perte supportée in fine par les citoyens sera la différence entre le prix de rachat des créances vaseuses et le prix de leur liquidation, augmenté des intérêts qui auront couru le temps que cette liquidation ait lieu. C'est, à une toute autre échelle, le système qui a été mis en place sous le nom de CDR pour liquider les actifs pourris du Crédit Lyonnais, dont la facture finale pour les contribuables français a été évaluée à environ 20 milliards d'euros.

Il est encore trop tôt pour dire ce que coûtera le plan Paulson au trésor. Sachant que le secteur bancaire a déjà inscrit sur ses comptes plus de 510 milliards de dollars de dépréciations, et que la fourchette citée par les économistes varie de 1000 à 2000 milliards de dépréciations encore à passer, on peut tabler sur un coût final approximatif de l'ordre de 1000 milliards pour le contribuable (à ce niveau, qui en est à 500 milliards près ?), financé intégralement par l'émission de nouvelles dettes.

A ce stade, plusieurs questions se posent :

Le plan Paulson est il soutenable financièrement pour le trésor américain ?

La réponse à cette première question est indiscutablement oui: la dette publique fédérale américaine représentait -- fin 2007-- 9000 milliards de dollars (65,5% du PIB) dont environ 5000 en bons du trésor (l'équivalent de nos OAT - environ 37% du PIB), la différence étant constituée par les engagements du régime général de retraites américain (social security), dont on sait trop peu qu'il est public et par répartition aux USA aussi.
Pour mémoire, rappelons qu'en France, le ratio dette sur PIB de 66% énoncé par l'état au titre des accords de Maastricht ne concerne que la dette négociable (OAT et instruments similaires), les engagements de notre régime général de retraite étant cernés avec... une relative imprécision. La situation américaine est donc fondamentalement nettement plus saine (je devrais dire: beaucoup moins malsaine) que la notre de ce point de vue. L'état américain dispose donc d'une marge d'endettement supplémentaire conséquente.
Hank Paulson a fait voter le 27 juillet une provision permettant de porter la limite légale de l'endettement fédéral total de 9 800 milliards à 10 600 milliards de dollars, et propose de relever encore de 700 milliards supplémentaires ce plafond, le portant donc à 11 300 milliards. Ces tranches nouvelles d'obligations de l'état américain devraient pouvoir être aisément placées par le trésor, au prix peut être d'un  renchérissement du taux demandé par les emprunteurs, un tel afflux de demande de crédit ne pouvant qu'en renchérir le coût.

Le plan Paulson n'a t'il pas de graves inconvénients à long terme ?
Là encore, indiscutablement, la réponse est oui.

Dans un climat de sauve-qui-peut généralisé, les différents décideurs doivent agir rapidement, sauver leur peau à court terme, puis, une fois la tempête calmée, s'attacher à évaluer les dégâts et à reconstruire. Par conséquent, il est évident que Paulson n'accorde que peu de considération aux  conséquences à long terme de son plan de sauvetage: il ne sera plus là dans trois mois et demie.

Premier inconvénient: le risque moral

Un tel plan fait évidemment porter une partie du fardeau de la débâcle aux actionnaires des banques en difficulté, puisque les banques impactées devront enregistrer de nouveaux write down, et pour certaines devront accepter de voir titriser leur dette par l'état au détriment des actionnaires en place. Ce n'est que pure logique: ceux ci ont mal évalué la valeur de leur investissement, ils sont sanctionnés. Rien à redire. Naturellement, nombre d'entre eux risquent, dans les mois à venir, de former des class action contre un certain nombre de dirigeants d'établissement financiers dont la présentation des comptes n'était pas sincère. Les tribunaux trancheront. Business as usual.
Mais le plan Paulson choisit de garantir les porteurs de dettes de ces banques par l'argent du contribuable. N'aurait il pas mieux valu que ces porteurs de dette soient également sanctionnés et que le contribuable ne soit pas mis à contribution pour éponger les pertes de prêteurs qui n'avaient, après tout, qu'à mieux évaluer leur risque ?

Cette situation est ce que les économistes appellent un "moral hazard", intraduisible pour rendre la nuance du terme, hazard devant ici être pris au sens de "risque". Les détenteurs de dettes émises par les banques pour refinancer leurs prêts sont eux mêmes pour la plupart des institutions financières: fonds d'investissement, compagnies d'assurance, etc... Ce sont des professionnels qui avaient parfaitement les moyens et le devoir d'évaluer leurs risques avant de placer l'argent de leurs dépositaires. Mais parce que nombre de ces placements, émis par des institutions para-étatiques telles que Fannie Mae et Freddie Mac, jouissaient d'une garantie implicite de l'état fédéral, ces investisseurs n'ont pas jugé bon de se montrer aussi prudents que s'il s'était agi de placements non garantis.

Le message envoyé aux institutions financières est potentiellement désastreux à moyen terme: il met dans l'esprit des acteurs de ces marchés que quoiqu'il arrive, si leurs brillantes idées se révèlent boiteuses (ah, les CDOs...), le contribuable ouvrira grand ses poches pour leur tirer la gueule de l'eau. Le sauvetage à court terme des institutions financières prépare de nouvelles crises à long terme.

Second inconvénient: le poids budgétaire du surcroît de dette ainsi créé

Une augmentation massive et brutale de plus de 20% de la dette négociable du trésor va accroître le poids du remboursement de cette dette dans les comptes de l'état fédéral. Cela accroîtra les dépenses publiques d'autant, et donc les impôts. Il est donc presque certain que les baisses d'impôts décidées par George Bush en 2003 ne seront pas reconduites en 2010-2011 quand viendra le temps de leur réexamen. Ces baisses d'impôts sur le capital ont permis de maintenir en activité le moteur, la wealth machine de l'économie réelle américaine, à savoir sa capacité d'innover et d'investir.

Les ménages se verront plus lourdement taxés et les entreprises non financières auront accès à moins de capital : l'économie US perdra de précieux points de croissance, au détriment de tous ses citoyens, et du reste du monde, puisque le marché américain ne sera pas aussi porteur pour les entreprises exportatrices du monde entier.

Il y a sans doute d'autres inconvénients trop longs à développer: une possible hausse des taux d'intérêts (il faudra bien compenser la création monétaire en cours, sous peine d'inflation), renchérissement collatéral envisageable de la dette pour d'autres états lourdements endettés (suivez mon regard...), la capitulation devant les fonds souverains étrangers détenteurs de CDOs pourries (la diplomatie a ses raisons que l'économie ignore parfois), la distorsion de concurrence opérée en faveur de compagnies en faillite au détriment d'autres sainement gérées... mais tenons nous en là pour l'instant.

L'alternative "laissez les crever" est-elle crédible ?

De fait, il existe de nombreux observateurs qui affirment qu'il aurait fallu laisser le marché sanctionner les banques ayant mal calculé leur risque par une faillite, leur laissant le soin de régler leur litige avec leurs créanciers comme de le cas d'une faillite classique. "Stop the bailout !" est leur cri de ralliement.

Ce point de vue a du sens. L'idée selon laquelle le contribuable ne devrait jamais être appelé à la rescousse de grands intérêts financiers est viscéralement soutenue par tous les économistes libéraux, et je ne fais pas exception.
Mais hélas, la loi américaine et les outils créés par l'état américain lors du new deal, lorsque l'administration Roosevelt voulait subsituer l'état au marché pour micromanager le secteur financier, rendent cette option absolument inenvisageable.
Le Glass Steagall act de 1933, entre autres dizaines de règles, a imposé aux banques d'adhérer à fond d'assurance étatique des comptes bancaires, le FDIC (Federal Insurance Deposit Corp.), qui garantit tous les comptes bancaires individuels jusqu'à 100.000 dollars, la garantie montant à 250 000$ pour les comptes d'épargne retraite.

Certes, les détenteurs d'obligations émises par AIG ou Bear Stearns n'entrent pas dans la liste des gens protégés par le FDIC. Mais l'option "laisser crever" comporte tout de même un risque majeur: celui de la contagion, souvent appelé "risque systémique" dans les récents articles de presse sur le sujet. Si trop d'émetteurs d'obligations sont en défaut de paiement, la simultanéité d'un trop grand nombre de faillites bancaires risque d'empêcher de régler les faillites par des techniques classiques de titrisation des dettes ou de liquidation des actifs. En période de panique, seuls des spéculateurs particulièrement "joueurs" rachètent des actifs "pourris", même avec une forte décote, et ils ne courent pas les rues. 

Autant dire que Paulson doit composer avec la possibilité d'un écroulement de grande ampleur de grandes banques de dépôts, qui obligerait le FDIC à puiser bien au delà de ses fonds propres, avec le risque que le contribuable ne soit amené à éponger des pertes encore plus importantes que dans le cadre du plan Paulson. Sans parler de l'effet psychologique désastreux qu'un tel ouragan bancaire aurait sur l'économie mondiale: contagion aux banques internationales, cabale contre le dollar, etc...

Bref, parce que l'état américain, non content d'avoir créé les conditions propices à la faillite du système, a cru dans un passé devoir se substituer aux banques pour assurer les risques liés à leur activité, "laisser crever" n'est tout simplement pas envisageable. This is not an option.

Peut on dire alors que de deux options, Paulson a choisi la moins mauvaise ? J'y ai cru moi même pendant les quelques heures qui ont suivi l'annonce de son plan. Mais au fond de moi, quelque chose me disait qu'il fallait approfondir cette question. Et j'ai changé d'avis.
Existe-t-il une troisième voie épargnant le contribuable ?

Comment les faillites "ordinaires" sont elles résolues aux USA et dans une bonne partie du monde ? D'une façon générale, de plusieurs façons: soit un repreneur qui croit en l'entreprise ramène de l'argent frais en contrepartie d'une souvent sévère dilution du capital pour les anciens actionnaires, soit l'activité est jugée définitivement non viable et l'actif est liquidé, les créanciers tentant de se payer sur le produit de la revente.
Il existe une troisième voie de règlement des faillites qui est parfois conjuguée avec la première, un peu plus subtile, qui consiste à mettre les actionnaires et les créanciers autour de la table, et à convertir une partie de la dette en actions, les anciens actionnaires supportant par la dilution de leurs parts le prix des mauvais chois passés de l'entreprise, l'ayant rendue insolvable. Les créanciers acceptent une cessation partielle ou totale des remboursements dans l'espoir de pouvoir revendre les actions et récupérer leur mise une fois l'entreprise redressée.

L'opération, généralement appelée "titrisation des dettes", a deux gros avantages: le capital étant non remboursable, la trésorerie de l'entreprise reçoit une bouffée d'oxygène, éloignant le spectre de la cessation de paiement, et le ratio de gearing (dette/fonds propres) augmente mécaniquement, ce qui permet de redonner confiance à des investisseurs nouveaux, ou de rééchelonner la dette restante en meilleure position face au banquier.
En théorie, cette façon de faire serait parfaitement adaptée aux banques et autres institutions financières prises dans la tourmente des subprimes: en titrisant une partie de leur dette, les banques émettrices d'obligations devenues pourries pourraient faire face à leurs échéances de remboursement, et les créanciers pourraient garder l'espoir de récupérer leurs billes à plus ou moins long terme. Les actionnaires subiraient la même dépréciation que celle due au plan Paulson (et de vous à moi, tant pis pour eux, le risque est consubstantiel de la liberté), voire pire, car des repreneurs privés seraient sûrement de meilleurs négociateurs que l'état fédéral concernant le tarif de rachat des créances pourries. 

Cette solution paraît de bon sens. Pourquoi Hank Paulson ne l'a-t-il pas retenue ? De prime abord, parce que de tels arrangements sont longs et complexes à mettre en oeuvre. Ceux qui ont suivi la recapitalisation d'Eurotunnel le savent: les négociations entre petits porteurs et créanciers sont dures et longues. Chaque partie doit consentir à d'importants sacrifices. Les différentes parties en cause luttent pied à pied pour laisser le moins  de plumes possible. De surcroît, personne ne sait dire aujourd'hui avec précision quelle est la valeur résiduelle d'un portefeuille d'obligations adossées à des prêts subprime.

Or, lorsque l'écroulement du système bancaire menace, on n'a plus le temps. Et l'écroulement, même très partiel, signifiait, pour les raisons ci avant exposées, une ardoise géante pour le contribuable. Pour autant, était-il impossible d'avoir recours à un vaste processus de titrisation des dettes des établissements financiers à grande échelle ?

Quitte à intervenir, le gouvernement US aurait il dû forcer la titrisation des créances douteuses ?

Zingales L'économiste Luigi Zingales, professeur à la prestigieuse université de Chicago, auteur de l'excellent "saving capitalism from the capitalists", et spécialiste entre autres de corporate governance des entreprises, est d'avis que quitte à intervenir -- puisqu'il n'avait pas d'autre choix que de le faire--, le gouvernement aurait dû forcer créanciers et actionnaires à accepter des accords de titrisation rapides, hors de la longue et coûteuse procédure de gestion des faillites connue sous le nom de chapitre 11, sous peine que les modalités en soient fixées autoritairement par l'état fédéral. En échange d'un abandon de créance, les créanciers auraient reçu des actions des sociétés débitrices.

Il juge très sévèrement le plan Paulson (Why Paulson is wrong, PDF):

If banks and financial institutions find it difficult to recapitalize (i.e., issue new equity) it is because the private sector is uncertain about the value of the assets they have in their portfolio and does not want to overpay. Would the government be better in valuing those assets? No. In a negotiation between a government official and banker with a bonus at risk, who will have more clout in determining the price? The Paulson RTC will buy toxic assets at inflated prices thereby creating a charitable institution that provides welfare to the rich—at the taxpayers’ expense. If this subsidy is large enough, it will succeed in stopping the crisis. But, again, at what price ? The answer: Billions of dollars in taxpayer money and, even worse, the violation of the fundamental capitalist principle that who reaps the gains also bears the losses.

Selon lui, la cour suprême a déjà approuvé ce genre de décisions lors de la grande dépression des années 30. J'ignore si un juge américain serait du même avis, ce qui me fait rester relativement prudent par rapport à la faisabilité juridique de cette suggestion. Mais en tout cas, il a totalement raison lorsqu'il affirme que l'entorse au droit de propriété ainsi faite n'est pas pire que celle qui serait faite au droit de propriété du contribuable en cas de sauvetage public massif.

Entre deux mots, il faut choisir le moindre. Et une titrisation forcée des créances bancaires douteuses lui paraît être le moindre mal. Aux réserves juridiques près, j'abonde dans son sens.

Mais ce qui est le plus intéressant dans l'analyse de Zingales, est la raison pour laquelle l'administration Paulson a écarté cette option. En deux mots, pour les économistes: "Public choice" ! Explication:

(...) it makes sense in the current contingency to mandate a partial debt forgiveness or a debt-for-equity swap in the financial sector. It has the benefit of being a well-tested strategy in the private sector and it leaves the taxpayers out of the picture. But if it is so simple, why no expert has mentioned it?


The major players in the financial sector do not like it. It is much more appealing for the financial  industry to be bailed out at taxpayers’ expense than to bear their share of pain. Forcing a debt-for-equity swap or a debt forgiveness would be no greater a violation of private property rights than a massive bailout, but it faces much stronger political opposition. The appeal of the Paulson solution is that it taxes the many and benefits the few.

Par "political opposition", il faut comprendre opposition des lobbys financiers très actifs à Washington.

Since the many (we, the taxpayers) are dispersed, we cannot put up a good fight in Capitol Hill, while the financial industry is well represented at all the levels. It is enough to say that for 6 of the last 13 years, the Secretary of Treasury was a Goldman Sachs alumnus

(...)

Just as it is difficult to find a doctor willing to testify against another doctor in a malpractice suit, no matter how egregious the case, finance experts in both political parties are too friendly to the industry they study and work in.

Et voilà pourquoi ce sont les contribuables américains qui vont boire la tasse, plutôt que les investisseurs ! La promiscuité des politiciens de Washington et des grands dirigeants des institutions financières, généralement issus des mêmes grandes universités de l'Ivy League (harvard, yale, princeton et quelques autres), aboutit à ce que le gouvernement privilégie ses amis au détriment des cochons de payants qui ne comptent pas. Voilà qui n'est pas sans rappeler le fonctionnement de notre énarchie. Les USA ont finalement quelques problèmes assez comprables aux notres.

Zingales pose les question essentielles en fin d'analyse:

The decisions that will be made this weekend matter not just to the prospects of the U.S. economy in the year to come; they will shape the type of capitalism we will live in for the next fifty years. Do we want to live in a system where profits are private, but losses are socialized ? Where taxpayer money is used to prop up failed firms ? Or do we want to live in a system where people are held responsible for their decisions, where imprudent behavior is penalized and prudent behavior rewarded ? For somebody like me who believes strongly in the free market system, the most serious risk of the current situation is that the interest of few financiers will undermine the fundamental workings of the capitalist system. The time has come to save capitalism from the capitalists.

Non, nous ne voulons pas d'un tel système. L'état doit cesser de prétendre être le garant des mauvais résultats de toutes nos turpitudes, car il ne fait alors qu'aggraver les situations de crise au profit de quelques intérêts bien en cour. Nos adversaires ont beau jeu de dénoncer "le libéralisme triomphant au service des riches" lorsque la complicité de l'état et de profiteurs du capitalisme aboutit à de tels résultats. Ce à quoi nous assistons n'est pas à la faillite du libéralisme sauvé par la main vertueuse de l'état, mais au sauvetage  du "capitalisme de connivence" (crony capitalism) par l'état fédéral américain complice des prédateurs.

Ce n'est pas ainsi qu'une société juste doit fonctionner. Et c'est aussi contre cela que les vrais libéraux se battent.
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Article de L. Zingales repéré grace à Tyler Cowen
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