Magazine Conso

Académisme punk (Le tombeau de Joe Strummer)

Publié le 13 juillet 2007 par Stéphane Kahn
Joe Strummer : The Future is Unwritten
de Julien Temple

Cette année, on fête les 30 ans du punk. Alors, logiquement, Julien Temple revient dans l’actualité cinématographique. D’abord avec un documentaire consacré à Joe Strummer, puis la semaine prochaine avec un long métrage retraçant l’histoire du mythique festival de Glastonbury.

Archiviste du rock, compagnon de route du mouvement punk, on connaît surtout de Julien Temple ses documentaires sur les Sex Pistols : La grande escroquerie du rock n’roll et L’obscénite et la fureur, deux films mémorables qui n’atteignent pourtant pas le point d’incandescence du D.O.A. de Lech Kowalski consacré en 1981 aux mêmes Pistols et à leur tournée américaine de 1978…

Aujourd’hui, donc, Temple se fait gardien du temple en consacrant un (très long) film au plus respecté des punk-rockers. Problème : Strummer est mort et le film ne s’en remet pas.

En effet, il ne suffit pas d’exhumer des images d’une icône rock, de balancer des titres d’Elvis, des Ramones ou du MC5 en ponctuations opportunistes pour signer un film rock. Au contraire, Joe Strummer : The Future is Unwritten s’abreuve au pire académisme : c’est un film mortifère et impuissant sur un artiste dont la musique, elle, demeure toujours incroyablement vivante…

Bêtement linéaire, platement illustratif, le film de Temple voudrait faire "cinéma" alors qu’il sait bien qu’il n’en est pas et qu’il fait surtout penser à un bonus dvd de luxe. Le début, pourtant, fait illusion, avec ce gros plan de Strummer entonnant White Riot en studio, casque sur les oreilles. Il n’y a d’abord que sa voix, puis, au bout d’une minute, les instruments de ses comparses qui se superposent à cette image du chanteur seul dans le plan lors de l’enregistrement d'un titre mythique. C’est donc parti pour deux heures de gentille pédagogie avec le professeur Temple, de la naissance à la mort du leader des Clash.

Problème principal du film : les entretiens obtenus, nombreux, sont évacués, tronçonnés par un montage speedé et peu inspiré où des plans d’archives de toutes provenances viennent trop systématiquement illustrer ce qui est dit. Degré zéro du cinéma. Afféteries inutiles. Jamais l’image ne vient contredire la bande-son, produire une collision stimulante, elle n’est là que pour surligner la parole. L’irruption d’images d’actualités cinématographiques antérieures à la naissance de Strummer, de super 8 familiaux, d’extraits de longs métrages questionnant la société anglaise (La ferme des animaux, If), d’un épisode de Southpark ou de petites animations sommaires paraîtra de la plus grande audace à ceux qui n’ont jamais vu le moindre film expérimental. Mais ce jeu sur l’assemblage d’objets hétéroclites, plein de cinéastes s’y livrent depuis des années et voir Temple s’y appliquer si scolairement – pour relever un peu la sauce télé de son documentaire – fait un peu pitié.

Le pire, c’est cette façon de convoquer la parole de personnalités de la musique ou du cinéma pour légitimer la place et le rôle de Strummer dans l’histoire du rock. On n’avait pas besoin d’eux pour cela, d’autant plus que les intervenants convoqués n’apparaissent parfois que trente secondes et ne disent rien de plus intéressant que les anonymes ou les compagnons de route des premières heures. Alors, c’est sûr, de Flea des Red Hot Chilli Peppers à Bono en passant par Johnny Depp, Jim Jarmusch, Steve Jones, Martin Scorsese, John Cusack, Steve Buscemi ou Bobby Gillespie de Primal Scream, Temple a un bien beau carnet d’adresses. Mais à quoi bon ? Les interventions de tout ce beau monde dans des plans fixes tristement télévisuels – et dont la seule originalité est d’avoir troqué les décors de studios interchangeables dévolus aux interviews pour dvd contre les abords d’un feu de camp boy scout – n’apportent rien, si ce n’est une vague légitimité artistique à laquelle se raccroche assez pathétiquement Temple.

À cette dérive people du documentaire, on préfère évidemment les interventions du guitariste Mick Jones ou du batteur Topper Headon (seul moment vraiment émouvant du film, quand ce dernier raconte comment il a dû quitter les Clash à cause de son addiction à la drogue). Étrangement, Paul Simonon, le bassiste du groupe, immortalisé fracassant son instrument sur la pochette de London Calling, est le seul absent du film. Occupé à faire – réellement – de la musique avec The Good, The Bad and The Queen, peut-être avait-il envie de jouer ses rythmiques au présent plutôt que s’appesantir sur son passé glorieux.

De l’alchimie naissant entre des musiciens, de la création des chansons, Temple ne parle pas. The Clash est génial, Strummer est un type formidable. Tout cela, ce sont des présupposés que le film ne questionne presque jamais. C’est assez frustrant.

Alors, bien sûr, on apprend quelques trucs, on sauve tout de même du film une poignée de témoignages qui ne sont pas toujours tendres avec Strummer (son rôle plus qu’ambigu lors des évictions de Headon et Jones, ses errements artistiques dans les années 80)… mais tout cela n’est rien en comparaison de l’un des plus grands films rock qui soient : Rude Boy, ce brûlot mêlant images documentaires et trame fictionnée que Jack Hazan consacra à un fan des Clash devenu roadie du groupe en 1980. L’âme du punk, l’énergie, les contradictions et la hargne de l’époque, elles étaient là, certainement pas dans ce bien consensuel produit de saison… De là à en conclure que les meilleurs films rock sont – comme D.O.A. de Kowalski, One Plus One de Godard ou Don’t Look Back de Pennebaker – forcément contemporains des épopées qu’ils racontent, il n’y a qu’un accord de guitare…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Stéphane Kahn 209 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines