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Remarques sur le plan Paulson (et ses successeurs)

Publié le 22 septembre 2008 par Loïc Abadie
En matière d'économie, il est à mon avis essentiel de ne pas se contenter d'arguments qualitatifs (par exemple « le plan Paulson va augmenter la dette publique, donc faire baisser le $ »), mais de mettre des chiffres en face de ces arguments, pour voir quel sont les facteurs dominants, et quels sont les facteurs secondaires.
Quelques chiffres utiles à avoir en tête (j'ai pris en compte les dernières données disponibles) :
- PIB US : 14 312 milliards de $.
- Dette publique nette US (ne comprenant pas la dette intragouvernementale, qui n'est pas due aux agents économiques hors état ) : 5300 milliards de $ (38% du PIB environ). C'est ce montant que l'état doit réellement à l'extérieur aujourd'hui (voir
cet article du blog pour plus de précisions).
- Dette totale US : 51 019 milliards de $.

- Actifs de la FED : 900 milliards de $ environ.
Première chose qui saute aux yeux : la dette totale représente près de 10 fois le montant de la dette publique nette : la dette privée domine donc de façon écrasante la dette publique.

Sur le plan Paulson maintenant : 
1) Lien entre plans de relance, dette publique, inflation et déflation.
l'état US met 700 milliards de $ sur la table pour racheter aux banques leurs actifs à risque (surtout des dettes hypothécaires à risque), et les revendre ensuite (sans doute avec des pertes importantes).
Au niveau de la dette publique US, et malgré ces montants en apparence impressionnants, ce plan ne change quasiment rien à la donne actuelle : Admettons (hypothèse ultra-pessimiste) que l'état perde au final 40 % sur ces dettes, ce qui supposerait que tous les emprunteurs à l'origine de ces dettes à risque fassent faillite, et que leurs biens soient revendus avec une perte de 40%...l'état perdrait au final 280 milliards de $.
Le ratio dette publique / PIB serait alors augmenté au final de 2%...la dette nette passant de 38 à 40% du PIB.
Y a-t-il ici sérieusement matière à déclencher une « hyperinflation incontrôlable » ou une "faillite de l'état" ? Pour moi, la réponse est clairement non.
Rappelons un fait historique : au cours de la seconde guerre mondiale, la dette publique US a flambé (temporairement) de 40 à 110% du PIB en quelques années.
Cette flambée autrement plus importante que ce qui est observé aujourd'hui n'a provoqué ni « hyperinflation », ni effondrement du $, ni même poussée d'inflation particulière. Il ne faut pas se focaliser sur des détails (une petite augmentation de la dette publique nette US), mais se concentrer sur l'essentiel : la croissance de la dette totale US qui est en train de caler à cause du crédit crunch en cours, ce qui constitue un évènement puissamment déflationniste, comme cela a été le cas pour le Japon des années 90, qui lui aussi a essayé sa série de "plans Paulson"
Les montants en jeu représentent ici 4000 milliards de $ annuels, soit l'équivalent de près de 6 plans Paulson par an. Le fait essentiel est ici, pas ailleurs !
2) les chances de réussite du plan Paulson, la marge de manœuvre de l'état.
Il y a deux aspects dans ce problème 
a) La capacité de l'état US à contrôler la crise financière au sens strict (solvabilité des banques et institutions financières)
Sur ce point, je pense, comme je l'ai dit que l'état a la capacité au moins partielle de contrôler la crise financière actuelle : Les pertes totales liées aux crédits immobiliers sont de l'ordre de 800 milliards (
voir cet article du blog), on peut arriver à 2000 milliards si on ajoute d'autres crédits à risque : crédits à la consommation, puis plus tard les crédits aux entreprises.
Une partie de ces pertes sera prise en charge par l'état, une autre partie par les autres opérateurs (banques, investisseurs divers détenant des créances titrisées, actionnaires...etc).
Admettons que l'état subisse au total 1000 milliards de pertes (ce qui supposerait un montant de garanties bien supérieur de sa part), la dette publique nette passerait de 38 à 44% du PIB. Ce n'est pas la fin du monde, loin de là.
Même en prenant en compte la dette locale (états et communes), on arriverait aux environs de 60% du PIB de dette publique nette...Beaucoup de pays d'europe (dont la France) en sont déjà à plus de 60%, le Japon dépassant 150%.
b) La capacité de l'état à empêcher la récession et à relancer l'économie et le crédit.
Là mon opinion est tout à fait différente : L'économie US était basée sur un modèle de société non viable depuis le début des années 90, et plus particulièrement depuis le début des années 2000 : 
Ce modèle consistait en gros à inciter les consommateurs à acheter des biens dont ils n'avaient pas vraiment besoin, avec de l'argent qu'ils n'avaient pas, en demandant en prime à leurs fournisseurs (souvent à l'étranger) de bien vouloir acheter leurs dettes pour entretenir le système.
Cela donnait ce que nous connaissons aujourd'hui : une dette globale (principalement privée) qui a flambé de façon incontrôlée, et une économie qui avait besoin de 4000 milliards de dette supplémentaire chaque année pour rester à flot.
Ce modèle est aujourd'hui mort, pour bien longtemps.
L'état est cette fois totalement hors jeu et impuissant : la machine du crédit a calé parce que les consommateurs ne veulent plus (et ne peuvent plus) augmenter leur endettement. Si l'état voulait se substituer à eux, il devrait emprunter 4000 milliards de $ chaque année...les déficits publics flamberaient alors à 30% du PIB, et les créanciers de l'état diraient bien avant « stop » à l'état.
Les dirigeants aimeraient évidemment pouvoir maintenir à flot le système précédent à coup de « plans Paulson », de « plans de relance de la consommation », de « plans de soutiens divers ». Ils aimeraient aussi beaucoup effacer par l'inflation l'ardoise de la dette et monétiser à outrance les dettes en excès...Mais la question n'est pas de savoir ce qu'ils aimeraient faire, mais de savoir ce qu'ils ont les moyens de faire.
A ce niveau, la réponse est à mon avis simple : La relance de la machine du crédit et de l'inflation n'est pas quelque chose que l'état US a les moyens de s'offrir...Toute relance de l'inflation signifierait une hausse des taux longs, et une implosion encore plus rapide de la bulle de dette privée. Les dirigeants testeront sans doute le marché pour voir jusqu'où ils peuvent aller, puis devront ensuite se rendre à l'évidence (par exemple en observant un début de hausse des taux longs). 
Depuis le début 2008, la déflation d'actifs s'est d'ailleurs déjà largement confirmée dans les faits, malgré les nombreux plans de relances, plans de soutien, baisses de taux en tous genres qui se sont succédées : 
- L'agrégat M2, très lié au crédit a vu son rythme de croissance plonger brutalement, et ne progresse à présent même plus au rythme du PIB ou de l'inflation.
Voir ce graphique - La quasi-totalité des actifs a vu sa valeur chuter depuis que la crise s'est intensifiée, malgré le rebond en cours lié au plan Paulson
Voici un tableau résumant ces chutes : 

Immobilier US (indice case-Shiller)

-19% en un an

Actions US (SP500)

 -20% sur les plus hauts

Actions Europe (Eurostoxx)

-26% en un an

Pétrole

-27% sur les plus hauts

Métaux de base (GFMS index)

-25,3% en un an

Mines d'or (HUI)

-28% depuis le 1/1/08 ;

-37% sur les plus hauts

Mines d'or exploratrices

(juniors canadiennes)

-48% depuis le 1/1/08 ;

-67% sur les plus hauts,lien

Fonds or

-32,2% depuis le 1/1/08  

lien(choisir « secteur : or et métaux précieux ».)

argent

-14% depuis le 1/1/08 ;

-39% sur les plus hauts

Seul l'or physique (malgré une récente attaque baissière ) échappe pour le moment plus ou moins à cette vague déflationniste.
 
La déflation globale d'actifs n'est aujourd'hui plus une hypothèse...c'est une réalité pour le patrimoine des opérateurs qui ne l'avaient pas anticipé !


Cette crise sera, espérons le, l'occasion d'en finir avec les politiques économiques néo-keynésiennes et autres avatars du monétarisme qui sévissent dans nos pays occidentaux...Elles ont fait oublier quelques fondamentaux essentiels : La croissance d'un pays s'obtient par le travail, l'innovation technique et scientifique et la formation des citoyens. Elle ne se décrète pas à coup de « plans de relance », de « plans de soutien à la consommation », de bulles spéculatives, de gadgets financiers, de baisses (ou hausses) de taux ou tout autre type de « décret » d'une quelconque banque centrale ! Nos amis chinois le savent...beaucoup de pays occidentaux l'avaient oublié.




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