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5 octobre 1713/Naissance de Denis Diderot

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


  Le 5 octobre 1713 naît à Langres, sur le plateau champenois, Denis Diderot, fils de Didier Diderot, maître coutelier, et d’Angélique Vigneron.

  D’abord élève chez les jésuites de Langres, Diderot poursuit ses études à Paris où il fréquente les collèges Louis-le-Grand et Harcourt. En 1732, il est reçu maître ès-arts de l’Université de Paris. En 1735, bachelier en théologie, il se tourne vers le droit. Le 6 novembre 1743, à Saint-Pierre-aux-Bœufs, dans l’île de la Cité, il épouse clandestinement Anne-Antoinette Champion, la fille de sa lingère.

  Philosophe de renom, animateur ― avec D’Alembert ― de l’Encyclopédie, écrivain polygraphe, Diderot est notamment l’auteur de La Religieuse, roman influencé par la manière de Richardson.

  « Sans doute échaudé par les trois mois de prison qu'il avait passés en 1749 après la publication de la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, Denis Diderot ne publia pas La Religieuse de son vivant. L'édition originale ne vit le jour qu'en 1796. Si l'Église n'a jamais mis ce roman à l'Index, l'État l'a interdit par deux fois, en 1824 et en 1825. »*


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Image, G.AdC


LA RELIGIEUSE

  L’idée de ce roman, liée à un fait divers ayant défrayé la chronique, l’est aussi à des circonstances anecdotiques de salon. Les habitués du salon parisien de Mme d’Epinay s’ennuient de l’absence du marquis de Croismare. Pour persuader le « charmant marquis » de quitter ses terres normandes et de rentrer à Paris, Diderot, Grimm et quelques autres lui adressent la lettre d’une prétendue religieuse qui sollicite sa bienveillance pour l’aider à sortir du couvent où elle est tenue enfermée contre son gré. De cette « mystification » va naître le roman de Diderot.

  À l’automne 1760, Diderot qui s’est pris au jeu de cette correspondance fictive, s’attelle à la rédaction de La Religieuse. Dans une lettre adressée à Mme d’Épinay, Diderot évoque son travail d’écrivain : « Il n’est pas possible de se mettre au lit à 9 heures ; vous en conviendrez. Je fis mettre une bonne chaufferette sous mes pieds, et puis je repris ma Religieuse que je tracassai jusqu’à onze heures. À 11 heures, un petit verre de vin de malaga rouge, délicieux. […] Ensuite un bon oreiller. » Quelques semaines plus tard il confie à sa correspondante :

  « Ce n’est plus une lettre, c’est un livre. Il y aura là-dedans des choses vraies, de pathétiques, et il ne tiendrait qu’à moi qu’il y en eût de fortes. Mais je ne m’en donne pas le temps. Je laisse aller ma tête ; aussi bien ne pourrais-je guère la maîtriser. »

   Le roman se présente sous la forme d’une lettre-mémoire rédigée par la religieuse, Suzanne Simonin, qui confie son histoire au marquis de Croismare dont elle attend le secours. L’occasion pour le philosophe de se livrer ― au-delà de « l’effrayante satire des couvents » ― à une sévère critique de la société de son temps.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


* Nicole Vulser, « La censure de La Religieuse », Le Monde, 26 août 2006.


EXTRAIT DE LA RELIGIEUSE

  J’en étais là lorsque, revenant sur ma vie passée, je songeai à faire résilier mes vœux. J’y rêvai d’abord légèrement. Seule, abandonnée, sans appui, comment réussir dans un projet si difficile, même avec les secours qui me manquaient ? Cependant cette idée me tranquillisa ; mon esprit se rassit ; je fus plus à moi ; j’évitai des peines, et je supportai plus patiemment celles qui me venaient. On remarqua ce changement, et l’on en fut étonné ; la méchanceté s’arrêta tout court, comme un ennemi lâche qui vous poursuit et à qui l’on fait face au moment où il ne s’y attend pas. Une question, monsieur, que j’aurais à vous faire, c’est pourquoi à travers toutes les idées funestes qui passent par la tête d’une religieuse désespérée, celle de mettre le feu à la maison ne lui vient point. Je ne l’ai point eue, ni d’autres non plus, quoique ce soit la chose la plus facile à exécuter : il ne s’agit, un jour de grand vent, que de porter un flambeau dans un grenier, dans un bûcher, dans un corridor. Il n’y a point de couvents brûlés ; et cependant dans ces événements les portes s’ouvrent, et sauve qui peut. Ne serait-ce pas qu’on craint le péril pour soi et pour celles qu’on aime, et qu’on dédaigne un secours qui nous est commun avec celles qu’on hait ? Cette dernière idée est bien subtile pour être vraie.
  À force de s’occuper d’une chose, on en sent la justice, et même la possibilité ; on est bien fort quand on est là. Ce fut pour moi l’affaire d’une quinzaine ; mon esprit va vite. De quoi s’agissait-il ? De dresser un mémoire et de le donner à consulter ; l’un et l’autre n’étaient pas sans danger. Depuis qu’il s’était fait une révolution dans ma tête, on m’observait avec plus d’attention que jamais ; on me suivait de l’œil ; je ne faisais pas un pas qui ne fût éclairé ; je ne disais pas un mot qu’on ne le pesât. On se rapprocha de moi, on chercha à me sonder ; on m’interrogeait, on affectait de la commisération et de l’amitié ; on revenait sur ma vie passée ; on m’accusait faiblement, on m’excusait ; on espérait une meilleure conduite, on me flattait d’un avenir plus doux ; cependant on entrait à tout moment dans ma cellule, on entrouvrait mes rideaux, et l’on se retirait. J’avais pris l’habitude de me coucher habillée ; j’en avais pris une autre, c’était celle d’écrire ma confession.
  Ces jours-là, qui sont marqués, j’allais demander de l’encre et du papier à la supérieure, qui ne m’en refusait pas. J’attendis donc le jour de la confession, et en l’attendant je rédigeais dans ma tête ce que j’avais à proposer ; c’était en abrégé tout ce que je viens de vous écrire ; seulement je m’expliquais sous des noms empruntés. Mais je fis trois étourderies : la première, de dire à la supérieure que j’aurais beaucoup de choses à écrire, et de lui demander sous ce prétexte, plus de papier qu’on n’en accorde ; la seconde de m’occuper de mon mémoire, et de laisser là ma confession ; et la troisième, n’ayant point fait de confession et n’étant point préparée à cet acte de religion, de ne demeurer au confessionnal qu’un instant. Tout cela fut remarqué ; et l’on en conclut que le papier que j’avais demandé avait été employé autrement que je ne l’avais dit. Mais s’il n’avait pas servi à ma confession, comme il était évident, quel usage en avais-je fait ?

Denis Diderot, La Religieuse, in Œuvres romanesques, Éditions Garnier Frères, 1962, pp. 271-272. Édition de Henri Bénac.



DENIS DIDEROT

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Source

Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 1er avril 1966/Interdiction du film La Religieuse de Jacques Rivette (notice + extrait de La Religieuse de Diderot) ;
- (sur Terres de femmes) 14 octobre 1762/Diderot, Lettre à Sophie Volland
(+ Commentaire) ;
- (sur Terres de femmes) 9 septembre 1767/Denis Diderot, Lettre à Sophie Volland ;
- (sur Terres de femmes) 31 août 1811/Mort de Louis-Antoine de Bougainville ;
- (sur Terres de femmes) 4 février 1963/Le Neveu de Rameau au théâtre de la Michodière
(+ extrait du Neveu de Rameau) ;
- une iconographie relative à Diderot.



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