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La fin de l’objectivité ?

Publié le 08 octobre 2008 par Marc Lenot

becher.1223395311.JPGOn s’attend à une exposition sur l’Ecole de Düsseldorf, sur les Becher et leurs disciples, et il y a aussi ici cette exposition-là. Mais le sous-titre de Objectivités (au MAMVP jusqu’au 4 Janvier) est ‘la photographie à Düsseldorf’. On croit d’abord y voir un prétexte un peu spécieux pour rassembler des photographes trop dissemblables, que seule joindrait une proximité géographique; on s’étonne de l’entrée en matière avec Richter et Polke (dont je parlerai davantage après-demain) mais sans Beuys.

La salle pivotale, avec les Becher au centre et les travaux de leurs étudiants

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autour, est une démonstration magistrale de la transformation radicale qu’ils ont apportée à la photographie. La neutralité frontale des photos, la distance entre auteur et sujet, mais aussi l’approche patrimoniale (qui me semble être un héritage en droite ligne d’August Sander) et la démarche sérielle méthodique fondent ce mouvement. A contrario, les sujets, architecturaux chez les Becher, peuvent aussi bien être des portraits ou des groupes, et, si les Becher s’en tiennent au noir et blanc, l’emploi de la couleur, dans les portraits du jeune Thomas Ruff par exemple (Portrait T. Ruff, 1983), ne dilue en rien la force de l’objectivité.

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En suivant l’évolution de ces élèves au fil des salles suivantes, on voit certains d’entre eux abandonner cette posture, s’émanciper de cette objectivité, passer aux très grands formats, faire des photos-peintures, faire de l’effet. Quelle distance, par exemple, entre les photos de souterrains gris et tristes d’Axel Hütte en 1982/84 et ses compositions tape-à-l’oeil en
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Duratrans des années 2000 où le regard ne sait où se poser face à ces jeux grandiloquents de lumière et de reflets (Bibliothèque Nationale II, Paris, 2001; ci-dessus). Et devant les vues romantiques tremblantes d’un Elger Esser (39 Fécamp II, 2007; carte postale colorée), comment ne pas se souvenir a contrario de l’indicialité frontale des paysages industriels photographiés vingt ans plus tôt.
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L’archétype de cette déliquescence de l’objectivité est bien sûr Andreas Gursky, dont les compositions gigantesques (Cathédrale I, 2007) nous déstabilisent : foison de détails (mais faut-il faire si grand pour aller au détail; Chevrier citait Filonov par opposition), incapacité du regard à se fixer, distractions absurdes (comme le petit bateau de Kamiokande).

Mais c’est peut-être justement là que l’exposition trouve sa cohérence, que Gursky rejoint Polke, après un virage à 360° autour de l’objectivité, dans une préoccupation de l’effet, qu’il soit pictorialisme exacerbé ou manipulation du médium, irritant parfois, aux antipodes de la neutralité, de l’indicialité. Seul peut-être Thomas Struth tente à sa manière de maintenir la ligne, de marier attitude héritée et modernité ‘obligée’.

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La fin de l’exposition fait la part belle aux grands formats romantiques, à la débauche emphatique de Candida Höfer, aux compositions expressionnistes superposées de Katharina Sieverding (Etudes visuelles VIII, 2004) et aux instantanés urbains volés de Beat Streuli. On s’y régale d’émotions, de couleurs, voire même de pathos et de plaisir devant un ‘travail bien fait’ et fort séduisant.

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C’est, étrangement une photographe qui ne fut pas élève des Becher qui, in fine, en semble la représentante la plus moderne. Ursula Schulz-Dornburg photographie en rafale le jeu du vent et de la lumière autour de la place Saint-Marc déserte (Rideaux sur la Place Saint-Marc, Venise, 1973), elle photographie à la volée les abribus post-staliniens des routes arméniennes (Arrêt d’autobus, Arménie, Erevan-Yegnward, 1997) et la silhouette fantôme du Mont Ararat proche et inatteignable.
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Elle retrouve cette objectivité systématique que ses collègues ont abandonnée, cette rigueur, cette pureté trop difficiles à préserver aujourd’hui peut-être.

L’autre héritier, dont je parlerai demain, et qui, lui, conserve une dimension sculpturale, minimaliste, est Jörg Sasse, qui présente ici un travail sériel complexe et fascinant.

En conclusion, c’est donc une exposition qui semble d’abord tromper son monde, mais qui finalement pose bien la question dérangeante de la possibilité de l’objectivité aujourd’hui, en y répondant, me semble-t-il, de manière plutôt négative et désabusée.

A signaler ces conférences à l’Institut Goethe, le 4 novembre et le 1er décembre. La première, avec Jean-François Chevrier dans le rôle du misanthrope interviewant Hilla Becher et Thomas Struth et critiquant l’exposition tous azimuts, fut passionnante.

Photos des oeuvres de Thomas Ruff, Andreas Gursky et Elger Esser par l’auteur; autres photos courtoisie du MAMVP. Esser, Gursky, Ruff et Sieverding étant représentés par l’ADAGP, les photos correspondantes seront retirées du blog à la fin de l’exposition.


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