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Détester Barcelone

Publié le 08 octobre 2008 par François Monti

J’ai mentionné il y a peu « Odio Barcelona ». Il m’a tenu compagnie dans l’avion de retour et je dois bien avouer un certain plaisir à acheter à Madrid un livre clamant sa haine de Barcelone. Précisons tout de même que dans ces deux cent pages, la haine est essentiellement propagée par des locaux : ce sont des écrivains et des journalistes nés ou ayant vécus ou vivants dans la capitale catalane qui y expliquent, sous des formes diverses, ce qui ne leur plait dans leur ville.

Selon Ana S. Pareja, qui s’est chargée de la coordination du volume, l’idée de départ était de demander à des auteurs d’écrire sur Barcelone en leur accordant carte blanche. Puisque rien n’unit plus deux personnes que de parler mal d’une troisième, l’axe du recueil a été obtenu sans grand effort. En ce qui concerne le choix des intervenants, il y avait deux critères, finalement aussi peu respectés que ceux de « Mutantes » – est-ce une caractéristique locale que de mettre des règles pour ne pas les respecter ?-- : tous les auteurs devaient avoir vécu à Barcelone (ce n’est pas le cas d’un d’entre eux) et être nés après 1975 (et là, ils sont sept sur douze à ne pas rentrer dans le critère). Ne pinaillons pas : je suppose que ces points ont été déterminés a posteriori pour donner une impression d’unité dans l’ensemble des rédacteurs. Ce n’est pas trop le cas, mais il est indéniable qu’en tout cas la grande majorité des auteurs appartiennent à la nouvelle génération d’écrivains espagnols.

La détestation de Barcelone, vue de l’extérieur, peut sembler étrange : grande ville internationale, dynamique, belle et disposant d’une offre culturelle sans pareille dans le sud de l’Europe, c’est en effet un endroit à la mode. Je ne suis allé là bas qu’une seule fois, pour un séjour de trois ou quatre jours. Oui, la ville est belle et les possibilités offertes sont plus nombreuses que celles de Madrid. Pourtant, c’est la capitale espagnole que je préfère : à Barcelone on a l’impression de tomber dans un district international hyper-cher, où l’on ne parle plus qu’anglais ou français. Le typique n’est que touristique, le naturel semble s’effacer. Par ailleurs, l’internationalisation cache l’assez détestable catalanisation des esprits, un processus qui n’a plus rien avoir avec la revendication d’une culture et d’une histoire propre et qui se transformerait presqu’en un racisme contre le reste du pays en général et ceux qui parlent castillan en particulier. Déjà abordé – et de façon brillante – par Jorge Carrión dans « Mutantes », cette tendance est examinée ici par Eloy Fernández Porta. Óscar Gual travaille aussi dans cette direction là lorsqu’il imagine un questionnaire pour admettre dans la ville ceux qui ne peuvent revendiquer un arbre généalogique suffisamment barcelonais : il faut en effet s’assurer que ne rentrent que des gens adaptés culturellement, de potentiels barcelonais de cœur. Suivent dix situations de la vie locale introduisant une question à choix multiples. C’est une nouvelle hilarante qui met en avant la tension ressenti par l’habitant lambda coincé entre le trop plein de fierté locale et les désagréments causés par une internalisation par trop artificielle.

Plusieurs textes abordent de manière plus ou moins directes les effets de la politique de la ville pour encourager le tourisme, que ce soit celui type city-trip ou celui d’une forme plus culturelle (de Gaudi aux nombreux festivals de musique). Politique d’urbanisation pensée uniquement dans cette optique, aliénation de l’espace urbain aux locaux, transformation de Barcelone en logo (le fameux et omniprésent BCN)… Dans un texte étrange et très sinclairien, Javier Calvo évoque ainsi la nécessité à résister à ce processus mené par des magos negros dont le but est de transformer la ville en musée et en parc à thème, remplaçant le vrai par l’artificiel. Mutatis mutandis, le bruxellois devrait instinctivement comprendre ce que Calvo dit ici. Une fois la géographie même de la ville changée arrivent les visiteurs en nombre. Le seul auteur à ne pas pouvoir se baser sur son expérience personnelle – puisqu’il n’y a jamais vécu – s’installe en divers point de la cité condale et demande aux habitants ce qu’ils n’y aiment pas. Et justement, un certain nombre des réponses obtenues par Agustín Fernández Mallo concerne ces visiteurs étrangers. Une d’entre elles est courte mais va droit au but : « Je déteste Barcelone parce que c’est un parc thématique pour dégobillage d’enfants Erasmus ». Et sans doute aussi pour touristes anglais à peine plus civilisés que ceux de Prague.

Une expression qui revient assez souvent est celle de « capitalisme tardif » (qui, et ça n’a rien avoir avec ce livre, m’a toujours fait beaucoup rire en anglais : late capitalism, c’est-à-dire non seulement un capitalisme du dernier stade mais surtout un capitalisme défunt. Voilà donc presque 70 ans qu’il est en train de mourir… L’agonie est longue). Dans une optique jamesonienne, Barcelone se trouverait bien être un très bel exemple de sa logique culturelle. C’est d’ailleurs ce qu’essaie de montrer Matías Néspolo dans un texte confus et prétentieux (non pas par son ambition mais par son mépris affiché pour certains des co-auteurs de « Odio Barcelona » et son incapacité à esquisser sa thèse de façon convaincante autrement que par des arguments d’autorité). En fait, le lecteur picorera lui-même au fil des pages de l’ensemble du livre les éléments qui appartiennent à cet aspect culturel du capitalisme tardif.

Au final, on dit beaucoup de choses qu’on dira d’autres villes – j’ai lu ici ce que j’ai lu ou entendu ailleurs sur Bruxelles, Paris ou Londres – et on soulignera aussi que seuls trois des contributeurs avaient plus de dix-huit ans lors des JO de 1992 : tout le monde semble considérer que c’est avec ces Jeux que le changement s’accéléra, il parait difficile de croire que ces auteurs ont vraiment connu une Barcelone qui n’était pas une métropolis du tourisme multiculturel de pacotille. Mais là n’est pas l’essentiel : l’important réside dans les textes, très variés, parfois choquants et, pour certains, très bons. A ceux déjà cités de Calvo, Gual, Fernández Mallo ou Fernández Porta (qui examine la haine en général, la haine envers la ville et la haine des Barcelonais envers l’extérieur dans un essai nettement plus convaincant que celui de Néspolo), il convient aussi de mentionner Barcelone le jeu d’arcade de Robert Juan-Cantavella, Barcelone la pute de Llucia Ramis et la déclaration de guerre anti-bohème de Javier Blánquez.

Collectif, Odio Barcelona, Melusina, 17€


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