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Rêveries du chômeur solitaire

Publié le 08 octobre 2008 par Jay

Nouveau job-kleenex trouvé récemment. Le coin est plus déprimant qu’un discours de conseiller fédéral. La gare est un lieu de rencontre pour clodos à chiens, tektonikeurs acnéiques et hiphopeux aux yeux morts. Un flic tous les dix mètres. Ici, l’automne semble avoir pris de l’avance, le vent taillade la face, le ciel est bas et les nuages brouillent les champs gris qui encerclent la zone industrielle. Ian Curtis se serait senti chez lui.

Pour ce que j’en ai compris, mon taff consiste à boucler ce que d’autres n’ont pas eu le temps de terminer. Inspecteur des travaux bâclés. C’est cool. C’est payé peanuts. C’est à des bornes de chez moi. C’est ça ou fourguer des conseils financiers personnalisés. Ca paraît un choix très raisonnable. Mais on commence à douter sérieusement quand on bosse avec l’un de mes collègues - mettons audacieusement qu’il s’appelle Monsieur Propre. Monsieur Propre est très serviable sous des airs renfrognés et stressés. Mais Monsieur Propre pue, c’est indescriptible.

Contrairement à ce que certains pourraient croire, je n’ai jamais entretenu de relations intimes avec des cadavres, ni violé le moindre charognard certains soirs de biture. Mes connaissances olfactives concernant ces populations sont donc réduites. Et pourtant, grâce à Monsieur Propre, j’ai une excellente idée du fumet que peut répandre l’intestin d’un chacal mort.

Beaucoup de puants s’en tiennent à une odeur de transpiration qui évoque l’oignon cuit, ou le chou légèrement fermenté. Déplaisant mais tenable. Monsieur Propre est beaucoup moins classique : l’hypothèse qui s’impose immédiatement, c’est qu’il s’est frotté le torse et le crâne avec un vacherin imbibé d’ammoniaque. A moins d’un mètre de distance, on suffoque. J’ignore comment font les autres pour qu’il ne le remarque pas. Tu as sûrement remarqué que, quand on cause en respirant exclusivement par la bouche, on finit par parler du nez. Peut-être qu’il le sait. Peut-être qu’il s’en fout.

Ces menus détails du quotidien rappellent à quel point on n’était pas si mal que ça au chômage. Je veux dire : le vrai chômage, celui où tu palpes du blé sans en foutre une à part remplir ta feuille grise avec des offres spontanées à la direction de Nestlé ou du Crédit Suisse. Pas le chômage technique, quand tu n’as plus droit à que dalle et que tu tournes en rond dans ton salon en te demandant quoi foutre pour limiter la casse. Le vraî chômage est voluptueux et addictif. Tu développes un amour véritable de la glandouille, jusqu’à ne plus rien savoir faire d’autre que ça.

Si je dis que c’est addictif, c’est pas juste pour le plaisir de caser un mot compliqué, hein. C’est l’adjectif qui convient et puis c’est marre. Parce que je t’explique comment ça marche. Au début, ça va tout seul. Pas de restrictions, tu es ton propre chef, ton agenda c’est tes humeurs. Fatalement tu fais quoi ? Tu te laisses aller à tes envies, et pas celles dont tu causes à ta mère. Tu te farcis jusqu’à trois heures de porno par jour et autant par nuit. Tu commences tes apéros à 14h. Tu te fais l’intégrale de Die Hard en VO sous-titrée et en bouffant tout ton stock de chips paprika. Tu chopes des horaires qui sont à l’exact inverse de ceux des autres bons cons qui eux sont obligés de bosser ou qui aiment ça, les pires donc. Comme tu vis la nuit et dors le jour, ta vie sociale se réduit au même rythme que tes revenus, tu vois plus personne, ça te convient tellement bien finalement que tu te rends même plus compte que ça te demande un effort quasi sportif de sortir pour faire quelque chose de productif.

Et c’est là où tu te prends le truc dans les dents, tu vois ? Quand tu réalises la réalité de cet effort à fournir. Même causer à la caissière qui te facture ton pq, trop dur. Aller taper de l’argent ou des boîtes de conserves à la famille, ce n’est plus vache à avaler à cause de l’égo, c’est vache parce qu’en échange, il faut mettre des vêtements, se déraciner du canapé, faire le trajet et tenir une conversation cohérente pendant des minutes, voire des heures.

Rien foutre et voir personne, au départ c’est un repli sur soi absolument délicieux, une façon de couper les ponts avec tous les blaireaux et les faux amis. Après, c’est un style de vie que tu ne peux plus lâcher sauf sous la pression externe. Comme un job idiot, par exemple. Heureusement, les jobs idiots, et même les jobs intelligents, à notre époque, ça dure rarement plus qu’une ou deux saisons.


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