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Jean-Luc Raharimanana reçu par l'A.R.C.C.

Par Ananda
Hier soir, l'A.R.C.C (*), association dynamique dans son souci de promouvoir les différentes cultures de l'Océan Indien en sus de sa vocation première, qui est de parler de la culture réunionnaise, a invité dans ses nouveaux locaux, pour une présentation de son parcours littéraire, Jean-Luc Raharimanana, poète, essayiste, romancier et dramaturge malgache.
Devant une salle comble, les animateurs Stéphane Hoarau et André Robèr ont d'abord tenté de cerner le personnage dans sa double dimension de militant et d'écrivain. Qu'on se le dise, Raharimanana "n'est pas un auteur de carte postale" mais bien plutôt un "creuseur de démence" qui "nous traîne dans la fange des égoûts" pour mieux nous ouvrir les yeux.
Les deux animateurs réunionnais définissent sa poésie comme une poésie dure, violente, une poésie de "démesure qui se veut l'écho du monde réel", une poésie qui témoigne, dénonce inlassablement les spasmes qui ravagent l'Ile Rouge et l'ensemble du Tiers-Monde, opposés ici au cynique "Tout va bien" hédoniste du monde privilégié du Nord, lequel veut tout sauf regarder, voir ces aspects qui  dérangent son obscène confort  mental.
Après cette introduction, nous entrons dans le vif deu sujet. La parole est directement donnée à l'écrivain malgache qui nous parle de ses racines traditionnelles et, en particulier, des "contes des collines" qui ont bercé sa jeunesse, dans l'ancien village de repos du plus grand des rois de Madagascar, aux alentours d'Antananarivo, et qui, selon lui, ont été à l'origine de sa vocation de conteur.
C'est de façon très prenante, très évocatrice et très touchante qu'il nous fait entrer dans l'univers particulier des contes populaires malgaches, d'où émerge une figure qui l'a marqué profondément et qui l'obsède encore : celle de "l'homme qui ne veut pas avoir été créé", ou encore "l'homme qui ne fut créé par personne".
Pourtant, au bout d'un moment, il revient à d'autres obsessions nettement plus tere à terre : celle de la violence qu'il a eu très tôt l'occasion de côtoyer, sa vie ayant été étroitement liée aux soubresauts politiques et sociaux qui ont secoué son pays; celle de la condamnation du système économique planétaire (rapport Nord/Sud) et du tourisme dont toutes les îles de l'océan indien sont désormais devenues les cibles.
Fils d'un professeur d'université, Jean-Luc Raharimanana a grandi, de son propre aveu, dans un bouillonnement d'idées qui lui a "formé l'esprit" et qui l'a amené à se poser des questions.
Donc, pour lui, rien ne va de soi, tout paraît être problématique.
La langue, en particulier, fait figure de problème central. Dans ses oeuvres, J.L. Raharimanana campe volontiers des personnages "torturés au niveau de la bouche" et s'adonne à une véritable déconstruction de la langue française (notamment dans "Za", "le livre qui zozote"). Son but est, ce faisant, de la faire sienne et de démontrer, comme il le dit si bien, que "la langue française n'est pas simplement la France".
Et d'ajouter : "je voulais rendre cette langue française étrangère à elle-même, en réponse à l'image d'altérité qui m'était renvoyée".
Au final, on voit pointer l'interrogation suprême : "cette langue française est-elle mienne ?"
Rebelle par nature, J.L.Raharimanana, appartenant à la génération à laquelle fut imposée la "malgachisation" en tant qu'idéologie et contrainte, a réagi à cette forme d'oppression en restant attaché à la langue française en tant que langue d'écriture. Même si elle n'est pas "le français des salons littéraires de France" qu'il refuse farouchement, sa langue, dit-il, n'est pas non plus le français que l'on parle à Madagascar. Alors, qu'est-ce ?
Pur produit de la subversion de langage ? Expression totalement originale d'un esprit subversif, qui ne peut que créer du neuf ?
Ce qui est certain, c'est que les livres de J.L . Raharimanana "ont été écrits dans la violence, dans les entrailles".
Après le premier intermède musical très entraînant du guitariste Tao Ravao, Jean-Luc Raharimanana aborde l'aspect franchement militant de son parcours. Ainsi, a-t-il réagi comme il se devait au "discours de Dakar" de N.Sarkozy et à la prétendue "colonisation positive", dans les livres "L'Afrique répond à Sarkozy" et "Dernières nouvelles du colonialisme".
Ainsi, clame-t-il que, partout en général et à Madagascar en particulier,"le huitième péché, c'est la prise de la parole".
Sous l'espèce de la question frontale : "pourquoi ne veut-on pas écouter la parole des Africains ?", l'écrivain malgache dresse un constat.
Il parle avec calme et douceur, mais l'on peut percevoir l'ampleur de son exaspération. Par exemple, il s'empresse de citer, à ce propos, la phrase de Césaire : "Accomodez-vous de moi. Je ne m'accomode pas de vous".
Voici qui est clair : "l'assimilation à la française" a fait son temps.
L'auteur s'aide de ses mots grinçants pour envoyer promener le poids colonial. A peuve...depuis peu, il accepte -enfin- de publier en Malgache. Il a, à présent, pris suffisamment de recul d'avec ses années de formation (marquées   par des professeurs de Malgache qu'il qualifie d' "épouvantables"  autant que par le spectacle non moins atroce de la pauvreté, déclencheuse, selon lui, d'une "émotion trop forte pour la décrire en Malgache").
J.L.Raharimanana le redit : il trouve la langue des contes recueillis par les missionnaires dans les villages "fascinante" et il s'est beaucoup enrichi à la lecture des poètes qui écrivent en langue malgache (surtout de Rabearivelo, dont il goûte le "traîtement de la langue et la sonorité", de Dox dont le "folie" l'enchante et de Ranza Zanamihatra qu'il aime pour son caractère philosophique et son rapport à l'écriture).
Après nous avoir confié -paradoxe des paradoxes- qu'il était arrivé en France dans le but de continuer des études portant sur la langue et la civilisation malgaches, J.L.Raharimanana enchaîne en nous donnant lecture d'un de ses textes écrits dans sa langue maternelle.
Ensuite, encore sous la forme d'une question, il aborde un problème qui, visiblement, le tourmente : "quel poids a l'être seul dans ce pays (Madagascar) ?"
Ce questionnement, selon lui, renvoie à "la question de la prise de la parole". En effet, "dans la société malgache, on ne prend pas la parole comme ça". Il nous explique qu'il y a "des exclus de la parole" et que seuls "l'aîné, l'ancêtre, le sage" ont l'autorisation de parler.
Pour Jean-Luc Raharimanana, comme pour tout Malgache d'ailleurs, la parole implique un grand risque. Il n'hésite pas à la comparer à une sorte de boomerang qui, en certains cas, peut s'avérer carrément "mortel".
A Madagascar "tout kabary (prise de parole) commence obligatoirement par des excuses préalables".
D'où les lancinantes et fascinantes interrogations : "est-ce que ça vaut le coup de parler ?", "Est-ce qu'on peut simplement se dire "je parle en mon nom" ?".
Là, il cite, de façon très révélatrice, René Char, poète qu'il apprécie : "Dis ce que tu as à dire, et meurs pour l'avoir dit pour tous".
Voilà qui peut, certes, faire réfléchir. Et nous ne nous en privons pas.
Car cela implique que le conteur, l'écrivain seraient des martyrs, des sacrifiés en puissance.
Là-dessus, après que Jean-Luc Raharimanana eût signalé qu'il écrivait aussi des paroles de chansons pour le musicien Tao Ravao qui s'empressa de jouer un air, on aborda la dernière partie de la présentation de l'auteur malgache et, avec elle, la place qu'occuppent les femmes dans la société, et dans son monde.
Dans l'oeuvre de J.L.Raharimanana, il est vrai que les femmes apparaissent "toujours meurtries". Elles sont décrites, conformément aux faits de l'histoire malgache actuelle, comme les principales victimes de la pauvreté, de la violence, de la discrimination.
Ainsi, apprend-on que le viol est devenu dans l'île un véritable fléau et que la population des mendiants qui hante les grandes villes est très majoritairement féminine. De même, une famille préfèrera-t-elle toujours la scolarité d'un garçon à celle d'une fille. Raharimanana souligne qu'en situation de pauvreté, c'est toujours sur les épaules des femmes que repose le poids du monde.
Ce sont là des injustices qui, on le sent, révulsent le poète, lequel accouche -une fois de plus !- d'une question : "la culture traditionnelle a porté la femme au pinacle; la femme a donné la vie. Que faisons-nous de la vie ?"
Comment ne pas constater que cet auteur-là est dans le questionnement perpétuel ? Que questionnement et dénonciation sont, si je puis me permettre, les deux mammelles de son oeuvre ?
De là, sans doute, découle la réputation assez sulfureuse qui, dans les pays de l'Océan Indien lui est faite.
Ce qui est sûr, c'est que Jean-Luc Raharimanana fait débat. Il a été même, nous l'apprenons, plus d'une fois aux prises avec la censure (y compris celle de la France).
Ce qui frappe, c'est qu'il assume totalement cette image d'écrivain "provocateur", dérangeant qu'on a tendance à lui attribuer.
Comme il adore, visiblement, les idées qui circulent et les débats, il se régale de celui qui ne manque pas de s'enclencher immédiatement après le dernier morceau musical de Tao Ravo.
Ledit débat, cela n'étonnera personne, tourne autour de la langue, des variantes de la langue malgache, qui font de la grande île un pays si complexe, si interessant.
Finalement, tout le monde tombe d'accord avec J.L Raharimanana lorsqu'il insiste sur l'unité linguistique de l'île rouge.
On est frappé par le calme et par la simplicité de cet auteur malgache, par son goût évident et très agréable du dialogue et de l'écoute.
Chez Jean-Luc Raharimanana, aucune arrogance, aucune pose .
Rien que de la sincérité et de l'esprit de réflexion. Une passion qu'il sait communiquer sans cependant jamais se départir de son sérieux, de sa pondération.


P.Laranco.

(*) Association Réunionnaise Communication & Culture
   162 bis Rue Pelleport - 75020 - Paris.

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