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Les entrepreneurs tunisiens

Publié le 12 octobre 2008 par Anonymeses

Les entrepreneurs tunisiensLes entrepreneurs tunisiens. La difficile émergence d'un nouvel acteur. Un ouvrage de Rabah Nabli (L'Harmattan, coll. "Histoire et perspectives méditerranéennes", 2008, 432 p., 43€)

[à paraître dans Liens socio]

La sociologie des entreprises et des entrepreneurs s'est considérablement développée, depuis une vingtaine d'années, en raison de la place grandissante faite à ces acteurs dans un contexte de valorisation du libéralisme et de montée du chômage. Cet ouvrage s'inscrit dans cette dynamique et fournit une très belle analyse des entrepreneurs tunisiens. Le paysage économique et social tunisien a connu de profondes évolutions depuis les années 1960. Sa population a doublé, passant d'environ 5 à 10 millions d'habitants entre 1970 et 2004. Cette population est jeune et de plus en plus formée, le taux de chômage était de 13,9 % en 2004. L'entreprise (les entreprises personnelles et familiales représentaient en 2004, près de 20% de la population active tunisienne) et l'entrepreneuriat occupent une place centrale dans cette évolution de la société tunisienne, modifiant les relations entre ses institutions et ses échelles de grandeur. Ainsi, durant les années 1960 une nouvelle bourgeoisie, industrielle, a fait place aux grands propriétaires terriens et aux gros commerçants. Son ascension politique et sociale s'est faite grâce au développement de l'intervention de l'Etat, qui a établi des entreprises, dans la plupart des secteurs industriels du pays. Les années 1980 ont été marquées par une privatisation de ces entreprises avec l'ouverture sur l'extérieur, de même que le déclin des industries manufacturières traditionnelles. Le plan d'ajustement structurel appliqué en particulier aux pays en développement et, l'ouverture croissante de l'économie dans un contexte concurrentiel, a placé la bourgeoisie industrielle dans une position revalorisée.

La force de cet ouvrage très complet (on compte 6 chapitres) est de rompre avec les démarches prenant le parti d'étudier le comportement entrepreneurial comme un objet en soi, clos sur lui-même, pour, au contraire, le resituer dans une analyse sociologique beaucoup plus large. Le premier chapitre de préalables épistémologiques s'attache à définir la notion d'entrepreneur, en s'appuyant sur les travaux des auteurs classiques et contemporains. L'affaiblissement des valeurs traditionnelles, des rapports sociaux statutaires et de la domination masculine avec, parallèlement, l'individualisation croissante de la société tunisienne ont contribué à éloigner les entrepreneurs de leur classe ou de leur communauté d'origine, en les rapprochant d'un réseau local, familial, associatif ou professionnel. Dès lors, l'hypothèse centrale de l'auteur repose sur l'efficacité économique et le caractère premier dans l'acte d'entreprendre de l'existence de réseaux familiaux, communautaires ou locaux.

Dans le deuxième chapitre intitulé « Entrepreneurs et temporalité socioéconomique » Rabah Nabli insiste sur la forte disparité des parcours d'entrepreneurs, s'appuyant sur des récits d'histoire individuelle. Leur intérêt est de rendre compte des logiques des entrepreneurs, de leur rapport au monde social et au monde du travail et d'éclairer leur parcours professionnel et entrepreneurial. Ainsi, un ancien salarié de la Société Nationale des Chemins de Fer Tunisiens, patron d'une fonderie de 25 personnes, exprime son rejet de la condition salariale qui «  en tant que forme de répartition de la plus-value cache très mal l'exploitation de l'homme par l'homme dans le cadre de l'exploitation capitaliste ». Ce dernier préfère « bien entendu exploiter les gens et vivre dans un minimum de confort, que d'être exploité et vivre dans la misère ».Toujours pour cet entrepreneur, la famille est bien mieux adaptée aux relations de travail, car elle repose sur la solidarité et la confiance. Parallèlement, ce chapitre aborde la question du contexte et de son impact sur la phase d'émergence des entreprises tunisiennes. Les éléments économiques, sociologiques, et politiques influencent directement la nature et la forme que prennent ces entreprises.

Le chapitre 3 « Entrepreneurs et structures communautaires » montre le rôle de la culture locale et communautaire dans l'entrepreneuriat tunisien. La mondialisation économique et culturelle ne conduit pas à une uniformisation des particularités. Ainsi, les entrepreneurs réagissent différemment aux nouveaux enjeux que crée la mondialisation, en fonction de leur communauté d'origine et de leur culture. Ceci s'explique par le fait que les relations économiques s'appuient en premier lieu sur les relations familiales et communautaires. De la même manière, les valeurs qui animent les entrepreneurs des secteurs agricoles comme industriels sont marquées par les valeurs du monde rural. Les valeurs familiales favorisent l'émergence des entreprises ou leur transmission, mais elles empêchent ensuite leur développement.

Les chapitres 5 et 6 mobilisent l'analyse des réseaux sociaux pour éclairer les parcours d'entrepreneurs tunisiens et le contexte dans lequel ils s'inscrivent. Rabah Nabli ne réduit pas le champ de ces réseaux aux strictes relations économiques de l'entreprise, de manière à ne pas « enfermer l'entreprise sur elle-même », ni « de considérer le comportement entrepreneurial comme un objet en soi ». Le cas d'un des plus gros industriel de Tunisie permet d'illustrer cette analyse. Cet industriel qui a un diplôme de l'école de mines française, a pu bénéficier de relations nouées au moment de ses études, pour conclure bien plus tard, un partenariat avec une multinationale française. De la même façon, son passage dans la fonction publique tunisienne lui a permis de diversifier son capital social, qu'il a ensuite mobilisé dans ses affaires.

L'ouvrage propose ainsi un tour d'horizon très complet du monde entrepreneurial tunisien, articulant efficacement l'analyse macro et micro-sociologique.

par Benoit


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Rabah NABLI
posté le 06 novembre à 09:22
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Je voudrai bien remercier Monsieur Bénoit Ladouceur pour l'article rédigé au sujet de mon livre:"Les entrepreneurs tunisiens ou la difficile émergence d'un nouvel acteur social".En effet, cet article rend compte suffisamment bien des principales idées développées ,dans ce livre, au sujet de l'entreprendre dans un contexte non occidental.

Cordialement Rabah NABLI

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