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Faillite et protection des travailleurs

Publié le 16 octobre 2008 par Duncan

CJCE, Arrêt du 16 octobre 2008, C-310/07, Holmqvist.

Arrêt particulièrement intéressant rendu par la Cour de Justice ce jour qui permet à la Cour de distinguer entre la notion "d'établissement" et la notion "d'activités" dans le cadre de la protection du travailleur en cas de la faillite de son entreprise.
La directive 80/987 (dans sa version consolidée, c'est-à-dire mise à jour, de 2002) organise la protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur, notamment quant à la récupération des salaires encore dus.
La question posée dans cet arrêt peut se résumer simplement. M. Holmqvist est un chauffeur routier employé par une société établie en Suède. Son travail de livraison s'effectue principalement en Italie, en passant par l'Allemagne et l'Autriche. Sa société fait faillite et, lorsque M. Holmqvist demande à bénéficier de la garantie suédoise de versement des salaires, elle lui est refusée par les autorités suédoises au motif qu'il ne travaille pas principalement en Suède. En effet, la directive susmentionnée prévoit, en son article 8 bis, que si l'activité de l'entreprise s'étale sur plusieurs pays, l'Etat compétent est celui du lieu de "travail habituel" du travailleur. La Suède considère donc (i) que cette entreprise a des activités sur plusieurs Etats membres et que (ii) ce chauffeur n'exerce pas son activité principale en Suède.
La Cour suédoise saisie interroge la Cour de Justice sur la portée de l'article 8 bis de la directive précitée. Il convenait plus précisément de définir à partir de quand une entreprise peut être considérée comme ayant une "activité" sur le territoire de plusieurs Etats membres et, ensuite, de définir la notion de "travail habituel".

Sur la question "d'activités sur le territoire" de deux (ou plusieurs) Etats membres, la Cour va adopter une interprétation large de la notion en se fondant sur l'objectif poursuivi par l'article 8 bis, introduit en 2002, à savoir "assurer la sécurité juridique des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité des entreprises exerçant leurs activités dans plusieurs États membres et de consolider les droits des travailleurs dans le sens de la jurisprudence de la Cour".
Pour ce, et afin de garantir cette interprétation large, elle va s'écarter de la notion classique "d'établissement" qui exige une présence physique permanente. Elle justifie ce choix, pour le surplus, par le fait que la proposition de la Commission ayant introduit un article 8 bis visait au départ explicitemment cette notion d'établissement pour finalement être abandonnée au profit de la formule, plus vague, "d'activités sur le territoire de deux Etats membres". Ceci prouve la volonté du législateur de ne pas recourir à cette notion.
Ceci étant posé, la Cour va malgré tout considérer que la situation en cause ne satisfait pas au critère établi par l'article 8 bis:
"Bien que cet article n’implique pas des conditions strictes de rattachement, mais vise un lien plus faible qu’une présence de l’entreprise par l’intermédiaire d’une succursale ou d’un établissement stable, il n’y a pas lieu pour autant de suivre le raisonnement du gouvernement suédois selon lequel il suffirait qu’un travailleur effectue une forme quelconque de travail dans un autre État membre pour le compte de son employeur, et que ce travail résulte d’un besoin et d’une instruction de celui-ci, pour qu’une entreprise soit considérée comme ayant des activités sur le territoire de cet autre État membre" (point 29).
Ceci étant dit, la Cour va s'atteler à définir, d'abord négativement, la notion d'activités. Ainsi, elle écarte l'argument de la Commission selon laquelle cette notion requiert malgré tout un minimum d'infrastucture physique sur le territoire des différents Etats: "compte tenu des changements récents intervenus dans les conditions de travail et des progrès du secteur des télécommunications, il ne saurait être soutenu qu’une entreprise doit nécessairement disposer d’une infrastructure physique pour assurer une présence économique stable dans un État membre autre que celui où elle a établi son siège social" (point 32).
La Cour insiste plutôt sur la présence "économique stable, caractérisée par l’existence de moyens humains lui permettant d’y accomplir des activités" (point 34). On le voit, la Cour modernise cette notion: le développement de la société de l'information, du télétravail, permet à une entreprise d'avoir une activité considérable dans un grand nombre d'Etats membres sans pour autant que cela ne se traduise par des bureaux, des immeubles ou, plus généralement, par une infrastructure physique permanente. Alors que la notion classique d'établissement reste très attachée à ce genre de critères, la notion "d'activités" est quant à elle nettement plus souple.
Toutefois, une simple compagnie de transport ne satisfait pas à cette définition "d'activités", puisque "la simple circonstance qu’un travailleur engagé par cette entreprise dans cet État effectue des livraisons de marchandises entre ledit État et un autre État membre en traversant d’autres États membres ne saurait permettre de conclure au respect du critère [de "moyens humains"] et ne suffit donc pas pour que ladite entreprise soit considérée, aux fins de l’article 8 bis de la directive 80/987, comme exerçant des activités ailleurs que dans l’État membre dans lequel elle est établie" (point 35). Le fait de traverser plusieurs Etats avec un camion, même de manière fréquente, ne suffit donc pas. Il faut également ajouter à cet égard que si M. Holmqvist se chargeait de la livraison des produits en Italie, il n'en assurait pas le déchargement qui était à la charge de travailleurs locaux équipé de leur propre matériel, sous sa simple supervision. Si société suédoise avait engagé des travailleurs en Italie et acheter du matériel pour assurer le déchargement de ses camions, la solution de cet arrêt eut sans doute été bien différente.
Dès lors, l'argument du gouvernement suédois tombe à l'eau. L'entreprise en faillite en cause n'ayant pas d'activités dans plusieurs Etats membres, l'article 8 bis ne s'applique dès lors pas. En conséquence, cet Etat ne peut faire application du critère de "travail habituel" pour écarter M. Holmqvist du bénéfice de la garantie.

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