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Vous revoir

Publié le 20 octobre 2008 par M.

Qu’il me fût doux de vous revoir, et votre sourire et votre regard n’avaient rien perdu de leur tendresse. C’était l’automne, vous souvenez-vous ? Les feuilles mortes couvraient les pavés et je plaisantais sur vos chaussures à talonnettes qui vous permettaient d’être enfin plus grand que moi. Nous avions bu un chocolat au petit café de l’Utopia et le cigare que vous fumiez avait fait fuir nos voisins de table – pour notre plus grand plaisir car nous gardions férocement le secret de nos conversations. A l’université déjà, j’attendais que tous soient sortis pour venir vous parler. Je vous livrais mes idées pour que vous les structuriez, et mes impressions pour vérification.

Ce jour-là, comme tous les autres, vos mots étaient sages et bons. Ils ricochaient sur mes phrases maladroites, orientaient mes pensées perdues et leur lumière venait gommer le flou de mes imprécisions. Vous rendiez ma langue meilleure, vous l’aviez toujours fait. Vous me disiez alors que j’étais une aube, timide mais certaine, vous me compariez, non sans ironie, à un pâle matin de printemps, frissonnant encore d’un hiver tenace. Et je me moquais gentiment de votre poésie, vous soupçonnant, avec cette ironie que vous m’aviez transmise, d’être amoureux. Le professeur et son élève est un fantasme inévitable, plaisantiez-vous.

De ces années étudiantes, je n’avais gardé que vous. Vos précieux conseils, vos nombreuses leçons, votre humour so british et surtout, surtout, votre voix rauque et grave qui nous envoûtait tous. Et les mardis soirs dans ce pub place Sainte Anne où nous lisions Shakespeare en l’arrosant de bière. Du Scotch, pour vous. My kingdom for a horse récité par le barman ivre, debout sur le comptoir. Et l’odeur du cigare, le lundi matin à dix heures, qui se diffusait dans les couloirs pour nous rappeler que vous nous attendiez. Je n’étais jamais en retard, déjà à l’époque je ne boudais pas mon plaisir.

Lorsque je quittai de façon soudaine l’université, vous me m’avez pas caché votre désapprobation. Vous vouliez me voir fouler le bois de cette estrade sur laquelle vous aviez passé tant d’années. Vous disiez que je jettais vulgairement le flambeau que vous m’aviez remis, et j’étais triste de vous décevoir ainsi. Alors quand je reçus cette lettre – vous l’aviez envoyée chez mes parents – me prévenant d’une prochaine inspection des travaux finis, une interrogation orale en bonne et dûe forme, mémoire et thèse sur mes dernières années, je m’en réjouissai comme d’un Noël avant l’heure. Et vous étiez venu, à l’heure au rendez-vous, avec ce même duffle coat sur les épaules, une canne en plus à votre main droite. Vous disiez que c’était pour l’allure…

A la fin du dîner, vous m’aviez annoncé que vous rammeniez votre épouse, votre vieux chien, votre canne et vous-même en Angleterre. Vous aimiez notre pays, son soleil et sa douceur, son pain et ses sourires, mais vous vouliez mourir chez vous, et la mort ne sonne pas toujours deux fois… plaisantiez-vous encore. Vous m’aviez alors invitée à venir vous visiter dès que l’occasion m’en serait donnée.

J’ai honte d’avouer que je suis venue à Londres l’an dernier, j’ai foulé votre terre sans faire le détour promis. J’ai honte et j’ai mal car j’ai appris cet été, par ma soeur étudiante à la même université, que le cancer vous avez emporté. Le cigare…


Qu’il me fût doux de vous revoir, c’était l’automne, vous souvenez-vous ? Et quand la brûme flotte sur nos matins je vous imagine vous, un livre corné entre les mains, assis sur un nuage et soufflant sur la terre la fumée de votre cigare.

  

  

  

  

  

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