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Le secret des poignards volants (Shi mian mai fu)

Par Sylvainetiret
Vole, pigeon, vole !
Est-on certain de repérer tous les codes quand le message vient d’aussi loin ? Est-ce que le jeu des couleurs en extrême orient fait appel au même référentiel que celui qui a cours sous nos latitudes ? Est-ce que le rythme des saisons met en jeu les mêmes émotions et les mêmes pré requis que ceux qui peuplent nos mémoires ? Allez savoir ! Le fait est que le résultat produit un drôle d’écho et ce n’est déjà pas si mal. Peut-être pas celui que le réalisateur avait prévu, mais après tout tant pis. Ou peut-être qu’il l’avait prévu quand même : la Chine a une certaine histoire de contact avec l’occident, ne serait-ce que par Honk Kong et Macao interposés. Dire que le contact fonctionne dans les deux sens et que le détail de la sensibilité chinoise nous est comme un livre ouvert serait par contre bien exagéré. Et finalement, que Zhang Yimou s’y retrouve, c’est peut-être bien possible. Que ses compatriotes soient dans le même cas est sûrement plus improbable. Mais au fond, est-ce que ça a une importance ? On est là, on regarde, on vibre ou pas, et c’est déjà ça. On se lasse, alors tant pis, et on passe à autre chose ; on reste collé au fauteuil et le pari est gagné, orient extrême ou pas. Affiche France (cinemovies.fr)

L’histoire est en elle-même relativement classique, se déroulant dans la Chine du XIXième siècle. Pour atteindre le Clan des Poignards Volants, rebelle à son autorité, un potentat local qu détient prisonnière une jeune femme aveugle, Mei (Zhang Ziyi), membre du clan, fait organiser son évasion sous surveillance. Jin (Takeshi Kaneshiro), un de ses capitaines prendra le rôle du complice qui escortera la jeune femme durant son voyage de retour et la défendra contre les fausses attaques des troupes lancées à leur poursuite sous la direction d’un second complice, Leo (Andy Lau) , capitaine des gardes. Durant le voyage, les embûches sont nombreuses, avec les interventions parasites de troupes annexes qui ne sont pas dans la combine et qu’il faudra défaire. C’est également l’occasion pour les deux fuyards de développer un sentiment mutuel qu’ils tentent alternativement de maîtriser. Arrivant sur les terres du clan, une succession de révélations rend la situation de plus en plus complexe pour les deux jeunes gens, pris dans un tourbillon tragique entre leurs fidélités à leurs clans respectifs et le chamboulement de leurs émotions.

Affiche USA (cinemovies.fr)

Sous nos cieux, le film serait classé dans le genre cape et épée, mêlé d’un zeste de fantastique, comme c’est souvent le cas dans ce type de production orientale. La taille du zeste variant naturellement d’une production à l’autre. Ici, le zeste se limite quasiment aux séquences de combats dont la réalité est plus proche d’une chorégraphie bondissante et aérienne quasi mystique que d’un réalisme sourcilleux. On est loin des westerns ou des aventures de la Tulipe Noire. On est en revanche bien plus en écho à une sorte de Matrix médiéval. Les gestes sont lents, posés, réfléchis, comme issus d’une longue et profonde méditation, jusqu’à ce que le passage à l’action les libères soudainement, comme livrés à eux-mêmes et fruits d’un entraînement qu’on devine minutieux et acharné, où le geste n’est plus que le flot non retenable déclenché par la décision d’agir. Comme la libération des eaux à la rupture d’un barrage, rien ne pouvant plus l’interrompre jusqu’à leur tarissement. Et pourtant, magie de l’orient millénaire et cérébral, alors que l’on croyait le flot justement immaîtrisable, l’action s’arrête subitement, se fige, comme dans une respiration, avant de reprendre en une explosion de combat chorégraphié. Mélange de puissance invincible, d’autant plus évocatrice qu’elle est toute en fluidité au lieu de la force brute du rustre, et de capacité contenir et canaliser ce qui semblait sans limite. La caméra n’est alors là que pour souligner le virevoltant mouvement, ou pour contourner, comme circonscrire, la scène figée où chacun reprend son souffle et ses repères.

Affiche USA (monkeypeaches.com)

Dans ce ballet, le temps n’a plus cours, en tout cas plus de la même façon que dans notre monde de glaise et de sang. Il accélère, ralentit, se déplace, s’immobilise, déferle. Les combats peuvent durer une fraction de seconde ou s’étaler sur plusieurs saisons, cela n’a que peu d’importance. Les blessures s’ouvrent s’oublient, se referment, sans qu’une basse raison matérielle ait besoin d’y être convoquée. Les épées volent, les flèches décollent, les lances se plantent, les poignards virevoltent, à un rythme qui doit plus à la métaphysique qu’à la rationalité, mais nul ne l’attendait. On aurait naïvement pu croire ce tourbillonnement réservé à quelque tradition nippone du manga, mais il n’en est rien. Même sur l’autre rive de la Mer de Chine voltigent des héros épiques et chevaleresques. On aurait naïvement pu croire les péripéties matriciennes copiées de quelque jeu vidéo issu des cauchemars d’un graphiste de l’Empire du Soleil Levant. Il n’en est rien, l’Empire du Milieu contre-attaque, ou plutôt sort de sa torpeur. D’autres l’avaient déjà annoncé : Quand la Chine s’éveillera … On voit le résultat.

Affiche Chine (monkeypeaches.com)


Et lorsque ces aventures sont capturées par une pellicule maîtrisant couleur et lumière avec talent, le résultat est presque sans surprise. Encore une fois, il est probable que notre œil de sauvage occidental ne saisit de cette palette de couleurs que l’aspect immédiatement esthétique, là où le regard asiatique saisit tout une gamme de symboles mystérieux. Mais il faut bien un début à toute chose.
Reste à remplir de nos propres contenus cet édifice symbolique livré clés en main mais aussi vierge que la plus magnifique coquille vide. Marcel Mauss nous avait préparé à côtoyer le « mana » polynésien, cette enveloppe symbolique pure, disponible à chacun pour y inclure les significations qui lui importent. On est devant cette cinématographie comme devant ce mystère polynésien, à la fois fasciné et relégué en marge d’un monde qu’on sait être là sans le connaître vraiment, aux risques de n’accéder définitivement qu’à sa forme ou de n’y projeter que nos propres références sans finalement rien y apprendre sur nous-même ou sur le monde.

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