Changement d’époque

Tout changement est paradoxal car il est l’effet d’un mouvement passé qui devient la cause d’un présent neuf. Il est le fruit d’une continuité qui introduit une rupture. Rien de ce qui arrive aujourd’hui n’est compréhensible sans les mentalités d’hier ; mais cela se produit de telle sorte qu’aujourd’hui ne ressemblera plus à hier et abolira sans doute ce qui l’a fait naître.

C’est cette ambivalence du changement par laquelle il tient à la fois de l’ancien et du nouveau qui crée l’inquiétude. Car si les anciens repères disparaissent avant que les suivants ne soient perceptibles, on ne peut encore que penser en fonction d’eux. Le sentiment de malaise ne vient pas seulement de la perte des repères, mais aussi de ce que l’on continue de se fier à eux en se projetant dans ce qui n’est pas encore. L’ancienne grille d’intelligibilité, sans plus être pertinente, demeure et rend d’autant moins visible celle qui est en train de naître.

Ce mouvement par lequel une époque, rompant avec les racines qui l’expliquent, succède à une autre, est ce que Hegel appelle une période de transition, le passage d’une époque à une autre. Alors, l’esprit d’une époque meurt tout en restant vivace au sein d’une autre dont l’esprit n’est encore qu’embryonnaire. C’est donc la décadence d’un monde doublée de l’inintelligibilité du présent qui crée la méfiance et la peur. A l’inverse, seul ce qui est complètement déterminé est exotérique, dit Hegel.

Et pourtant, comme l’indique l’expression et comme le veut toute histoire des événements, le nouvel esprit est bien en marche, il croît en silence et en profondeur. Quoique paraissant aussi fragile que l’enfant qui vient de naître, il n’en a pas moins la solidité des fondations d’un bâtiment sur le point de se construire. C’est un petit gland se préparant à devenir vigoureux comme un chêne…