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La mort de l'Empire américain

Publié le 30 octobre 2008 par Tanjaawi

«Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que le sont les armées» (Thomas Jefferson, président américain. 1743-1826)

Les États-Unis s’autodétruisent et entraînent le reste du monde avec eux.

Les États-Unis se meurent. Ils s’autodétruisent et entraînent le reste du monde avec eux.

On dit souvent qu’il s’agit d’un effondrement du crédit hypothécaire à risque, ce qui voile la vraie raison de la crise. En l’associant à la crise des hypothèques pourries, inutiles et tangibles, on peut au moins blâmer quelque chose de « réel » pour le carnage. C’est un mythe, voilà le problème. L’ampleur de cet effondrement financier est due au fait que tout était basé sur du vide.

L’industrie financière a renommé les créances garanties « swap sur défaillance » et les paris risqués « produits dérivés ». Les directeurs financiers et les cadres du milieu bancaire vendaient l’ultime escroquerie au monde entier à l’instar des charlatans vendant leurs remèdes au 18e siècle, mais cette fois-ci en vestons et cravates. En octobre 2009, cette industrie, que peu de gens arrivaient à comprendre, atteignait les quatrillions de dollars (1000 milliards).

Soutenus par de faux espoir, les États-Unis tombent maintenant comme un château de cartes.

Tout a commencé au début du 20e siècle. En 1907, J.P. Morgan, un banquier privé de New York, a propagé une rumeur voulant qu’une grande banque concurrente, sans dire laquelle, était sur le point de sombrer. C’était une fausse accusation, mais les gens sont tout de même accourus à leur banque pour retirer leur argent, craignant que celle-ci ne soit l’objet de la rumeur. Comme ils retiraient leurs fonds, les banques ont perdu leurs dépôts en argent et ont dû rappeler leurs prêts. Les clients devaient alors payer leurs hypothèques afin que les banques aient des revenus, un processus qui les menait à la faillite. La panique de 1907 a provoqué un krach incitant à la création de la Réserve fédérale, un cartel bancaire privé avec le vernis d’une organisation gouvernementale indépendante. En réalité, c’était un coup des banquiers d’élite dans le but de contrôler l’industrie.

La loi signée en 1913 autorisait la Réserve fédérale à prêter et imprimer l’argent de la nation, mais avec intérêt. Plus elle imprimait d’argent, plus elle générait ses propres revenus. De par sa nature, la Réserve fédérale était vouée à produire à jamais des dettes pour survivre. Elle a pu imprimer la réserve monétaire à sa guise, en contrôlant sa valeur. Pour en contrôler la valeur, il fallait toutefois garder l’inflation à l’œil.

La Réserve fédérale a alors doublé la réserve monétaire américaine en l’espace de cinq ans et a rappelé un pourcentage volumineux de prêts. Plus de 5 000 banques se sont effondrées au cours de la nuit. Un an plus tard, la Réserve fédérale a de nouveau augmenté la réserve monétaire de 62 %, mais en 1929, elle a une fois de plus rappelé une quantité importante de prêts. Cette fois, le krach de 1929 a ruiné plus de 16 000 banques et fait plonger la bourse de 89 %. Les banques privées et bien protégées dans le système de la Réserve fédérale ont pu rafler les banques ruinées pour presque rien.

Le pays est entré dans la grande dépression, et, en avril 1933, le président Roosevelt a promulgué un décret confiscant tous les lingots d’or détenus par le public. Ceux qui refusaient de rendre leur or étaient emprisonnés pendant dix ans, et à la fin de l’année, l’étalon-or était aboli. On a remplacé ce qui était autrefois remboursable en or par du papier monnaie ayant cours légal, et l’or ne pouvait plus être échangé pour de l’argent comptant comme avant.

Plus tard, en 1971, le président Nixon a complètement aboli l’étalon-or, et, par conséquent, le dollar a cessé de se transiger au prix international fixe de 35$. Les États-Unis décidaient alors de la valeur du dollar US parce qu’il valait autant que l’or. Il n’avait aucun standard de mesure et est devenu la monnaie universelle. Les bons du Trésor (obligations à court terme) et les obligations (à long terme), c’est-à-dire les billets du gouvernement étasunien payés par les contribuables, ont remplacé l’or comme valeur. En outre, l’or étant exempt des exigences relatives aux déclarations, contrairement aux systèmes monétaires fiduciaires occidentaux (basés sur la fiducie), on ne pouvait le retracer. Ce n’était pas dans le meilleur intérêt des États-Unis.

Après la grande dépression, les banques privées craignaient toujours de faire des prêts hypothécaires. Roosevelt a alors créé Fannie Mae, une banque de financement hypothécaire subventionnée par l’État et fournissant des fonds fédéraux afin de financer des hypothèques pour des logements abordables. En 1968, le président Johnson a privatisé Fannie Mae, et en 1970, Freddie Mac a été créée pour lui faire compétition. Les deux achetaient des hypothèques des banques et autres prêteurs et les vendaient à de nouveaux investisseurs.

Le boom qui a suivi la Seconde Guerre mondiale avait créé une Amérique débordante d’argent et d’actifs. En tant que complexe militaro-industriel, les États-Unis ont profité de la guerre de façon exponentielle, et, contrairement à tous les empires de l’histoire, le pays s’est hissé au rang de superpuissance. Mais il a oublié qu’historiquement, l’ascension des empires est proportionnelle à leur déclin.

Les Étasuniens pouvaient se permettre toutes les commodités modernes, en exportant leurs biens manufacturés à travers le monde. Après la guerre du Vietnam, les États-Unis ont vécu un déclin économique, mais les gens répugnaient à abandonner leur niveau de vie élevé en dépit des pertes d’emplois, et la production était envoyée de plus en plus à l’étranger. Un sentiment illusoire et de droit acquis a gardé les Étasuniens sur le tapis roulant de la consommation.

En 1987 la bourse étasunienne a plongé de 22 % en une journée en raison des transactions de contrats à terme standardisés à haut risque, appelés « produits dérivés », et, en 1989, la crise de la Savings & Loans a amené le président George H. W. Bush à utiliser 142 milliards de dollars de l’argent des contribuables pour sauver la moitié de la S&L. Pour ce faire, on a donné à Freddie Mac la tâche de donner des hypothèques à risque (ou subprime, en deçà du taux préférentiel) à des familles à faible revenu. En 2000, « l’exubérance irrationnelle » de la bulle technologique a éclaté et 50 % des entreprises de haute technologie ont fait faillite, rayant cinq billions de dollars de leur valeur marchande exagérée.

Après la crise, Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale, a maintenu les taux d’intérêt si bas qu’ils étaient en deçà de l’inflation. Tous ceux qui épargnaient leurs revenus perdaient de l’argent en réalité, et le taux d’épargne est vite tombé dans le négatif.

Durant les années 1990, les publicitaires se sont activés intensément, mettant en marché un style de vie encore plus luxueux, disponible grâce au crédit facile et peu coûteux. Les secondes hypothèques sont devenues monnaie courante et les prêts d’accès à la propriété servaient à payer les comptes de cartes de crédit. Plus les Étasuniens achetaient, plus ils s’endettaient. Mais tant qu’ils possédaient une maison, leur faux sentiment de sécurité persistait : leur maison était leurs capitaux propres, sa valeur augmenterait sans cesse, et ils pouvaient toujours réhypothéquer à des taux moindres si nécessaire. L’industrie financière croyait aussi que les prix de l’immobilier augmenteraient continuellement, et que s’ils devaient chuter, la banque centrale baisserait les taux d’intérêt afin de faire remonter les prix. Tout le monde croyait qu’il s’agissait d’une situation gagnant-gagnant.

Le niveau le plus bas des taux d’intérêt de M. Greenspan permettait à tout le monde d’avoir une maison. Les travailleurs au salaire minimum ayant l’ambition d’acheter une maison d’un demi-million de dollars étaient en mesure de garantir des prêts de 100 %, et les prêteurs étaient tout à fait conscients qu’ils ne pourraient pas continuer à payer.

Tellement de gens ont reçu des prêts à risque que les sociétés de placement et les prêteurs ont trouvé une nouvelle manigance : rassembler ces prêts hypothécaires virtuellement sans valeurs et les vendre à titre d’investissement à des pays non avisés qui ne verraient pas la différence. Le mode de vie excessif des Étasuniens et le consumérisme n’en ont jamais souffert, et le tout était financé par des nations étrangères pas plus judicieuses.

Les banques ont toujours prêté plus d’argent qu’elles n’en possédaient, parce que le paiement d’intérêts génère leur revenu. Plus une banque prête, plus elle perçoit des intérêts, même sans argent dans la chambre forte. C’est une industrie lucrative de donner de l’argent que l’on ne possède pas au départ. Les banques de crédit hypothécaire et les sociétés de placement ont même emprunté de l’argent sur les marchés monétaires internationaux pour financer ces prêts hypothécaires à risque à 100 % et plus, et ont commencé à prêter plus de dix fois leurs actifs sous-jacents.

Après le 11 septembre, George Bush a dit à la nation de dépenser et, en pleine guerre, c’est ce que la nation a fait. Elle a emprunté à des niveaux sans précédents afin de payer non seulement sa guerre au terrorisme au Moyen-Orient (coûts estimés à quatre billions de dollars), mais aussi ses baisses d’impôts au moment même où ces impôts auraient dû être haussés. Bush a diminué les réserves obligatoires de Fannie Mae et Freddie Mac de 10 % à 2,5 %. Elles étaient libres non seulement de prêter encore plus, à des taux d’intérêt à leur plus bas, mais en outre elles ne devaient posséder qu’une fraction des réserves. Les banques ont rapidement prêté trente fois la valeur de leur actif. C’était, comme l’a dit une économiste, une « orgie d’excès ».

C’était de l’excès de dépenses en temps de guerre. Jamais dans l’histoire un pays n’a été impliqué dans un conflit sans sacrifice, sans réductions budgétaires, sans augmentation d’impôts et sans conservatisme économique.

Et, comme en 1929, les chances que tous les investisseurs courent réclamer leur argent en même temps augmentaient.

Donc, pour garantir ces hypothèques à haut risque, les sociétés d’investissement qui les vendaient ont alors créé des polices d’assurance sur les investissements dans ce type de crédit, vendues sous le nom de « swap sur défaillance » (credit default swap (CDS)). Le gouvernement doit toutefois réglementer les polices d’assurance, donc en les appelant CDS, elles demeuraient non réglementées. Les institutions financières « couvraient leurs spéculations » et vendaient des primes afin de protéger des actifs spéculatifs. En d’autres mots, l’actif qui devait prendre de la valeur pouvait également avoir un pari à côté, au cas où il baisserait. En octobre 2008, les transactions des CDS se chiffraient à 62 billions de dollars, un montant plus élevé que toutes les bourses du monde réunies.

Ces spéculations n’avaient absolument aucune valeur et n’étaient pas des investissements. Ils n’étaient que des instruments financiers appelés produits dérivés – des spéculations à haut risque, « des riens provenant de rien » -- ou comme disait Warren Buffet, « des armes de destruction financière massives ». Les transactions de produits dérivés « valaient » plus qu’un quatrillion de dollars, soit plus que l’économie du monde entier. (En septembre 2008 le produit intérieur brut mondial s’élevait à 60 billions de dollars.)

Dénoncée comme étant illégale en 1990, la pratique des produits dérivés a été légalisée par Alan Greenspan. Les fonds de couverture sont rapidement devenus une industrie à part entière, spéculant sur le marché des produits dérivés et misant autant que souhaité. C’était facile, car il s’agissait d’argent qu’ils n’avaient pas au départ. L’industrie avait toutes les allures d’une banque, mais les fonds de couverture, les fonds d’actions et les courtiers en produits dérivés n’avaient pas accès aux prêts gouvernementaux en cas de défaillance. Si les propriétaires manquaient à leur engagement, les fonds de couverture n’avaient pas d’argent pour payer « à partir de rien ». Ceux qui avaient couvert un actif en hausse ou en baisse ne pouvaient pas bénéficier des gains ou des pertes.

Ce marché était devenu la plus grande industrie au monde, et tous les géants financiers encaissaient : Bear Stearns, Lehman Brothers, Citigroup et AIG. Mais les propriétaires de maisons, ayant depuis longtemps atteint leur limite de crédit, commençaient à faire défaillance sur leurs hypothèques. Ils payaient non seulement pour leur maison, mais aussi pour toutes les dettes amassées au fil du temps pour une voiture, une carte de crédit et un prêt étudiant, des frais médicaux et des prêts d’accès à la propriété. Ils avaient emprunté pour payer leur épicerie et leurs primes d’assurance santé qui montaient en flèche afin de conserver leurs plus grandes maisons et leurs plus grosses voitures. Ils ont refinancé les dettes qu’ils avaient à des taux moindres, lesquels ont rapidement grimpé. L’Américain moyen devait 25 % de son revenu annuel seulement en dettes de carte de crédit.

En 2008, les prix des maisons ont commencé à descendre subitement et les hypothèques perdaient soudainement de la valeur. Les commandes manufacturières avaient baissé de 4,5 % avant septembre, les inventaires commençaient à s’empiler, le chômage était en forte hausse, et les saisies avaient augmenté de 121 % et de 200 % en Californie.

Les géants financiers devaient arrêter de transiger ces titres adossés à des créances hypothécaires (mortgage-backed securities (MBS)), puisque leurs pertes devraient dorénavant être justifiées. Les investisseurs ont commencé à retirer leurs fonds. Bear Stearns, spécialisée dans les portefeuilles de titres hypothécaires, a été la première à partir en mars.

Tout comme ils l’avaient fait au 20e siècle, JP Morgan est venue rafler la Bear Stearns pour presque rien. Un an auparavant, les actions de Bear Strearns se transigeaient à 159$, mais JP Morgan a pu prendre la relève et les acheter à deux dollars l’action. En septembre, Washington Mutual s’est effondrée : il s’agissait du plus grand échec bancaire de l’histoire. Encore une fois, JP Morgan est intervenue et a payé 1,9 milliards de dollars pour des actifs évalués à 176 milliards. C’était une vente de feu.

Fannie Mae et Freddie Mac, les firmes reprises par l’État et responsables de 80% des prêts hypothécaires, ont tranquillement perdu presque 90 % de leur valeur au cours de l’été. Ensemble, elles étaient responsables de la moitié des prêts impayés, cependant, pour chaque dollar en réserve, elles avaient une dette de 80 dollars.

Afin de garantir leur survie, la Réserve fédérale est intervenue et a pris le contrôle de Fannie Mae et Freddie Mac. Le 7 septembre 2008, elles ont été « mises sous tutelle », ce que l’on appelle nationalisation ailleurs dans le monde, mais les Étasuniens rechignent à l’idée de toute industrie gouvernementale requérant des hausses d’impôts.

En réalité, le gouvernement donnait une marge de crédit illimitée. Puisqu’elle provenait de la Réserve fédérale, et non pas du Trésor, elle a pu passer outre l’approbation du Congrès. Le département du Trésor a par la suite mis des bons du Trésor aux enchères afin d’amasser des fonds destinés uniquement à la Réserve fédérale. Néanmoins, c’est le contribuable qui financerait le sauvetage. Les banquiers avaient saigné le système de dix milliards de dollars dans les opérations de couverture et la spéculation sur les produits dérivés, et provoqué le gel système des prêts interbancaires, lequel a cessé de fonctionner et s’est effondré.

La prise de contrôle a été définie comme un sauvetage de 700 milliards de dollars arbitraires, qui ne fait rien pour régler le problème. On n’a demandé à aucun économiste de donner son opinion au Congrès, et le prêt ne fait que perpétuer le mythe voulant que le système bancaire ne soit pas vraiment mort.

En réalité, les dommages ne s’élèveront pas à 700 milliards de dollars, mais à près de cinq billions de dollars, soit la valeur des hypothèques de Fannie Mae et Freddie Mac. Ce n’était rien d’autre qu’un sauvetage de l’industrie des produits dérivés valant des quatrillions de dollars, qui, autrement, devait faire face à des dividendes de plus d’un billion de dollars sur les CDS et MBS vendus. Il était nécessaire, selon le secrétaire du Trésor Henry Paulson, de sauver le pays d’une « correction du marché immobilier ». Mais, ajoutait-il, le rachat de 700 milliards de dollars financé par les contribuables ne préviendrait pas la chute d’autres banques, ce qui entraînerait en retour un krach boursier.

En d’autres mots, Henry Paulson faisait du chantage au Congrès afin de mener un coup de l’élite financière sous les apparences d’une nécessité de légiférer pour colmater la brèche. Cela a simplement transféré les richesses d’une classe vers une autre, comme ce fût le cas il y a presque un siècle. Les mots étaient à peine sortis de la bouche de M. Paulson que déjà d’autres institutions financières implosaient et s’ensuivait la désintégration du système financier mondial, largement modelé sur un système bancaire américain glorifié.

En septembre, sa marge de crédit étant désormais assurée, la Réserve fédérale a acheté la plus grande compagnie d’assurances au monde, AIG, au montant de 85 milliards de dollars pour 80 % de son capital. AIG était le plus gros vendeur de CDS, mais au moment où elle se devait de payer des biens donnés en garantie qu’elle ne possédait pas, elle vacillait au bord de la faillite.

En octobre, l’Islande en entier a fait faillite, car il avait acheté des prêts hypothécaires à risque à titre d’investissements. Les banques européennes ont commencé à exploser, toutes désireuses d’encaisser concurremment leurs actions gonflées afin de payer leurs dettes à bas taux d’intérêt avant que ces taux ne grimpent. L’année précédente, les signes étaient évidents lorsque le plus grand prêteur hypothécaire étasunien, Countrywide, s’est écroulé. Peu après, le plus grand prêteur du Royaume-Uni, Northern Rock, a fait naufrage : Londres copiait depuis longtemps la finance créative de Wall Street. Les manufactures automobiles du Japon et de la Corée ont plongé de 37 %, contractant les économies du monde entier. Le Pakistan est également au bord de la faillite, avec des réserves réelles de trois milliards de dollars, assez pour acheter des réserves alimentaires et du pétrole pour un mois et tenter de geler les paiements à l’Arabie Saoudite, qui lui fournit 100 000 barils de pétrole quotidiennement. Sous le président Musharraf, qui a quitté le pouvoir juste à temps, la devise pakistanaise a perdu 25 % de sa valeur, et son inflation atteignait 25 %.

Entre-temps, les prix de l’énergie ont monté en flèche, le pétrole atteignant un sommet d’environ 150 $ le baril cet été. Les coûts du chauffage, du pétrole, du transport et les coûts de production ont immédiatement été refilés aux propriétaires déjà à sec. Pourtant, 30 % des coûts d’un baril de pétrole étaient basés sur les spéculations de Wall Street, grimpant à 60 % pendant l’été en raison de la crainte des spéculateurs. Aussitôt que la crise financière a frappé, les prix du pétrole ont soudainement chuté, passant de 147 $ en juin à 61 $, prouvant que le facteur spéculatif de 60 % était bien plus précis. Ce brusque déclin a aussi révélé le manque de contrôle de l’OPEP sur la montée fulgurante des prix ces dernières années, un contrôle qui repose presque directement sur les épaules de l’Arabie Saoudite. En septembre, lorsque l’OPEP a tenté de maintenir des prix plus élevés en réduisant sa production, c’est l’Arabie Saoudite qui a voté contre une telle initiative, au détriment de son propre revenu.

L’Europe a alors décidé qu’elle ne serait plus jamais ruinée par les excès des États-Unis. La « vieille Europe » en avait peut-être assez de se faire dicter sa conduite par les États-Unis, qui ont refusé de faire des compromis sur les prêts qu’ont contractés leurs pays détruits après la Seconde Guerre mondiale. Le 13 octobre, les nations autrefois divisées de l’Europe ont approuvé unilatéralement un plan de sauvetage totalisant 2,3  billions de dollars. C’est trois fois plus que le plan américain pour une catastrophe que seul les États-Unis ont créée.

À la mi-octobre, le Dow, le NASDAQ et le S&P 500 ont effacé tous les gains accumulés dans la dernière décennie. Le stratagème frauduleux pyramidal de l’argent facile à partir de rien a résulté en une surabondance du crédit, une exagération des prix des maisons, ainsi qu’en une incroyable évaluation des actions, due au fait que les investisseurs ne retireraient pas leur argent tous en même temps. Mais tout s’effondrait à une vitesse casse-cou, sans solution à l’horizon. Le président Bush a dit que les gens ne devraient pas du tout s’inquiéter parce que les « États-Unis sont la destination la plus attrayante pour les investisseurs du monde entier ».

Ceux qui souffriront le plus sont les hommes et les femmes qui ont bâti le pays après la Seconde Guerre mondiale et qui arrivent à la retraite après avoir épargné leurs prestations. Ils ont bâti durant les années de guerre, fabriquant ses armes pour des conflits mondiaux. Pendant la guerre froide, l’URSS était l’ennemi omniprésent, donc le complexe militaro-industriel a continué à croître. Ce n’est que lorsqu’il y a une guerre que les États-Unis en profitent.

La Russie ne tolèrera pas une nouvelle guerre froide avec la multiplication des missiles balistiques. Pour sa part, le Moyen-Orient a vu son allié historique se transformer en son pire cauchemar, qu’il soit militaire ou économique. Ces nations ne continueront plus à appuyer le dollar comme monnaie internationale. Les États-Unis ne contrôlent plus l’économie mondiale et sont redevables au reste du monde. Ils ne pourront plus demander à leurs plus grands fournisseurs de pétrole du Moyen-Orient d’ouvrir leurs portefeuilles bancaires afin d’être transparent et démontrer l’absence de corruption ou de connexions terroristes sans qu’il n’y ait de conséquences : la plus grande corruption criminelle de l’histoire vient d’être perpétrée par les États-Unis.

C’était la meilleure escroquerie en ville : être bien payé pour vendre du risque en grande quantité, échouer, et laisser les gouvernements régler le problème au détriment des contribuables qui n’ont jamais même vu un sous de la richesse commune.

Il n’y a pas de solution facile à la crise, ses effets se multiplient comme une maladie contagieuse.

Ironiquement, les banques islamiques sont celles qui sont le moins affectées par la crise.

Elles ont été largement à l’abri de l’effondrement, car elles prohibent l’acquisition de richesses par le jeu (ou l’alcool, le tabac, la pornographie ou les actions dans les compagnies d’armement) et interdisent l’achat et la vente d’une dette, ainsi que l’usure. De plus, les lois bancaires de la Charia interdisent d’investir dans une compagnie dont les dettes excèdent 30 %.

« Les institutions bancaires islamiques ne se sont pas effondrées pour la simple bonne raison qu’elles transigent avec des actifs tangibles et assument les risques », affirme Mohammed Ramady, professeur d’économie à l’Université du Pétrole et des Ressources Minérales du Roi Fahd. « Même si les banques islamiques font partie de l’économie mondiale, l’impact d’une exposition directe aux investissements dans le crédit hypothécaires à risque a été négligeable. La réduction des liquidités a particulièrement affecté Dubaï, qui a contracté de gros emprunts au niveau international. L’effet le plus négatif aura été la perte de confiance dans les bourses régionales. » Les nations arabes ayant un surplus de pétrole « reconsidèrent donc leurs investissements dans les actifs financiers à l’étranger » et accélèrent leurs projets nationaux.

Il y a huit ans, en mai 2000, le banquier islamique saoudien Son Altesse Dr. Nayef Bin Fawaz al Chaalan a donné une série de conférences dans les États du golfe. À l’époque, ses recherches démontraient que les investissements arabes aux États-Unis, se chiffrant à 1,5  billions de dollars, étaient effectivement pris en otage et il recommandait de les retirer et de les réinvestir dans des actifs tangibles du marché arabe et islamique. « Pas dans des actions par contre, car la bourse peut être manipulée à distance, comme nous l’avons vu ces dernières années dans les marchés arabes, où des milliards de dollars se sont évaporés. »

Il a alors annoncé qu’il était certain que le système économique étasunien était au bord de l’effondrement, en raison de ses dettes cumulatives, de l’accroissement constant de son déficit, et de l’intérêt sur cette dette. « Lorsque les dettes et les déficits arriveront à échéance, ils émettront tout simplement de nouveaux bons du Trésor, afin de couvrir les vieux bons échus, avec leurs intérêts et un nouveau déficit ». On ne peut arrêter le cycle ou annuler la dette parce que les États-Unis ne seraient plus en mesure d’emprunter. Le fait de remédier à ce cycle aurait pour conséquence l’effondrement de leur système économique, par opposition au krach partiel, bien qu’énorme de 2008.

« Les banques islamiques, affirmait le Dr. al Chaalan, protègent toujours la richesse des individus tout en mettant un bouchon sur l’égoïsme et l’avarice. Il possède le meilleur du capitalisme, en filtrant ce qu’il a de négatif, et le meilleur du socialisme, en filtrant aussi ce qu’il a de négatif ». Les deux systèmes devaient inévitablement échouer. De plus, l’Europe et le Japon n’avaient plus à être tenus responsables et redevables aux États-Unis pour la protection contre les Soviets.

« La différence fondamentale entre le système économique islamique et le système capitaliste, poursuit-il, est que dans l’Islam, la richesse appartient à Dieu, l’individu n’étant que son administrateur. C’est un moyen et non une fin. Dans le capitalisme, c’est l’inverse : l’argent appartient à l’individu et est un but en soi. Aux États-Unis, spécifiquement, l’argent est vénéré comme un Dieu. »

En somme, le krach du système économique mondial est le résultat de l’arrogance fiscale des États-Unis, fondée sur un type de règlements pour eux, et un autre pour le reste du monde. Sa finance créative accrue a leurré son peuple en lui donnant un faux sentiment de sécurité, et le pays ressemble désormais à l’échec total du capitalisme.

Tout l’exercice de la démocratie par la force contre les nations arabes musulmanes a presque mis les États-Unis en faillite. La guerre froide est terminée et les États-Unis n’ont rien à offrir : pas d’exportations, pas de production, peu de ressources naturelles, ni d’économie dans le secteur des services.

Les marchés ayant résisté le plus aux politiques américaines, en restreignant les investissements directs aux États-Unis, sont ceux-là même qui se débrouilleront le mieux et finiront premiers.

Mais pas avant d’avoir payé un prix très élevé.


Article original en anglais, Death of the American Empire, America is self-destructing & bringing the rest of the world down with it, publié le 23 octobre 2008.
Traduit par Julie Lévesque pour Mondialisation.ca. 

Tanya Cariina Hsu est chercheure en politique et analyste spécialisée dans les relations entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Elle a contribué au récent témoignage écrit sur le Royaume d’Arabie Saoudite pour le Congressional Senate Judiciary Committee au nom de FOCA (Friends of Charities Association) lors des audiences sur la colline du Capitole à Washington, D.C. Son analyse a été publiée et acclamée par la critique à travers les États-Unis, l’Europe et le Moyen-Orient.

Elle a été la première à briser le silence à propos de l’influence israélienne sur le processus décisionnel de la politique étrangère américaine, lors du symposium « A Clean Break », qui se tenait à Washington, D.C., à la colline du Capitole en 2004. À l’époque directrice du développement et analyste à la recherche senior de l’Institut de recherche sur la politique au Moyen-Orient (IRmep), Mme Hsu demeure un membre international de l’Institut.

Née à Londres, elle est déménagée en 2005 à Riyad, en Arabie Saoudite, et écrit en ce moment un livre sur la politique américaine en Arabie Saoudite. 


 Articles de Tanya Cariina Hsu publiés par Mondialisation.ca


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