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“Des néons sous la mer”, de Frédéric Ciriez

Publié le 30 octobre 2008 par Chictype

Paimpol, chef-lieu de canton des Côtes-d’Armor. Huit mille habitants. Son port, son église, sa falaise, ses bistrots, ses pêcheurs de morue, son cidre, ses huîtres et… son bordel flottant. “J’aime surtout la Paimpolaise/Qui m’attend au pays breton !”, chantait naguère Théodore Botrel (1868-1925). Mais la situation a changé “au sein d’une société française nihiliste et athée, perdue dans une mondialisation perverse comme une éducation à l’anglaise, et uniquement guidée par la consommation de technologies numériques et de fétiches culturels hypnotiques”.

Citation : “J’aime, au petit jour, voir les prostituées froisser des liasses de billets neufs entre leurs doigts bagués d’améthyste. J’aime aussi le jeu. J’aime défier les casinos et provoquer la fatalité de perdre en compagnie d’une jolie femme capable de rire. J’aime le néant sidéral. J’aime la nuit. Les après-midi me terrassent, la suspension de l’énergie de l’aube et de l’angoisse du crépuscule. J’aime les prostituées, toutes, auxquelles, humainement, je me sens attaché par des soies naturelles.”

Nous sommes en 2014 et, “après le déclin de sa marine, après le choix d’une politique touristique contre nature, après l’échec sans gloire de plusieurs festivals rock et même du festival du film d’amour de la Saint-Valentin, avorté dès 1998 (et si l’on fait bien sûr exception du festival aoûtien des Chants de marin, succès éthylique transnational)”, Paimpol a hérité d’un lupanar “au-delà de ses espérances” : une SARL composée de péripatéticiennes associées. Aucune subvention. Santé financière sereine, rentabilité moyenne comparée à celle de L’Hymen de Saint-Malo, le claque phare de Bretagne.

Car depuis 2011, année de la réouverture des maisons de joie sur tout le territoire, la France est entrée dans l’ère d’une nouvelle prostitution ; et à Paimpol, on n’a pas perdu de temps. Rien de mieux pour oublier les dégâts de la crise économique “réelle” ou le problème de la répartition des richesses qu’une “copulation directe, franche, saine et iodée” : l’orgie pour tous, l’incontinence démocratique ! Ce qu’il faut noter, “c’est la rémanence, chez le genre humain, d’une indestructible vitalité sexuelle, même par temps de dépression de masse. S’il fallait, dans les rayons du shopping paradise européen, établir une hiérarchie des objets de consommation courante, la prostitution arriverait en tête, et de loin”.

COMMERCE DU CHARME

Atout majeur : le bordel paimpolais est établi dans Le Fascinant, un ancien bâtiment militaire, un sous-marin rebaptisé - pour l’exercice de ce commerce de “première nécessité” - Olaimp, anagramme approximative de Paimpol et suggestion mythologique. L’Olaimp est “ce mouvant phallus de deux cents mètres de long s’adaptant aux capacités d’accueil d’un ancien sous-marin de la Marine nationale passé de la sodomie intermatelots à la médecine sexuelle libérale”. Cet établissement portuaire, dont le périscope devient l’emblème de la ville, brille dans la baie : son immense enseigne rose pin-up illumine le quai. Ainsi la culture de l’huître et le commerce du charme se lancent-ils “d’invisibles regards”. Aussi bien, peut-on déguster dans les soutes du vaisseau - pour 150 euros, en trente minutes seulement, et un par un - une douzaine de corps comme autant de plaisirs. C’est à la carte ! “Le bordel est un luxe, comme le temps.” Bref, il faut comprendre que “la mutation organique d’un sous-marin militaire en un bordel lacustre témoigne de la volonté de l’Etat de donner une chance entrepreneuriale inespérée aux prostituées indépendantes non précarisées (avec des objectifs connexes bien sûr, comme l’innovation politique, le progrès social, la reconnaissance d’une liberté philosophique et pratique minimale de la prostitution, etc.) ainsi que de redonner du baume au coeur à des concitoyens qui ne votent pas”.

Nous tenons tous ces détails d’un employé de L’Olaimp, lequel nous livre rien de moins que son approche économique du bordel lacustre, mais encore son approche topologique du vaisseau, ethno-corporelle du personnel de bord, marketing de la clientèle et textuelle du folklore érotique de l’anse de Kerarzic. C’est dire si nous sommes renseignés sur la vie quotidienne de ses “femmes vulvivagues”.

Beau Vestiaire, car tel est le nom du narrateur de Néons sous la mer, est un jeune as du baby-foot, titulaire d’un master I en histoire du cinéma, qui, en dehors de ses heures de service, promène sa mélancolie “comme un désespoir qui n’a pas les moyens” sur un monocylindre à explosion (XT 500), courant sur les tissus noirs des lacets du GR 34 - les pages consacrées aux paysages bretons sont admirables. Beau Visage est la voix de Frédéric Ciriez, qui nous torpille le coeur avec ce premier roman satirique, baroque, parfois drôle et curieusement pudique. Car ce qui reste à quai, pour Ciriez, c’est la tendresse, dont il n’est jamais en rade.


DES NÉONS SOUS LA MER de Frédéric Ciriez. Ed. Verticales, 300 p., 19 €.

Le Monde


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