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Gertrude & Claudius - John Updike

Par Woland

Gertrude and Claudius Traduction : Michèle Albaret-Maatsch

Ce livre n'est sans doute pas un titre majeur dans l'oeuvre de John Updike mais il réjouira les fervents de Shakespeare que continuent à émerveiller - et à interpeller - les sources du Grand Will.

Avec beaucoup de finesse, Updike a choisi de diviser son roman en trois parties à peu près égales, chacune se référant aux sources majeures que l'on prête à Shakespeare, à savoir :

1) l'"Historia Danica" de Saxo Grammaticus, un texte rédigé en latin à la fin du XIIème siècle mais qui ne sera imprimé qu'en 1514 ;

2) les "Histoires Tragiques - Volume V" de François de Belleforest, libre adaptation du précédent publiée à Paris en 1576

3) et enfin le "Ur-Hamlet" ou "Pré-Hamlet" de 1580, qui semble avoir précédé la pièce et dont on ne sait s'il faut attribuer la paternité à Shakespeare ou à Thomas Kyd. Une chose semble certaine par contre : c'est Shakespeare qui donna aux personnages leurs noms définitifs.

Au fur et à mesure que l'on avance dans le livre, les héros voient leurs patronymes se transformer de façon souvent considérable :

1) Le Roi, qui deviendra un spectre chez Shakespeare, s'appelle tout d'abord Horwendil, puis Horvendile et enfin - ce qui explique le côté freudien avant la lettre de la tragédie shakespearienne : Hamlet.

2) La Reine, fille du roi Rorik (lui-même devenu le roi Roderik), se nomme d'abord Gerutha, puis Geruthe et enfin Gertrude.

3) C'est le frère du Roi et futur amant de la Reine qui subit, semble-t-il, la plus grande transformation puisque, de Feng dans la première partie, il devient Claudius dans la troisième après être passé par la case "Fengon."

4) Quant au héros principal de Shakespeare, il commence en tant que Amleth, poursuit comme Ambleth et termine sous le même nom que son père : Hamlet.

On remarque également que, si Ophélie ne change pas, son père, Polonius, le Grand Chambellan, était d'abord Corambus avant d'évoluer en Corambis.

A toutes ces mutations patronymiques, Updike juxtapose celle des sentiments des personnages. Mais parmi ceux-ci, le point de vue qu'il privilégie, c'est celui de Gerutha pour laquelle, au contraire de ce qu'il se passe dans la tragédie de Shakespeare, on finit par se prendre d'affection.

Fille de roi mais fille unique, c'est elle qui héritera du Danemark. Mais son père, afin de la protéger, croit lui trouver, en Horwendill l'époux qui l'aimera et la soulagera des problèmes trop lourds. Fatale erreur : car si Horwendill est un guerrier courageux et un assez fin politique, il est aussi, sur le plan purement affectif et émotionnel, piteusement dépourvu de tout ce qui peut attacher une femme à un homme. Malgré la naissance de leur fils et unique héritier, le prince Amleth, Gerutha ne parvient pas à s'éprendre vraiment de ce mari imposé.

Pendant les premières années de désenchantement, cela n'est pas encore trop grave. Mais une fois Feng revenu de ses expéditions en Asie et dans l'Europe méditerranéenne, tout se complique ...

A la rigueur, on peut lire "Gertrude et Claudius" comme un prologue à la pièce de Shakespeare. Les "mauvais", Gertrude et son beau-frère, y sont dépeints dans leur réalité de chair et de sang, avec leur propre roman familial, tandis que Horwendill, ici solidement ancré dans la vie terrestre, y est montré avec ses qualités comme avec ses défauts.

Or, quand on passe à la pièce de théâtre, c'est évidemment Hamlet qui prend la vedette. Un Hamlet qui, ignorant tout du passé de sa mère et de son oncle et ne voyant en son père que le côté héroïque et martyr, ne saurait se montrer impartial.

Entre eux, le Roi, son frère et sa femme ont déjà beaucoup de peine à communiquer, à exprimer de manière authentique ce qu'ils ressentent. Le lecteur, lui, sait bien la dramatique influence que cela aura sur leur destin futur - et sur celui de leur fils et neveu. Et c'est de la fatalité qui les dirige alors même que les deux amants ne songent pas encore à l'adultère et que le prince n'est qu'un petit enfant, que se nourrit, avec adresse et intelligence, ce roman de John Updike. ;o)


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