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Jacques Villeglé au Centre Beaubourg / Pompidou

Publié le 19 novembre 2008 par Matt

Poésie de la communication urbaine : l'exemple de l'affiche, par Jacques Villeglé.

L'art de Jacques Villeglé est un art singulier. Flâneur dans le dédale des rues de la ville moderne, l'artiste regarde et sélectionne des compositions d'affiches lacérées, déchirées, recouvertes par d'autres, etc.
Il n'est donc pas question pour l'artiste de fabriquer ou de modeler, mais de détecter des objets. Bien qu'il ne s'agisse pas de ready made à proprement parler, c'est tout de même une démarche assez proche de celle de la transfiguration du banal, qui consiste à attirer l'attention sur des choses quotidiennes pour les élever au niveau de l'oeuvre d'art (sur un sujet proche, voir ici).
L'affichisme - phénomène artistique essentiellement français - déplace certaines des catégories de l'esthétique. D'abord, dans l'affiche lacérée, il n'y a pas un auteur unique, mais des dizaines d'auteurs inconnus, intervenus sur l'affiche pour tenter de l'arracher, ou pour la couvrir de graffitis, en coller d'autres par dessus, etc. L'affiche finale exposées est le résultat de toutes ces interventions successives. Ensuite, loin d'être un art de l'espace, l'affiche est bel et bien un art du temps, c'est-à-dire qu'elle porte en elle-même toute son histoire, et à travers tout un condensé d'histoires de portion urbaine (sur ce sujet également, voir ici, ici et surtout ici, magnifique commentaire d'un tableau de Poussin).
Ce palimpseste a pour effet de désamorcer la fonction initiale de l'affiche comme instrument d'information ou de communication. Le message de l'affiche se brouille, se pervertit, et disparaît tandis que sa valeur plastique intrinsèque augmente? l'oeil perçoit des formes, des couleurs qu'ils ne percevait pas. Les effets de sens se télescopent, des messages politiques perdent de leur signification surtout lorsqu'ils sont vus et lus en dehors de leur contexte historique et spatial, à trente ou quarante ans de distance sur le mur dépouillé d'un musée. Il s'agit donc de bien autre chose pour Villeglé que d'un émerveillement béat devant la comédie de la ville. C'est une façon d'interroger la notion de communication et en particulier la communication in abstentia, par les moyens de l'écrit et de l'imprimé.

Ce même processus est à l'oeuvre dans le travail de Villeglé sur les caractères typographiques, à la suite du lettrisme. Villeglé repère des grafitis où les lettres ont été déformées ou stylisées de telle sorte qu'elles portent déjà en elles tout un discours militant (communiste, nazi, féministe, anarchiste, religieux, etc). Le discours le plus sophistiqué est condensé à l'échelle de l'atome alphabétique, la lettre émerge comme un univers en soi, qui mérite que l'on s'y attarde. Cet intérêt porté à la lettre est tout le contraire d'un usage normal du langage. Dans l'usage quotidien de la langue, nous ne nous arrêtons pas sur chaque mot que nous employons, sans quoi nous ne dirions jamais rien. Le langage courant est neutre par définition, purement utilitaire, sauf quand il se signale par un accent régional particulier, ou par dyslexie.
Il y a un art qui nous force à prêter attention à la valeur plastique et sonores des mots, c'est la poésie. Jacques Villeglé ne fait pas autre chose que de la poésie avec des tracts et des affiches. Si la ville use la valeur fonctionnelle, elle révèle aussi la valeur matérielle des objets qu'elle abrite.
Jacques villeglé, La comédie urbaine, 17 septembre 2008 – 5 janvier 2009, Centre Pompidou, Galerie 2, niveau 6
Voir le parcours de l'exposition, très riche, avec des vidéos et commentaires, sur le site du Centre Pompidou.

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