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Lundi 10 novembre 2008, Luxembourg : David Lodge en continu

Publié le 30 novembre 2008 par Memoiredeurope @echternach

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Il n’est pire sourd celui qui ne veut pas entendre ! Les Français ont adopté cette maxime et ils ne sont certainement pas les seuls. Mais la surdité, lorsqu’elle intervient insidieusement quand l’âge avance, peut aussi constituer une prison, un décalage, une marge qui est loin de donner tous les fruits de la satisfaction d’être coupé des discours perturbateurs qui peuvent nous environner chaque jour, au temps des téléphones portables.

Combien de vies j’aimerais en effet éviter de connaître au cours de mes voyages et que je suis cependant amené à fracturer du fait de l’extraordinaire perte du sens de l’intimité qui s’empare des porteurs d’implants téléphoniques pour lesquels les portables deviennent en effet, un organe supplémentaire.

De fait, comme je passe plus de temps à vivre dans des endroits d’Europe où ma langue natale est peu employée, voire pas du tout, j’ai finalement appris à fermer les écoutilles tant que je ne dois pas me rendre attentif à une conversation singulière, tant que je ne crée pas moi-même une intimité avec mon interlocuteur ou tant que je ne suis pas en situation professionnelle. Me voilà donc un peu surpris lorsque je reviens en France de croiser dans les rues des êtres humains qui parlent français et dont les paroles viennent se heurter au cercle vertueux virtuel que j’ai tracé autour de moi.

Ces deux réflexions me viennent à la lecture d’un ouvrage que je trouvais imposant par son poids, mais dont la lecture est une plongée dont on ne ressort que hors d’haleine : « La vie en sourdine » de David Lodge (Harvill Secker, Londres et Payot et Rivages, Paris 2008). Voilà un titre français qui vaut ce qu’il vaut puisque la désignation anglaise, comme souvent chez Lodge, joue d’abord par une ambiguïté singulière des mots : « Deaf Sentence » aura du mal à devenir en français « Sentence de surdité » et pourquoi pas “Sentence de mort”. Pourtant c’est bien du jugement des Dieux, ces inconnus qui règlent les hasards de nos existences, plutôt que du jugement des hommes, dont il s’agit. 

David Lodge, voilà encore un auteur prolifique à côté duquel j’étais passé gentiment sans le voir…j’allais dire sans l’entendre. Mais après la lecture du dernier roman, je suis très vite revenu en arrière pour me précipiter chez Tropismes à Bruxelles afin d’en acheter deux autres : « La chute du British Museum » (1965, publié en français par Rivages en 1991 et « L’homme qui ne voulait plus se lever », recueil de nouvelles de 1997 publié la même année en français, toujours chez Rivages.

David Lodge a retenu mon attention grâce à une interview que j’ai captée incidemment sur France Inter avant de partir en Espagne. Paula Jacques qui anime « Cosmopolitaine » depuis des années – je me souviens l’avoir rencontrée rapidement chez un ami artiste, Daniel Graffin, dont l’atelier était situé derrière la Mosquée à Paris, au début des années quatre-vingt -, avait choisi d’interviewer l’auteur, en insistant sur un épisode que beaucoup d’entre nous vivent ou que nous avons vécu – et nous serons de plus en plus nombreux à rencontrer cette situation désarmante, celle de se sentir responsable d’un père par définition plus âgé que nous, alors que nous nous considérons nous même déjà très âgés.

C’est dans la proximité de ce drame qui me remet devant un passé récent, que l’envie de lire s’est concrétisée. Mais si le cœur du roman est bien là, dans la déchéance enchaînée des êtres, David Lodge approfondit sa plongée dans des mers qu’il a déjà explorées : les rituels étranges des universités (surtout anglo-saxonnes), l’influence de l’église sur les mœurs sexuelles des anglais et la crainte des naissances non désirées, la recherche linguistique, le dépaysement artificiel des vacances fabriquées, les effets de mode, l’amour de la poésie, la parodie des écrivains célèbres et des atmosphères qu’ils savent créer…et peut-être tout simplement l’amour des mots, des phrases, des enchaînements…quand ils se propulsent tous ensemble vers une conduite romanesque.

Ou pour dire plus simplement : l’auteur cherche à aller chaque fois encore un peu plus loin dans la nature du roman. 

Et des années soixante à aujourd’hui, si une même personne semble se cacher derrière les portes, une personne dont on devine la part du marionnettiste, on ressent bien que les fils sont devenus de plus en plus invisibles, au point que ce sont les personnages qui semblent manipuler l’auteur, l’habiter, plutôt que l’inverse. Et il donne parfois l’impression que tous ces êtres surgis dans son bureau vont finir par avoir sa peau ! 

J’ai pris un air d’écrire peut-être un peu trop révérencieux pour parler d’un écrivain que l’on apparie facilement à l’humour anglais. Mais ce ton témoigne d’abord de mon admiration. Il est aussi certainement mieux approprié au dernier roman, où le drame intime, bien que risible dans ses détails, reflète une destinée qui sait voir, sinon entendre, le moment où elle s’incurve pour verser dans le fossé. La vieillesse prend ainsi en compte le côté obscur de l’humour noir !

David Lodge, ses doubles et ses compagnons de route, semblent tous naître d’un refus de la destinée, sinon d’un combat contre le caprice des Dieux que j’évoquais d’entrée. Ils portent des pierres, très lourdes parfois, ils s’enferment dans des obsessions quand, après avoir mille fois ré ouvert la porte, elle se ferme de nouveau.

Ils sont tous comme cet homme qui décide de ne plus se lever. Ils entrent dans une déprime dont ils savent qu’elle peut les réduire à l’état de larve, mais dont ils jouissent secrètement : 

« Apparemment, il était en train de devenir, en quelque sorte, une célébrité locale et même nationale. Un jour, on introduisit dans sa chambre une caméra de télévision, et, adossé aux oreillers, la main de sa femme dans la sienne, il raconta son histoire à des millions de téléspectateurs : comment par une froide matinée, il s’était subitement rendu compte qu’il n’aimait plus la vie, que son unique plaisir était de rester couché, et comment il avait donc pris la décision logique de demeurer dans son lit jusqu’à la fin de ses jours qui étaient sûrement comptés, mais dont il savourait pleinement chaque minute ».

David Lodge dénonçant l’activisme de la génération qu’il regarde maintenant avec ironie et distance : celle de Tony Blair, mais aussi celle de Sarkozy ou mieux, celle d’Obama ?

Tous ses héros ne restent pas au lit, en effet, mais c’est un peu comme s’ils vivaient leurs journées en riant jaune d’avoir du quitter l’abri de leurs draps. 

Entre un père qui sombre dans la monomanie et bientôt la folie, une femme qui a su trouver l’accomplissement de ses qualités créatives dans son âge mûr et réussit hors de son couple, une étudiante entreprenante qui veut faire une thèse de linguistique sur les messages des suicidés, des amis qui s’énervent à ses incompréhensions de sourd, une famille dont il ne contrôle plus aucun rouage, une église qui cherche à le réintégrer en son sein, l’errance du héros est pourtant créative.

Il crée dans et par les mots. Il crée dans l’orbe de Goya, le peintre devenu sourd qui délivre au noir, vainqueur de sa palette, les sombres délires de la Quinta del sordo où Saturne dévore ses enfants.

Lorsque vient la mort du père, c’est le petit-fils qui choisit l’un des textes qui accompagnera le cercueil. Et dans ce texte de Bruce Cummings « In the Faber Book of Science », la dernière pirouette d’un agnostique en mal de religion cherche lui aussi ce qui est plus noir que noir.

« Quand je serai mort, vous pouvez faire bouillir mon corps, me réduire en cendre, me noyer, me disperser – mais vous ne pourrez pas me détruire : mes petits atomes tourneraient simplement en ridicule pareille vengeance sadique. La Mort ne peut rien faire d’autre que vous tuer. »

Photographies : Goya, peintures de la Quinta del Sordo, site artchive.com 


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