Magazine Beaux Arts

Les dernières tribus

Publié le 29 novembre 2008 par Gregory71

Plus de quatre ans après le punk, certains s’acharnent encore avec rudesse à vivre à l’heure du No future. Pourtant, leurs héros désertent : Jimmy Pursey veut changer leur horizon, et Adam Ant leur propose de rejoindre le tribalisme élégant de ses Ant People qui prolifèrent Outre-Manche. Un reportage de Patrick Eudeline sur divers exercices de survie.

“C’est seulement maintenant que le mouvement punk représente vraiment quelque chose. Au début ce n’était qu’une bande de petits frimeurs, de poseurs et de snobs qui venaient des facultés et de la bourgeoisie. Aujourd’hui, les punks sont de vrais fils de prolos”.
(Les “Peter and the test tube babies”)

“Le mouvement punk au début, c’était quelque chose de vrai et d’essentiel, maintenant le mouvement a été sirécupéré qu’il ne représente plus rien. Depuis que “Seditionnaries” et Malcolm Mac Laren ont mis la main dessus. C’est pour cela que le mouvement skinhead est une bonne chose. Il est totalement inacceptable pour les parents. Ceux-ci considèrent les punks comme une sorte de plaisanterie, un mouvement de jeunesse excentrique comme il y en a toujours eu. Les Skinheads sont associés à la violence, et ça leur fait vraiment peur aux adultes.”
(Jimmy Pursey)

Le barman de l’hôtel n’en croyait pas ses yeux… Mais que faire? Jimmy Pursey était monté sur une table et haranguait une dizaine de skinheads et de néo-punks sauvages. Les gens de la maison de disques ne trouvaient le salut que dans la fuite et Manoeuvre regrettait, en ce jour, d’avoir choisi d’interviewer Pursey plutôt que le guitariste de Dire Straits.
Tout cela était de ma faute. Il faut rendre aux kids ce qui leur appartient. Et à qui donc appartient Jimmy Pursey sinon à ces gamins nostalgiques d’une fureur punk qu’ils n’ont pas vraiment connue et à ces skinheads qui en veulent tant aux rockies, aux mods, à tout le monde, qui veulent tenir bien haut le flambeau de la rébellion. Aussi les invitais-je à l’interview…

Jîmmy Pursey est leur héros presque incontesté. Il n’est certes pas le mien. Tous les acteurs de la légendaire période punk de 77 se voient aujourd’hui débordés sur leur gauche. Rotten comme Clash ou même Pursey se voient déclarés coupables de haute trahison. Leur tribunal : des milliers de gamins havres aux yeux fièvreux, speedés jusqu’à la moelle de carburants pharmaceutiques et de bière éventée.

C’est que mods, ska, rhythmn’blues, rockabilly sont venus mais que rien, depuis quatre ans, n’a vraiment remplacé la furie et la rage punk; que l’aventure 77 est devenue pour tous ces gosses une légende qu’ils trainent sur les flaques de bière, aux grandes manifestations revival comme les concerts de Pursey ou Lydon.

Pogo! Pogo! Anarchy et No Future! Même si la margelle froide de la Fontaine St Michel ne voit s’écouler que leurs journées vides.

Ils s’appellent Jimmy Fuck ou Clode Destroy. Ils ont dix-huit ans. Ils viennent d’un milieu souvent moins favorisé que les vrais punks de 77. Quand le mouvement était mode et chic, que les punk rockers confrontaient leur No Fun et leur désir fou d’action aux pages glacées de Façade et aux poseurs ennuyés reconvertis dans le noir et le crispé, ils étaient trop jeunes.

“Je m’en tous de savoir si ça existe toujours ou pas. Je vis toujours comme en 77. En ce moment, j’ai de la chance, j’ai trouvé une copine qui m’héberge et me nourrit. Elle me file même cinq sacs par jour.”

Quel âge a-t-il ? Peut-être dix-huit. Je ne me souviens pas l’avoir vu à Mont-de-Marsan ou au Palais des Glaces. Evénements qu’il cite comme autant de batailles dont il était le vieux grognard valeureux… Cheveux spiky beurrés rance ou iroquois vert selon les jours, Perfecto noyé sous la peinture et les slogans, bottes de pompier courant après le modèle Harley chéri par Sid Vicious. Sid, le héros incontesté. Celui qui n’a pû changer. Celui dont le nom et l’image seront pour toujours associés à 77. Seront-ils les nouveaux rockies courant après un rêve enfui ? Ils reviennent en force à Londres ou Paris. Ils ont leurs groupes. Cockney Rejects, Crass, Angelic Upstart, Sham 69, UK Subs. Ils n’aiment plus, en général, leurs héros de jadis qui ont viré rock pur - comme Clash - ou rock électronique.

Chez les rockers de 77, il y avait deux écoles. Une école “arty”, sophistiquée et idéologiquement concernée, qui, en gros, tournait autour des Pistols, de Malcolm Mac Laren, et du Bromley Contingent. Tous les Adam, Siouxsie, Steve Strange, Marco en sont issus. Et il y eut une tendance plus dure, prolo, qui vit tous ces groupes tels Screwdriver, Lurkers, Sham 69. Ceùx-là ont débouché sur les skinheads. Leur idéologie est - en gros - tout ce que je rejetais en 77. La violence et la loubardisation, le premier degré, les tendances musicales heavy metal et le refus de la mythologie Rock. Ils étaient venus avec le dernier wagon, quand déjà les Pistols mourraient, que Generation X se laissaient pousser les cheveux et que Clash commençait à oser reprendre ces standards qui les démangeaient, tels “I fought the law” de l’immortel Bobby Fuller. Eux gerbaient un rock épais barbouillé de guitares glaireuses, grosses voix découpées à la tronçonneuse et textes naïvement crypto-rebelles. En Angleterre, ce fût Sham 69. En France, ce fût Trust. Tous les autres les élégants et les artistes s’engagèrent dans le long tunnel d’une traversée du désert morne et apparemment sans espoir. Aujourd’hui, ils renaissent, outrant l’extravagance allumée de leur 1ook et leur tendance à un rock élégant si rythmiquement primitif. Sûr, le succès d’Adam, le personnage même, fait plus plaisir que l’invasion loubardopunko qui débouche sur heavyrock et obsession zone/ prolo.

Tous ces groupes tels Visage, Tenpole Tudor, Spandau Ballet ne font peut être que revisiter un champ de manoeuvre décadent et glitter déjà bien labouré, ils n’en sont pas moins plus rassurants dans leur look et leur vision. Plus drôles. Ils ne mèneront à rien, certes. Mais néopunko et skinheads regresseraient. Déjà ça de gagné.

LA PAROLE AUX KIDS

Il ne veut pas que j’écrive son nom. Il ne voulait pas être photographié. Parano policière: O.K. C’est un chef skinhead. Teigneux et petit, crâne rasé allumé sous le froid, corps maigre sous le blouson Teddy, les rangers et le pantalon un peu baggy. Je parlais à Pursey et lui se faisait traduire, exigeant que je pose certaines questions. Il est d’une intégrité farouche, croit à son truc et ne veut pas que l’idéologie skinhead soit trahie. Idéologie? Parlons-en! Parfois, il m’a surpris. Il n’est pas si bête, même si l’humour n’est pas son fort. Mais à dix-sept ans, on ne fait pas de cadeau. L’identité qu’on s’est choisie, c’est un bout de monde à découvrir. Quelque chose qui ne se trahit pas.

“C’est normal que les jeunes skinheads anglais se tournent vers le National Front! Tu crois pas qu’ils ont les boules de voir les arabes et les pakos se tirer les meilleurs jobs alors que leurs vieux triment toute la journée en usine pour pas grand-chose”.
Ouap! Le genre de truc où personne ne sait quoi répondre… Le spectre du facisme aurait-il toujours des racines économiques et non idéologiques ? Les révoltés libertaires, qu’ils soient punkosituationnistes, anarchistes, mao bon teint ou radicaux modérés seraient-ils toujours issus d’un background bourgeois pour les mêmes raisons qui font se tourner les skins et la classe ouvrière vers l’intolérance et le flirt avec les mouvements purs et durs protectionnistes ? Un regard à Pursey. Comment va-t-il réagir ?

“Les skinheads ne sont pas vraiment nazis. Je ne suis pas sûr qu’ils se tournent vers le National Front à cause de l’exemple des problèmes familiaux, je ne crois pas qu’ils soient concernés par les problèmes politiques. C’est une révolte. Ils en en ont assez d’être des rebelles sans cause…”

Vaseux. Pas concernés par la politique et l’économie alors que l’Angleterre crève et que ces kids-là n’ont que le droit du chômage et du silence ? La réponse de Pursey ne veut rien dire; j’ai dû réécouter plusieurs fois la cassette pour être sûr de ne pas m’être trompé. Pursey est un irresponsable. Quelqu’un qui possède entre ses mains un POUVOIR incroyable et qui ne peut utiliser cette force, qui la gaspille d’une manière négative. Un leader bidon et un apprenti sorcier. Pourtant, il parle bien. Il ne se rend pas compte que les lyrics de son “Let’s rob a band” ont peut être conduits des skinhos aux fronts bas vers une délinquance minable, vers la taule. Trop facile, et la démagogie de Pursey m’angoisse comme celle de Bernard Bonvoisin.

Les groupes sont si jumeaux qu’il ne faut guère s’étonner si le Pursey a traduit les textes de Trust.

“Bernard est quelqu’un qui peut me devenir très proche si nous nous connaissions mieux. Quand j’ai lu ses textes, je me suis aperçu qu’il serait vraiment facile, de les adapter à une réalité anglaise; les problèmes qu’il évoque sont en fait universels. Trust est un groupe qui peut prendre en Angleterre une place vacante. Celle d’un grand groupe de musique disant des choses dans lesquelles les kids peuvent croire.”

Je cite Clash. Rien que pour voir le Pursey s’exciter sur le sujet, rien que pour le regard sanglant de ces kids qui ont laché Clash… Je savais d’avance le ton de la réponse de Pursey.
“Ils vivent dans un monde de rêve. Ils ne sont pas réels ! A quoi ça rime de se regarder dans la glace et de s’attifer comme James Dean ou Elvis Presley. Leurs petites fringues, leurs petites grimaces, leur petite musique qui essaient de faire ce qui était à la mode il y a vingt ans. Ils ne font que courir après le succès et les hit-parades. Ils ne font qu’essayer de devenir de foutues pop-stars. Comment on t-ils pu se permettre de croire un jour pouvoir parler aux kids alors que le père de Joe Strummer est ministre; le mien est ouvrier.”

Un monde de rêve ! Ne serait-ce pas là-même l’essence du rock’n'roll ? Pourqui donc se prend Pursey ? Pour une TV allumée ? Croirait-il à l’objectivité d’un rock-témoin comme il existe un cinéma-vérité ?

“Sham 69 a toujours été honnête. Les vêtements que je porte, ce sont les miens. Pas ceux d’un foutu Clark Gable ou James Dean. J’ai arraché les manches, ce n’est plus du prêt-à-porter. Les chansons de ma période avec Sham étaient ce que je vivais, ce que je voyais ! On n’est pas au cinéma ! Pendant que les acteurs s’embrassent sur l’écran, des hommes meurent. Il faut le dire !”
A quoi bon?
“Concerner les gens, leur offrir le savoir ! Qu’ils n’ignorent pas ce qu’ils sont et ce qu’on fait d’eux !”

Je rétorque à Pursey - rien que pour le plaisir - que Sham 69, avec tous ces beaux principes n’a réussi qu’à produire une bande d’avortons fascistes dont le passe temps favori est de casser la gueule aux pakistanais à la sortie des matches de football où à tailler au cran d’arrêt des cartes de France dans le dos des pauvres lycéens skas exilés à Londres en voyage linguistique. Je lui rétorque que ce Clash qu’il hait n’a eu lui aucune influence douteuse sur ses fans. Et Pursey s’énerve, transpire, hurle. Voilà un jeune homme concerné ! Après le scénario du “je n’aime pas le rock’n'roll”, il me servit chaud son deuxième cliché de rock-critique, le fameux : il faut donner la parole aux kids !

“Je n’ai plus le droit de parler aux kids ! Je le reconnais ! Je suis honnête ! J’ai vingt-six ans, mon visage dans les journaux, je descend dans des bons hôtels et j’ai suffisamment d’argent pour assouvir mes besoins. Ma vie n’a plus rien de commun avec celle d’un kid de 16 ans des faubourgs de Brighton ! Il taudrait que tous les gosses aient droit à la parole ! Ils n’ont même pas besoin de guitares électriques ! Il suffit de cuillères et de fourchettes ! N’importe quoi qui fasse du bruit! Ils peuvent entre-choquer ça en musique et raconter leurs vies dessus ! C’est ça la vérité !”

Et c’est bien pour cela que Sham 69 jouaient sur Gibson guitars et Marshall, que leurs guitaristes prenaient toutes les vieilles poses du catalogue des guitares heroes, que Pursey, avec son visage acéré et fin, faisait office de star poppy pour les masses post-punk…
“C’est pas vrai ! Sham était honnête même si maintenant, j’en ai assez que les gens m’identifient toujours à ce qui est fini ! On a fait un groupe quand on avait l’âge de le faire ! On n’a eu du bon matériel simplement quand on a eu l’argent suffisant pour se l’acheter ! On s’est dissous quand on n’avait plus rien à dire !”

Je laissais Pursey jouer le gourou, devant mes skinheads. L’idée, bien sûr, lui avait plu. Mais c’est F. qui eut le mot de la fin, qui toucha vraiment le coeur du problème :
“D’accord, les skinheads, il y en a déjà eu. Peut-être que les gens comprennent pas qui on est vraiment. Mais c’est le seul truc qu’on a pour nous aujourd’hui. Qu’on nous le laisse ! Avec ma tronche, tu me vois avec un petit costard comme les mods ?”

GHETTO

Plutôt beau gosse sur la pochette, Pursey nous a servi une dernière tentative solo sous cover noir et blanc et verbiage machine à écrire inscrit au recto, au verso, sur la pochette intérieure. Un plan que seul Dylan peut se permettre. Un plan qui fait rire de la part d’un Pursey qui ne veut jouer - dit-il -les prophètes. A mi-chemin entre Peter Hammill et Dylan, donc, Pursey parle, parle. Parle trop et se croit poête. Une macédoine de synthés clichetons et ‘baveux’. Un album idiot. Plus tard, il jouera aux Bains-Douches devant cinq rangs de pogoteurs hoquetants prêts à lui faire la peau pour avoir laissé les “Hersham boys” dans les poubelles de l’histoire. Ils ne lui pardonnent pas d’être devenu Pursey ; et devant cette hostilité, Pursey accumula les bravades dans la grande tradition punk pour renverser une situation qui lui colle à la peau… Mais l’apprenti sorcier n’aura plus jamais le droit de monter sur scène sans réveiller la momie Sham 69. L’apprenti sorcier était un irresponsable. Puissent les torrents d’eau qui submergeaient le gentil Mickey dans une semblable situation l’emporter loin d’un rock qui souffre trop de ces faiseurs d’a priori, évocateurs des vieux démons d’intolérance, ces faiseur de gangs et de lois des rues. La Sham Army est libérée… Ouf

Ceux qui jettent Alan Vega et méprisent Jacno sont bien les mêmes… Curieux comme les Skinheads gardent ancrés dans leur échelle de valeurs les notions de travail bien fait, de sincérité, de crédibilité. Curieux comme le look flashy des Clash a fonctionné contre eux en Angleterre.

Le vilain cliché ! Digne d’un Lavilliers ! Un rocker vrai se devrait d’être issu d’un milieu prolo, de rejeter tous les artifices dont son public ne pourrait profiter… Des méchantes bottes, un T-shirt troué, un rock raffiné comme le menu d’un restaurant de routier et des paroles accumulant les clichés libertaires et rebelles. Les “I don’t want to”, les “Kill the…”.
Tout cela a bien sûr donné un Third World War ou le rock déviant des Pink Fairies première époque… Mais ce trip est un mensonge. Une porte ouverte démago. Les Pursey sont des imposteurs, et sûrement pas des rockers… O.K. Un poster d’Elvis Presley ou de Clash ne résoudra pas les problèmes de leurs fans. Et un poster de Trust ou de Sham 69 ?…

Le rock’n'roll fifties ou le rhythm’n'blues offrent au moins un univers… Celui des groupes skins ne fonctionne que par l’identification intolérante, l’esprit de gang.

Et maintenant - à Paris tout du moins - si rockies et Teddy Boys ont laissé tomber les guéguerres idiotes, ce triste privilège revient aux skinheads. Ils en veulent aux mods ! Aux rockies ! Au jeunes gens modernes !

En fait les skinheads et les punks survival ont pris la place des rockies borné d’il y a cinq ans. Les allumés des fifties ont ouvert leur univers, laissé tomber la guerilla urbaine au profit du flash de la bande, au profit de la frime. Une frime vraie. Ils sont beaux et ils dansent. Tous le monde jalouse les fiancées des Cats.

Et, malgré les protestations démago d’un Pursey qui alla jusqu’à jouer avec Steve Hillage, malgré son “If The kids are united”, les skins et assimilés trainent la haine et la peur, font le jeu des flics en s’attaquant aux autres marginaux. Le phénomène n’est pas neuf et les chantres du black power ont depuis longtemps expliqué pourquoi le ghetto souffrait de ses dissensions internes. Un phénomène sur lequel la grande presse mettra toujours avec plaisir un accent soulagé.

Tant que les loups s’entredévorent…

ANT PEOPLE

Mais Londres et Paris changent. Après l’obsession de la loubardisation à tous crins et des fantasmes rock-révolte primaires, le rock se tourne aujourd’hui de nouveau vers flash et flammes, vers une rebellion orgueilleuse et nourrie de mythes et racines. James Dean remplace Gerard Depardieu. “A l’Est d’Eden” après “Les Valseuses”.

Il y a les Stray Cats ; il y a le retour à une musique vraie et chaude. Une attitude rebelle portant un rock imprégné de toutes les musiques et les mythes purs jazz et blues. L’avenir c’est ce rock’n'rol jazz qui prend à chacun le parfait contraire de l’odieuse fusion jazz-rock du début des seventies.

C’est que Charlie Parker ou Eddie Cochran, Cannonbal Adderley ou Gene Vincent, c’est la même vie brûlée à tous les esthétismes, c’est une même musique qui est cri de vie. C’est un roman et un film noir. C’est un prodigieux melting pot de légendes et d’identification pour kids qui voudront bien le découvri r… Mais, en attendant cela, Londres se contente d’un pis aller qui fait les rues belles et les boutiques de fringues fun. C’est Adam & The Ants ou Visage. C’est Tenpole Tudor ou Spandau Ballet. C’est la redécouverte de Marc Bolan et du Glitter !

C’est l’Angleterre veloutée et psychédélique de la fin des sixties. C’est King’s Road ! Les vestes brandebourg cramoisies d’Hendrix et les capes Orange de Clapton. C’est des fringues stylisant toute l’histoire des mythes rebelles. De Robin des Bois aux Pirates. De Ben Hur aux punks frappés et romantiques d’Hernani (les cheveux beurrés-vert de Baudelaire, le gilet turquoise-velours de Flaubert).

C’est des personnages pourtant rarement fascinants, un peu naïfs, et légers. Un rock bizarre et très bâtard.

Mais c’est mieux que rien. Et Adam est un personnage branchant, dispensant une chaleur humaine et une vérité généreuse. C’est un ancien du Bromley Contingent, les amis et fans des Pistols. Il fût formé par Malcolm Mac Laren, galéra plusieurs années, joua dans le fameux (et arty… du sous “Mr Freedom :” époque William Klein, du Godard académisé et studieux, du Antiononi à la “Zabriskie Point” outrant les situations pour flipper le bourgeois) “Jubilée”.

Il se fit piquer son groupe par Mac Laren qui en fit Bow Wow Wow avant de triompher avec son Adam & The Ants. A sa droite, Marco. Marco que je connus guitariste du tout premier Siouxsie & The Banshees. Un concert mémorable. Septembre 76 au 100 club . Sid Vicious à la batterie. Elli des Toys qui fit la couverture du Melody Maker après avoir joué dans ce premier festival punk.

Aucun n’avait le minimum technique pour permettre aux Banshees d’assurer la moindre suite d’accord ou de tempo. Une longue et insupportable plaidoirie free et hargneuse. Un mal à l’aise entretenu par l’attitude de gloriole killer de Sid et Marco. Génial.

Marco a grossi et flashe Rockabilly. Adam est beau, plutôt petit, accueillant. Autodidacte, il flashe sur un certain intellectualisme, est complexé par la culture politique et artistique de Mac Laren. Il se vante d’avoir joué dans des endroits “culturels” plutôt que des clubs de rock.
Lui aussi bien sûr s’aimerait leader, il est fier de ces Ant-people, les fans, qui le suivent à tous ses concerts. Des fidèles hardcore, habillés comme lui. Idéologie? Sex et fun. Ils sont plus style que les skins. Ils sont les héritiers directs de la tendance punk-décadente de 77 comme les fans de Sham ou Cockney Rejects sont les héritiers de la vision crasse et baston, no fun et chômage.

Quatre ans après, le punk rock porte ses fruits. Le temps a servi de révélateur, contrastant les tendances et les divisant. Le punk n’a duré que dix mois… Mais il est toujours là. Les hippies n’avaient existé que six mois… Ils ont vécu dix ans !

“Bien sûr que j’aime Cochran ou les Who. C’est ce que jouaient les premiers groupes punk qui se formaient à l’époque hippie. Mais je veux faire quelque chose de nouveau. Comme eux à leur époque. Le plus important, c’est le rythme. Je retourne aux sources africaines pour voir ce qui a été oublié…”
- Comme Bo Diddley…”
- “…?”
- Oui, tu as souvent un rythme jungle comme ça…
- Oui, c’est ça, les tams tams, la brousse. Le rythme et l’ambiance. Appeler les gens… Sinon mon héros de toujours est David Bowie. C’est lui qui m’a tait découvrir tout ça. Et Mac Laren. C’est lui qui a créé ce trip de vêtements. Si je mets des pantalons avec zips et pression, c’est que c’est les plus belles fringues qu’on ait jamais conçues. C’est MOI. Je n’ai jamais arrêté de m’habiller comme ça… on disait le punk démodé, mais tous les groupes qui sortaient imitaient le mouvement de 77 ? Les Pistols ont tout créé. Tout. La musique et l’attitude. Je respecte Public Image. Je ne pourrais jamais me fâcher avec ces gens là, ni avec Malcolm…”
- Malgré Bow Wow Wow?
- “… Ça c’est fait sans problèmes. Je veux que les filles soient belles, soient fières d’être des Ant- PeopIe. Nos kids savent qu’on les reconnait dans la rue. Ils font partie d’un mouvement mais il n’y a pas d’uniforme comme pour les skinheads. Les Ant-peopIe peuvent créer leurs vêtements. Ils sont libres. C’est la grande découverte de Mac Laren.

Je hais Jimmy Pursey. Ce qu’il fait est laid et vulgaire. C’est complètement démagogique. Il s’abaisse au plus bas niveau pour que les kids le comprennent sans effort.
Maintenant, il veut changer et ses fans ne veulent pas! Tant pis pour lui! De toutes façons, il n’était pas là en 76, il est venu après. C’est un faux punk. Comment ose-t-il se réclamer du mouvement ?

Je ne veux pas que la création et la connaissance soient réservés à une élite. Nous voulons que le rock’n'roll donne aux kids la possibilité de s’exprimer dans leurs rêves à eux. Pas par le biais de l’identification. C’est ça le punk. C’est ça Adam & the Ants. C’est politique. Et même si Steve Strange en ouvrant le Blitz et en surveillant l’entrée a contribué à lancer une mode, ce n’est pas aussi grave qu’on veut bien lui reprocher. J’aimerais que beaucoup d’artistes différents s’ouvrent au rock. Qu’il y ait des échanges entre le cinéma, la musique, la bande dessinée, des couturiers. Que le Rock OUVRE L’ESPRIT DES KIDS.”

Une bien belle phrase. Et le bel Adam a bien raison. Le soir, j’allai voir “Rock & roîl high school” au cinéma. Un vrai film rock! Avec les Ramones ! Tous les ingrédients de la mythologie Rock’n'roll! Un soudtrack alléchant !

Ouais… Après avoir vainement cherché Jean Lefevre et Bernard Menez dans la distribution, je sortis de là dégoûté. Des clichés naïfs, les Ramones se prêtant à une mystification éhontée de tout ce que le rock’n'roll pourrait être de souffle libertaire et de ferment révolutionnaire… Souffle libertaire ? Ferment révolutionnaire ? Ouverture vers une culture nouvelle et échangiste ? Prise de conscience idéologique ?

Pendant dix ans, j’ai cru tout cela.
Alors que la petite dinde gigotait sur “Sheena is a punk rocker”, je me demandai soudain si le rock’n'roll n’avait il pas fomenté deux générations de crétins ahuris et de zombies dociles.
Le rock’n'roll nous a tous fait cocus.

Patrick EUDELINE

Best N°153, avril 1981.


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