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:: Trotsky : l’idéologie et “le premier devoir du révolutionnaire prolétarien”

Par Louis

Pour Pierre Bourdieu,

Marx a évacué de son modèle la vérité subjective du monde social contre laquelle il a posé la vérité objective de ce monde comme rapports de forces. Or, si le monde social était réduit à sa vérité de rapports de forces, s’il n’était pas, dans une certaine mesure, reconnu comme légitime, ça ne marcherait pas. […]. La représentation subjective du monde social comme légitime fait partie de la vérité complète de ce monde” [Questions de sociologie].

Le sociologue français, pour se permettre cette critique, opère en dissociant la “représentation subjective” des “rapports de forces”. Il autonomise la première pour mieux relativiser le poids des secondes. A partir de là, l'émancipation ne se joue plus particulièrement sur le terrain de la lutte de classes — à laquelle, du reste, Bourdieu ne croyait pas –, mais en ces lieux où se joue la définition de la “représentation subjective du monde social” — sur le terrain de la communication en somme. Il n'est guère d'intellectuels (critiques ou pas) au cours de la seconde moitié du XXème siècle qui n'aient dit à peu près la même chose…

Trotsky, des décennies plus tôt, dans leur Leur morale et la nôtre (1939), leur avait déjà répondu : les marxistes ne rejette pas “la vérité subjective du monde social” ; ils rattachent simplement celle-ci aux conditions objectives de la lutte de classes en tant que “ressort principal de l'évolution des formes sociales“. Extraits :

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“L'idéalisme classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à séculariser la morale, c'est-à-dire à l'émanciper de la sanction religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachée des cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte de ces racines fut l'une des tâches du matérialisme. Après Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. Invoquer de nos jours les “vérités éternelles” de la morale, c'est tenter de faire rétrograder la pensée. L'idéalisme philosophique n'est qu'une étape : de la religion au matérialisme ou, au contraire, du matérialisme à la religion. […]

L'évolutionnisme bourgeois s'arrête, frappé d'impuissance, sur le seuil de la société historique, ne voulant pas admettre que la lutte des classes soit le ressort principal de l'évolution des formes sociales. La morale n'est qu'une des fonctions idéologiques de cette lutte. La classe dominante impose ses fins à la société et l'accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à l'encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale officielle. Elle poursuit “le plus grand bonheur possible“, non du plus grand nombre, mais d'une minorité sans cesse décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l'éthique lui est indispensable. La fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes petits-bourgeois. Ils peuvent faire jouer toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ; ils ne sont, tout compte fait, que les apôtres de l'esclavage et de la soumission. […]

La bourgeoisie, dont la conscience de classe est très supérieure, par sa plénitude et son intransigeance, à celle du prolétariat, a un intérêt vital à imposer “sa” morale aux classes exploitées. Les normes concrètes du catéchisme bourgeois sont camouflées à l'aide d'abstractions morales placées elles-mêmes sous l'égide de la religion, de la philosophie ou de cette chose hybride qu'on appelle le “bon sens“. L'invocation des normes abstraites n'est pas une erreur désintéressée de la philosophie, mais un élément nécessaire du mécanisme de la lutte des classes. Faire ressortir cette duperie, dont la tradition remonte à des millénaires, est le premier devoir du révolutionnaire prolétarien”.


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