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:: Negri : “je me demande si le capitalisme existe encore…”

Par Louis

Certains voient en Negri le porte-parole de la raison politique altermondialiste. La soupe qu'il produit n'est pourtant qu'un ramassis de thèses réactionnaires qui, adaptées à notre époque, donnent à peu près ceci : l'ancien capitalisme a disparu, crions désormais haro sur le “capitalisme cognitif” ! Leur atout principal, à ces thèses, est d'offrir une bonne conscience à toute la gauche non-révolutionnaire et sans lien avec la classe ouvrière : en effet, puisque la création de la valeur n'est plus l'apanage des travailleurs exploités, puisque “le capital n'est plus la force qui unifie le travail“, à quoi bon s'évertuer à parler de “lutte de classe” et de “révolution” ? Et le tour est joué — en quelque sorte.

Dans le dernier Le Monde des Livres, Negri, du reste, est explicite : “Je suis convaincu que nous sommes déjà des hommes nouveaux : la rupture a déjà été donnée, et elle date des années 1968. 1968 n'est pas important parce que Cohn-Bendit a fait des pirouettes à la Sorbonne, non ! C'est important parce qu'alors le travail intellectuel est entré en scène. En réalité, je me demande si le capitalisme existe encore, aujourd'hui, et si la grande transformation que nous vivons n'est pas une transition extrêmement puissante vers une société plus libre, plus juste, plus démocratique.”

La spécificité de Gramsci, lorsqu'il théorisait sa perte de confiance dans les capacités du prolétariat à transformer le monde, c'est qu'il conservait malgré tout quelques liens avec le mouvement ouvrier : ce tiraillement est perceptible dans ses écrits, notamment dans ses Cahiers de prison. Negri, quant à lui, c'est bien différent : il vit dans un autre monde ; un monde qui a rompu, définitivement, tout lien avec le mouvement ouvrier. Ses propos ne comportent donc aucune ambiguïté : “On n'a plus besoin du capital ! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation. La Multitude en a pris conscience, elle qui ne veut plus qu'on lui enlève le produit de son travail. Voyez le récent rassemblement altermondialiste de Rostock, en Allemagne. Ce n'était plus la vieille classe ouvrière, c'était le nouveau prolétariat cognitif : il fait tous les métiers précaires, il travaille dans les call centers ou dans les centres de recherche scientifique, il aime mettre en commun son intelligence, ses langages, sa musique… C'est ça la nouvelle jeunesse ! Il y a maintenant la possibilité d'une gestion démocratique absolue”.

Mais lisons la suite de l'article :

“C'est en désertant collectivement que les singularités en révolte pourront partager leurs expériences, échanger leurs idées, construire ce que Negri appelle le “commun” […]. Voeu pieux, tranchent les uns. Abstraction fumeuse, ricanent les autres, dénonçant l'illusion d'une justice immanente et globalisée, version généreuse de la propagande néolibérale. La notion de ” Multitude “ ne masque-t-elle pas la permanence de la lutte des classes ?, demande le philosophe slovène Slavoj Zizek. Et si l'Empire est sans limites ni dehors, comment pourrait-on s'en retirer, interroge pour sa part le philosophe allemand Peter Sloterdijk. ” La scène mondiale devient alors un théâtre d'ombres où une abstraction de Multitude affronte une abstraction d'Empire “, écrit quant à lui le philosophe français Daniel Bensaïd, raillant une “ rhétorique de la béatitude “” la foi du charbonnier tient lieu de projet stratégique ” : dans ces conditions, tranche Bensaïd, comment s'étonner que Negri ait appelé à voter “oui ” au projet de Constitution européenne ?

Face à ces critiques, Antonio Negri tient ferme.

Négri se tient ferme

Il explique que ses concepts demeurent ” à faire “, et qu'il souhaite seulement proposer quelques ” hypothèses “ : ” Moi je crois que la révolution est déjà passée, et que la liberté vit dans la conscience des gens. Vous connaissez la formule de Gramsci, “pessimisme de la raison, optimisme de la volonté”. Pour moi, ce serait plutôt “optimisme de la raison, pessimisme de la volonté”, car le chemin est difficile… “ Assis dans son bureau vénitien, entre une photo de son ami disparu, le psychanalyste Felix Guattari, et une statuette de Lénine, il pose la main sur un essai de Daniel Bensaïd traduit en italien (Marx l'intempestif) et repasse à l'offensive : ” Bensaïd, qu'est-ce qu'il me propose ? De revenir à l'Etat-nation ? A la guerre ? A l'individu ? C'est impossible, c'est irréversible, les catégories de la modernité sont perdues” […].


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