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Peshawar, ville frontière

Publié le 17 décembre 2008 par Argoul

L’attentat amateur du magasin le Printemps à Paris hier montre que la région afghano-pakistanaise est aujourd’hui très sensible. Même si l’ancienneté de la dynamite, l’absence de savoir-faire en matière de détonateur et le texte qui parle curieusement de grands magasins « capitalistes » évoquerait plutôt la mouvance anarcho-gauchiste que les milieux terroristes (ETA ou islamistes). Peut-être un étudiant d’origine arabe qui veut imiter les « petits grecs » et les gestes des « grands frères » de Corrèze ? D’où l’intérêt de s’intéresser au Pakistan, foyer d’une politique de caste militaire qui exploite le fanatisme religieux originel pour garder le pouvoir et le prestige international dû à la seule « Bombe arabe ». Les Pakistanais de la rue sont bien loin des politicards toxiques, bardés de médailles et bombant sans cesse le torse, moustache en bataille. Rien de tel qu’un voyage pour s’en rendre compte.

Il est difficile et dangereux d’y aller aujourd’hui , mais c’était encore possible en 2001 comme je l’ai fait. Il ne faut pas tomber dans l’angélisme : la sympathie spontanée des habitants qui aiment rencontrer des étrangers ne doit pas faire oublier la manipulation gouvernementale. Chaque humain est digne de respect mais pas chaque État. Les relations personnelles sont d’humanité, les relations d’État d’intérêt. La sympathie des habitants ne doit pas occulter les nôtres.

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Depuis Islamabad, où nous débarquons depuis Lahore par un vol intérieur, nous prenons la Grand Trusk Road, construite par un moghol . A un carrefour est élevé un curieux monument de béton en forme de montagne. Il figure un mont du Bélouchistan, région où l’armée pakistanaise a testé sa bombe atomique sept fois depuis le 28 mai 1998. Nawaz Sharif, qui en est le père tout fier, fit ériger un peu partout de tels édifices sur les routes du Pakistan. On considère que le pays a construit une douzaine d’ogives A alors même que le service de sa dette absorbe chaque année 60% du budget, les dépenses militaires représentent 45% des dépenses annuelles en 1999 (de 30 à 40% en 2006, selon une évaluation à la louche du Sénat français) ! Pourquoi voudriez-vous « aider » un tel pays belliqueux qui se moque comme de sa première shalwar kamiz de l’éducation de ses gosses ? L’armée comprend en outre 2120 chars, 9 sous-marins et 410 avions de combat. C’est ce que nous apprend notre guide local pakistanais, Karim, dans son anglais rocailleux mais châtié. Karim est un prénom ismaélien, secte chiite dont l’interprétation de l’islam est peu rigoriste. Ils rejettent « la lettre » du Coran pour rechercher le sens caché de la Parole, accessible à travers l’interprétation des initiés, les imams choisis par Dieu. Mais ce sont quand même les Ismaéliens qui ont inventé les « assassins », ces disciples haschischin du Vieux de la Montagne…

Un peu plus loin, nous croisons une partie ancienne, dallée, de la vieille piste moghole qui reliait Delhi en Inde à Kaboul en Afghanistan. Nous déjeunons dans un routier. Sur la porte il est marqué « fermé » et les rideaux sont tirés, bien que nous ne soyons pas en Ramadan. Mais le restaurant est ouvert, et bien plein. A n’y rien comprendre… sauf que nous apprendrons voyager par l’agence militaire de tourisme, qui « réserve » ainsi ses lieux pour ne pas mêler locaux et étrangers. Comme dans l’ex-Union Soviétique où la « contamination » capitaliste était une préoccupation constante. On nous sert du bouillon de poule et du riz « cantonais » dans une salle ventilée où les rideaux tirés et les rares lumières donnent une atmosphère de temple. Quelques familles privilégiées (probablement militaires) y déjeunent avec discrétion.

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Nous quittons la table peu avant 17 heures ; nous y sommes entrés tard. Sur le parking, parmi les boutiques ouvertes en plein vent, un jeune garçon en loques mendie. « C’est un Afghan », nous dit Karim. Le gosse est pieds nus, sa kamiz est déchirée et sale, son torse maigre maculé de poussière. Il me fait pitié. Nous rencontrerons d’autres gamins du même genre, miséreux et loqueteux, pourtant exubérants et beaux dans leur dénuement. Ils sont « réfugiés », comme ce seize ans déjà dans les affaires : tapis, bijoux, couteaux – il vend tout, « pas cher ». Lui se débrouille ; il fera sûrement un adulte dur en affaires, habile et retors. Mais je plains les plus jeunes, solitaires, n’ayant que leur frimousse pour survivre en apitoyant les croyants ou les rares touristes. Non qu’ils ne sachant pas être heureux, à leur manière, dans la société traditionnelle demeurée conviviale du Pakistan, mais tout avenir leur est bouché. Ils ne vont pas à l’école, ne parlent aucune langue étrangère hors le pachtoune parlé des deux côtés de la frontière. Ils devront s’affilier à un clan, ou émigrer. Pour aller où ? Pour faire quoi ? Des faibles possibilités du Pakistanais moyen, ces gamins réfugiés d’ailleurs n’en ont quasiment aucune : ni soutien familial, ni entraide de clan, ni formation – que l’islam, une fois encore ! A eux de se débrouiller dans la jungle. Moi, que puis-je faire ? Rien. Que leur donner un sourire et parfois quelques pièces. Je ne fais que passer et tout est si difficile à comprendre, si lourd à bouger.

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Nous somnolons tous plus ou moins dans le bus, bercés par la route. Les bords sont plus verts, l’Indus est proche. C’est au fort d’Attok, une magnifique construction moghole au bord de l’eau, que l’Indus terreux rencontre la claire rivière de Kaboul. Leurs eaux se marient pour irriguer le delta et se jeter, bien des jours plus tard, dans le golfe Persique – appelé ici en anglais « Arabian sea ». C’est encore une réalisation d’Akbar dès 1581, avec deux kilomètres et demi de murailles crénelées. Tout ce qui est beau, dans ce pays, semble héritage des Moghols ou des Anglais… Strikt Verboten pour les photographies ! Le fort est actuellement occupé par l’armée, et puis nous sommes sur un pont – site « stratégique » - comme nous le rappelle Karim. Des ruches sont alignées sous les eucalyptus en bord de route, de plus en plus fréquentes à l’approche de Peshawar. Deux gardiens les surveillent d’un oeil, allongés à l’orée d’une tente de l’armée. Des jardinets cultivés bordent aussi la route ; ils approvisionnent les marchés en légumes frais.

Le bus nous arrête au « nouveau » bazar pour prendre contact avec la ville. Certains et certaines veulent acheter des shalwar kamiz (ces longues tuniques sur pantalon large) pour se déguiser en local. Nous devons écluser plusieurs boutiques avant de trouver ce qui leur convient à peu près. Nous ne sommes que trois à explorer une librairie du quartier. Je cherche les rééditions locales des explorateurs anglais de la fin du XIXème siècle. Tous les titres cités habituellement sont là, pas chers, et j’obtiens par exemple Where three empires meet de Knight, récit d’une exploration de 1891. La nuit tombe, mais les garçons, dès dix ans, nous regardent avec autant de curiosité. Nous sommes suivis partout où nous allons d’une cour discrète mais omniprésente de jeunes pages. Quelques petites filles de moins de 7 ans nous abordent aussi, quand elles ont à nous vendre des babioles. Le commerce enhardit les enfants ; il leur offre un prétexte à assouvir leur curiosité naturelle de l’étranger ; la vente est l’instrument de leur audace. C’est un rôle, comme au théâtre. Le commerce est formateur car il oblige à forcer sa personnalité et permet une meilleure assise de son image. L’école, bien sûr, serait mieux pour ces enfants, mais comme ils n’ont rien d’autre…

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Notre hôtel, le « North West Heritage Health » au nom bien pompeux, est situé dans le « vieux » bazar, un peu en retrait de la rue où se traitent encore de magnifiques raisins blancs et des mangues bien mûres à cette heure de la nuit.


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