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Grand-Paris et petits média*, ou les frontières mentales du Petit-Paris

Publié le 29 décembre 2008 par Jean-Paul Chapon

Le JDD Ile-de-France ne reparaîtra pas, quant à ParisObs, il change de formule pour se fondre avec TéléObs et ne traiter de Paris que l’information culturelle, mais de « manière plus riche », annonce ParisObs dans un article intitulé Paris, un porte-poisse pour la presse ? L’article reprend l’histoire des médias centrés sur Paris pendant ces 20 dernières années et constate sans donner vraiment d’explication, l’hécatombe, mis à part le Parisien, qui fait de la proximité aux dépens d’une vision métropolitaine avec ses éditions départementales, et paradoxalement, le JDD Ile-de-France qui pourtant s’arrête, et intègrera 4 pages sur Paris et la région Ile-de-France dans son cahier principal, économie de fabrication sans doute.

Parmi les pistes explorées pour comprendre ce phénomène, ParisObs donne la parole à Jean-Christophe Mikhaïloff, ancien éditeur de Zurban, dont les déclarations méritent un mur de çon hors concours de Paris est sa banlieue ;-) «Tous nos titres échouent sur le même écueil : ils tablent sur un lectorat de 8 millions d’habitants. Mais Paris n’est pas Londres. Il n’y a pas de culture métropolitaine. Le lectorat parisien, c’est 2 millions. L’intra-muros.» déclare Mikhaïloff à ParisObs, qui précise que «Zurban», comme la plupart de ses concurrents, n’a jamais réussi à passer le périphérique (70% de la diffusion à Paris). «L’habitant de Chatou n’en a rien à faire de ce qui se passe à Créteil. Et la plupart des banlieusards n’ont qu’une consommation très ponctuelle de la culture à Paris. Il y a des frontières mentales que l’on n’imagine pas…»

Comment peut-on pousser jusqu’à ce point une vision aussi caricaturale, étroite et élitiste de Paris, avec d’un côté ces 2 millions de parisiens intra-muros cultivés, consommant de la culture de façon soutenue, et de l’autre côté, ces « banlieusards » qui n’ont qu’une consommation « très ponctuelle » de la culture à Paris, et par dessus le marché oser un « il y a des frontières mentales que l’on n’imagine pas » ! Comment peut-on se leurrer devant le miroir aux alouettes de l’entre-soi et s’enfermer dans ses propres « frontières mentales ». Et qu’est-ce cela veut dire aujourd’hui « la culture à Paris », ne se passe-t-il vraiment rien au-delà du périf, amusant alors que la Comédie Française essaie de mettre la main sur la MC93 de Bobigny ! Mais c’est surtout le jugement sur « les banlieusards », les habitants de Chatou ou ceux de Créteil, qui n’ont sans doute d’intérêt que pour leur clocher et leur petite vie banlieusarde à l’horizon étroit et inculte. La « consommation » de culture tient à beaucoup de choses, parmi lesquelles la facilité d’accès à la culture, les moyens économiques, et le temps aussi. Je ne suis pas sûr que tous les 2 millions de parisiens intra-muros ont les moyens de se « payer » une consommation culturelle assidue, quant aux banlieusards qui le voudraient et le pourraient, il y a aussi d’autres obstacles que les « frontières mentales » de Jean-Christophe Mikhaïloff qui entrent en compte. Et si « l’habitant de Chatou » ne s’intéresse pas à ce qui se passe à Créteil ou à Paris intra-muros, ce n’est pas forcément parce qu’il est inculte, mais peut-être parce que l’accès à la culture n’est pas facile pour lui, à commencer par l’accès physique. Aller le soir à Bobigny, ou à Ivry au théâtre Antoine Vitez depuis Fontenay-sous-bois n’est pas évident, si l’on ne prend pas sa voiture. C’est ça aussi l’accès à la culture.

Pour répondre à Mikhaïloff, on pourrait s’appuyer sur les chiffres de diffusion de 3 quotidiens nationaux, taxés de concurrence avec les Zurban et compagnie, parce que leurs rubriques culturelles sont « largement consacrées aux grands événements de la capitale » pour montrer qu’on sait aussi lire en banlieue. Ainsi Le Monde a une diffusion de 48% en Ile-de-France (dont 37% à Paris), Le Figaro de 59% en Ile-de-France (42% à Paris) et Libération de 42% en Ile-de-France (27% à Paris). Mais ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose, si ce n’est que ce sont des parts de diffusion nettement supérieure à la part de population de l’Ile-de-France (20% de la population française) justifiant sans doute le fait que ces médias s’intéressent à leur lectorat parisien, intra et extra-muros. Concernant la part Paris intra-muros par rapport à la banlieue, l’écart plus réduit entre diffusion Paris et Ile-de-France pour le Monde, en comparaison des deux autres titres reflète certainement la difficulté à trouver le Monde en banlieue, comme je l’ai souligné à plusieurs reprises dans Paris est sa banlieue, et peut-être aussi le fait que de nombreux banlieusards, travaillant à Paris achètent Le Monde - quotidien du soir - près de leur lieu de travail avant de rentrer chez eux en banlieue. J’achète le Monde tous les jours, 5 jours à Paris et 1 seul en banlieue où j’habite.

Il y a des frontières mentales que l’on n’imagine pas, c’est vrai, mais surtout dans l’esprit étroit, borné et méprisant de certains Petits-Parisiens de l’intra-muros qui se pensent l’élite intellectuelle de la Ville aujourd’hui et vivent enfermés dans un rempart d’un autre temps. La construction d’un Grand-Paris, en passant par Paris-Métropole, est nécessaire aussi pour faire tomber ces « frontières mentales » C’est ce à quoi depuis bientôt 4 ans Paris est sa banlieue essaie de contribuer, pour faire émerger cette culture métropolitaine, riche et diverse, mais qui a tant de choses en commun, et qui est celle de la Ville réunifiée, de part et d’autre du périphérique n’en déplaise à Jean-Christophe Mikhaïloff.

* Titre d’un mail que Gurvan Le Guellec, journaliste de ParisObs (un des auteurs de l’article en question) m’avait envoyé et que je salue amicalement ;-)

Jean-Paul Chapon


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