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Russie-Israel : un conflit d’envergure

Publié le 05 janvier 2009 par Infoguerre

Depuis la chute de l’URSS et la reprise des relations diplomatiques entre la Russie et Israël, on aurait pu s’attendre à un axe important entre les deux pays qui ont beaucoup à partager. Pourtant, la relation apparaît sur plusieurs niveaux comme tendue, voire chaotique. Plusieurs éléments importants rentrent en compte pour expliquer cela : la relation privilégiée entre la Russie et la Syrie, la participation active d’Israël a l’offensive géorgienne et en toile de fond la forte relation américano-israélienne.

Israël est le seul pays hors CEI (Communauté des Etats indépendants) possédant un foyer national russe important : plus du quart de la population d’Israël parle russe, est de culture russe et puise ses informations sur la situation dans le monde dans les médias israéliens et russes. De plus, plusieurs projets bilatéraux intéressants dans les domaines de l’énergie, l’informatique, les télécommunications, l’armement et surtout la coopération dans le domaine de la lutte anti-terroriste ont vu le jour. « En 2007, le volume du commerce entre la Russie et Israël a atteint 2,5 milliards de dollars », a constaté M. Saltanov, le vice-ministre russe des Affaires étrangères. Il est à noter aussi que la position géopolitique unique de la Russie peut permettre de débloquer la situation entre Israël et l’Iran, empêchant que la confrontation ne parvienne à un stade irréversible. Pourtant, malgré la volonté affichée, surtout par Israël, d’un partenariat solide entre les deux forces, les relations se dégradent rapidement et font craindre une issue des plus défavorables, à savoir un conflit armé par procuration comme cela eu lieu lors de la Guerre des 6 jours. Si la Russie soviétique avait ses raisons de pousser les pays arabes à la guerre contre Israël dans le contexte de Guerre Froide, les raisons, cette fois, sont multiples :

La forte implication d’Israël dans le conflit avec la Géorgie

Le poids que les Etats-Unis ont tenu dans ce conflit est connu de la communauté internationale. Pourtant, Israël a joué un rôle plus important mais plus discret pour s’éviter les foudres russes. L’année dernière, la Géorgie a engagé des firmes israéliennes de sécurité privées, plusieurs centaines de conseillers militaires (presque 1000) pour former les forces armées géorgiennes aux tactiques de commando, d’air, de mer, blindée et d’artillerie de combat. Ces sociétés ont aussi dispensé une instruction sur l’intelligence militaire et la sécurité. Tbilissi a également acheté beaucoup d’armes et de systèmes de guerre électronique à Israël. Il existe ainsi une profonde coopération militaire entre les deux pays, en particulier dans le domaine des drones, du matériel de vision nocturne et des roquettes. Les experts parlent de contrats de plus de 250 millions de dollars par an, mais cela est sûrement très en dessous de la vérité compte tenu de la censure militaire qui prévaut en Israël. Devant les premières protestations Russe, Israël a décidé, il y a environ un an, l’arrêt des ventes d’armes « offensives » en se concentrant, officiellement, sur du matériel « défensif » et des conseils militaires. Israël a choisi surtout de mettre un terme à ses ventes d’armes à la Géorgie, tout juste une semaine avant que la Géorgie n’attaque l’Ossétie du Sud. A l’évidence, les Israéliens savaient ce qui allait arriver, et ils ne voulaient pas y être mêlés.

Quels intérêts les Israéliens avaient à interférer dans une guerre qui ne peut aujourd’hui que leur apporter des problèmes ? Les premières raisons sont bien évidemment économiques : Israël a un pan considérable de son économie consacrée à la défense. Elle voit donc dans la vente d’armes et de conseils militaires un moyen de tirer profit d’un avantage qu’elle a développé. Le fait que deux ministres Georgiens, de la Défense et de la Réintégration, soient juifs, israéliens et maîtrisent parfaitement l’hébreu a favorisé les événements. Mais la raison principale est bien plus secrète, la Géorgie apparaît surtout comme une place très importante en ce qui concerne l’acheminement du pétrole et du gaz vers Israël. Cette dernière n’ayant pas beaucoup de voisins à travers lesquels elle peut acheminer des ressources naturelles, elle utilise le BTC pipeline (Baku-Tbilisi-Ceyhan) passant par le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Pour Israël, cela s’est révélé être un moyen de défendre ses intérêts stratégiques en ne dépendant pas de la Russie. La présence israélienne en Géorgie, à l’instar de la présence américaine, avait précisément pour but de faire obstacle à la réémergence de la Russie.

L’importance de la relation américano-israélienne

Plusieurs éléments font penser en ce moment à un « remake » de la Guerre Froide : deux blocs se distinguent assez clairement. Un bloc occidental composé des Américains, des Européens et d’Israël, s’oppose à un groupe dans lequel on retrouve la Russie, l’Iran voire la Chine, le Venezuela et la Syrie. L’installation du bouclier anti-missile américain en Pologne, la guerre entre la Géorgie et la Russie, l’entrée envisagée de l’Ukraine dans l’OTAN, sont autant de sujets qui attisent les crispations entre les deux blocs et font apparaître des jeux de puissance pour établir (ou rétablir dans le cas de la Russie) les réseaux d’influence. Pour la Russie, l’enjeu géopolitique reste le même depuis la guerre expansionniste qu’avait menée le Tsar Nicolas 1er en 1854 : l’accès aux mers chaudes, pour mieux contrôler les frontières de l’Europe de l’Est, et celles du Moyen-Orient. Le Moyen-Orient apparaît comme une région stratégique et risque de devenir, comme au plus fort moment de la Guerre Froide, une zone d’affrontement entre les deux blocs. Dans une logique belliqueuse de base, où « l’ennemi de mon ennemi devient mon ami », Israël risque de faire les frais d’un conflit auquel elle n’était pas réellement mêlée. Ces deux raisons permettent d’expliquer pourquoi la Russie a décidé de « punir » Israël et de se rapprocher de ses ennemis arabes, en particulier la Syrie.

La vente d’armes russes à la Syrie

Un rapport privilégié a existé entre la Russie et la Syrie pendant la Guerre Froide. Ces relations qui s’étaient estompées avec la chute de l’URSS redeviennent assez conséquentes. Il semble évident que les deux pays y ont tout à gagner : La Russie voit en la Syrie un avant poste lui permettant de jouer un rôle prépondérant au Moyen-Orient et la Syrie trouve un intérêt à ce qu’un grand pays la soutienne alors que ses relations avec les Etats-Unis sont conflictuelles. En tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, la Russie a la possibilité d’émettre un veto et ainsi bloquer les initiatives de l’ONU. Plusieurs événements témoignent du rapprochement qui a lieu entre ces deux pays : l’annulation quasi intégrale de la dette contractée par la Syrie auprès de URSS (14,5 milliards de dollars), la base de Tartous qui devient une importante base de la marine russe et surtout la vente massive d’armes russes à la Syrie. Ces achats d’armes, financés par l’Iran, rapportent environ 1,5 milliard de dollars par an et ce chiffre pourrait augmenter jusqu’à atteindre 5 milliards en cas de ventes de matériels plus sophistiqués. La Russie s’est longtemps contentée de vendre des armes pas trop menaçantes pour Israël. Comme le disait le président russe : « nous serons prêts à vendre à la Syrie ces armes qui ont avant tout un caractère défensif et ne violent aucunement l’équilibre stratégique des forces dans la région ». Pourtant, depuis peu le discours vient de changer. Le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a annoncé que la Russie était prête à vendre de nouveaux types d’armement à la Syrie. Moscou serait prêt à fournir le missile sol-sol Iskander, modèle très sophistiqué des Skuds, très précis, d’une porté de 300 km (donc couvrant presque tout le territoire d’Israël) et le missile sol-air, dernier cri S-300, considéré comme l’équivalent du Patriot américain. Ces deux systèmes d’armement seraient pour la Syrie un sérieux saut qualitatif dans sa capacité de nuisance terrestre et dans son bouclier aérien : le dernier formerait un sérieux obstacle à la possibilité israélienne de répondre à une attaque précise avec le premier.

De plus, des avions de combat perfectionnés MIG-31 viennent d’être vendu à Damas. Ces MIG-31 sont considérés comme les avions d’interception les plus perfectionnés au monde. Ils peuvent voler plus de 700 km et sont dotés de missiles pointant sur des cibles situées à plus de 200 km de portée. Le contrat est évalué à plusieurs milliards de dollars. Israël s’inquiète d’autant plus que les armes précédemment vendues à la Syrie sont celles qui ont servi au Hezbollah pour détruire les chars israéliens durant la guerre du Liban. Ainsi, on comprend mieux pourquoi la dernière sortie officielle d’Ehud Olmert, premier ministre israélien, fut un voyage en Russie dans le but de rendre aux Russes une superbe propriété de la famille impériale russe en plein Jérusalem, objet d’un long contentieux entre les deux pays.

Malheureusement, on peine à croire que cela puisse suffire.

BK


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