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Une visite sans importance (1/2)

Par Loïs De Murphy

« Entre Adèle, comment vas-tu ? » L'accueil est le même que je franchisse le seuil avec un grand sourire, à l'improviste où sur une invitation comme aujourd'hui : France Inter est trop fort, ses bises trop molles – il a d'abord failli me serrer la main puis s'est ravisé –, son chien dans les pattes et sa femme toujours en vie.

Il m'appelle par mon prénom, or souvent le nom suit et je déroule mon écharpe en un long ruban cardinal, il y a au moins trois tours de fausse côte anglaise c'est tout ce que je sais tricoter. Gants manteau et sac ensuite et le perroquet légèrement dévissé penche un peu trop. Je voudrais éviter de faire des vagues il m'a appelée par mon seul prénom c'est peut-être un bon jour. Je pose le tout au sol, fais une boule du manteau sur le sac qui est plus exactement une maison dont je suis propriétaire, la seule où mes clés et mes papiers habitent quand je tourne encore parfois pour me loger. Le clebs va pisser dessus, il y a de grandes chances qu'il le fasse, il urine partout dans cette maison de cinglés et je n'ose rien dire, qu'ils me gardent un peu et qu'avant de partir mon père ne parte pas dans sa chambre avant de me saluer « au revoir ma fille à bientôt merci de ta venue ça m'a fait plaisir de te voir » Il ne dirait jamais cette jolie chose, ce serait incongru mais dans ma tête ça passe, je ne suis pas choquée par l'idée. Il s'éclipsera comme d'habitude et leur maison changera d'odeur, les papiers peints seront plus ternes et j'écourterai ma visite.

Il ne m'a pas dit « Tiens ! Adèle Taburin, qu'est-ce que tu veux ? »

Adèle Taburin, Adèle T., le nom de l'amer, l'initiale que je signe d'une barre de migraine horizontale sur le trait vertical. Peut-être qu'il m'appelle par mon prénom pour m'humilier. Adèle, « A-d'elle », pour que l'on sache d'où je viens, c'est à dire pas de lui ça non, s'il l'avait voulu j'aurais eu sa reconnaissance dans le livret qui à présent doit toujours avoir le même âge que moi, je n'en sais rien, je ne l'ai pas regardé depuis... je ne souhaite pas me le rappeler.

Dans les périodes d'exultation je signe A. et non T. C'est à dire toute la partie administrative avec la migraine, et le A. pour le reste. A est ma voyelle préférée, le bout de moi quand on m'appelle qui fait que je lève les yeux ou me retourne. Elle est complète, globalisante, couvre une large gamme d'émotions, sert du premier cri au dernier râle. « Ah ! Tu vois ! Ah bon ? Ah, merde ! Ha ha ha ! Aaah, je jouis ! A moi, je meurs ! »

Je ne porte pas le nom de mon père mais celui de ma perte. Sa  seconde épouse me crie bonjour depuis le salon. Je n'entends pas ses enfants si laids que je la surnomme « Teratogène », si bêtes qu'ils vivent plus ou moins à leurs crochets malgré la quarantaine qui les a attrapé par la peau de leur cul mou de bons à rien. Une excuse pour m'éviter ? Tant mieux ! Restez au Diable je prends des vacances.

La galette est dans la cuisine, celui qu'ils appellent « le vieux » l'apporte sur ses mains gonflées par la goutte et le vin blanc et me demande de la couper.

(à suivre...)


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