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La musique en 2008, seconde prise

Publié le 20 janvier 2009 par R0udy

Forcément, avec seulement vingt albums et une conclusion baclée, j'étais passé à côté de pas mal de perles.

La musique en 2008, seconde prise

Commençons par Cat Power. Entre la superbe édition deluxe (12+5 pistes) du Jukebox sortie en début d'année et l'EP hivernal Dark End of The Street (6 pour celui-ci) probablement constitué de b-sides et de pistes récupérées sur le sol du studio, on a eu de quoi profiter du délicieux accent sudiste de la belle Chan Marshall. Pas au niveau de son génial Covers Album, nonobstant aisément deux des meilleures sorties rock minimaliste depuis The Greatest. On se sent une nuit de janvier roulant à tombeau ouvert sur les chemins longilignes et infinis d'Amérique, emmitouflé dans une vieille veste de pilote de l'air en cuir noisette.

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Vient ensuite le plutôt bon Viva La Vida de Coldplay, plus déterminé que leur précédent. Quelques beaux élans lyriques pour autant de faux pas — Chris Martin semble constamment retenir le groupe en arrière, usant sans fin les mêmes ficelles vocales, sans jeu de mots, tandis que l'orchestre semble afficher une propension à l'expérimentation. A écouter cependant, surtout en présence désormais du remarquable disque-bootleg complémentaire Prospekt's March.

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Poursuivons avec Sigur Rós, déviant légèrement des compositions enluminées post-rock vers quelque chose de plus démonstratif avec un Með suð í eyrum við spilum endalaust sympathique mais en retrait par rapport au chef d'oeuvre Takk. Moins de guitare, plus de piano ; l'illustration montre nus, de dos, les membres du groupe traverser une autoroute depuis un terrain vague en direction d'autres vallées, peut-être comme libérés de leur connotation bucolique, allant de l'avant sans peur de se faire renverser. Tandis qu'ils semblent chercher un nouveau son, les amateurs de Coldplay devraient justement les apprécier en l'état, proche dans le résultat de ce que Shearwater produit pour Rook.

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Björk, autre grand nom du nord, sortit en 2008 un single en collaboration avec Thom Yorke, Náttúra, dont les profits profitèrent à une organisation de protection de la nature. Magnifique morceau expérimental, superposant en fond bruitages saturés, vocales éthérées du leader de Radiohead et déluge de percussions déchaînées mais syncopées en permanence — gardez le titre en tête, tandis que l'islandaise nous offre une prestation habitée façon PJ Harvey dans sa trop rare langue natale.

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Aussi les Glasvegas firent une entrée en scène fracassante avec leur disque éponyme, assurément l'un des meilleurs débuts purement rock depuis longtemps. Aux amateurs des Oasis d'avant, contentés par les Fleet Foxes mais idéalisant plus de puissance brute. J'imagine qu'ils deviendront un phénomène radio en 2009, leur album renfermant quelques pistes potentiellement diffusables.

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Ce qui m'emmène à aborder le début des brooklynoises de Vivian Girls. Si les arrangements y apparaissent largement influencés par la new-wave, ce sont les voix calées entre dream-pop et grunge (je ne suis pas très sur du sens là) qui propulsent cet enregistrement de moins de 22 minutes semblant provenu directement du crépuscule des années soixante-dix au sommet des réussites indépendantes de 2008.

La musique en 2008, seconde prise
La musique en 2008, seconde prise
La musique en 2008, seconde prise

De là nous pouvons dériver sur les Deerhunter, qui comptèrent trois sorties l'année passée chacune prétendant solidement au titre d'album indispensable. Atlas Sound, alias James Cox alias le membre fondateur du groupe susnommé fit de l'introspectif Let The Blind Lead Those Who Can See But Cannot Feel un hypnotique hybride shoegaze et ambiant, deux genres effectivement déjà proches par définition, hors du temps et d'une quelconque réalité physique et vint ainsi inscrire son premier essai autonome dans la continuité des démarches qui donnèrent naissance à des albums-clés tels que Vespertine, Donuts ou Amnesiac. Le captivant processus créatif est décrit en détail sur la page Wikipedia de l'LP. Venons-en au groupe à proprement parler, qui entama 2008 sur le judicieusement intitulé Microcastle, surclassant sans peine la plupart des têtes de liste de mon article de base. C'est une collection qui sonne comme la fin de l'enfance, celle des cauchemars et des univers repoussants mais dont on garde tout de même à jamais la nostalgie : ses ambiances n'y sont pas complexes mais restent difficiles à appréhender (Activa et ses sonorités vaporeuses toutes de berceuses inspirées, l'atmosphère déjà perçue mais légèrement dysfonctionnelle sans que l'on ne comprenne pourquoi de Little Kids, le d'abord lointain et miroitant puis torturé et envahissant Twilight at Carbon Lake), et c'est ce qui en fait la beauté. Inclus en disque bonus avec Microcastle, Weird Era Cont. demeure assez abouti pour être considéré comme un album à part entière. Plus intense, le disque renoue avec le shoegaze pur et évoque à maintes reprises quelques pierres angulaires du rock alternatif, les géniaux Loveless et In Rainbows en tête, le séminal Psychocandy occasionellement (Vox Humana débute en outre sur le même accord que l'opener Just Like Honey, les amateurs de Lost In Translation apprécieront), tantôt simplement grâce à ses riffs impondérables et ses vocalisations aériennes, tantôt grâce à sa propension évidente à renouer avec le palpable à travers des cuivres en cascade et aux basslines claires et sèches. Je pense pouvoir l'affirmer sans me tromper, Microcastle/Weird Era Cont. fut le meilleur album de 2008.

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Le self-titled des Vampire Weekend, lui aussi début, se veut plus gentil, plus pop. C'est un album réminiscent des années peace & love et de la libération des esprits plus généralement mais qui reste très frais et actuel, relisant le rock FM d'aujourd'hui à la manière des The Do, sous une optique inoffensive mais pas dupe. Les chansons donnent toutes envie de danser, mais seul, de sourire au monde mais discrètement, en gambergeant sur l'avenir en arrière-plan. Réjouissant bien entendu comme toutes les bonnes musiques, mais déprimant également, comme un paquet d'entre elles. Or pas pour les mêmes raisons, et c'est ce qui est remarquable.

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Evoquons le This Is It & I Am It & You Are It & So Is That & He Is It & She Is It & It Is It & That Is That de Marnie Stern avant de dériver légèrement vers le trip-hop. A vrai dire avec un titre pareil, j'étais emballé mais le résultat n'a pas déçu : dès les premières secondes la jeune blonde séduit, martelant dans un espèce de slam foireux les paroles sur un rythme rapide imprimé en claquant ce qui me paraît être un étal. Pause. Et d'un coup, explosion, riffs serrés incessants et hyper saturés, bpm démentiel, voix qui suit d'un air nonchalant mais secrètement calibrée à la mesure près ; une déferlante de puissance qui ne quittera plus la chanteuse jusqu'à la dernière note de son album rock jusqu'au bout d'ongles que j'imagine vernis avec soin. Cette connasse m'a pris par surprise avec sa jaquette pastorale, là j'attendais Joni Mitchell M.I.A débarqua, félicitations.

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Je parlais de trip-hop : grosse découverte avec le Saint Dymphna de Gang Gang Dance, un album poulpe, métaphore sagace s'il en est. La vocaliste apparaît défoncée chaque fois qu'elle ouvre la bouche (c'est assez rare) mais on s'y fait, et les compositions compensent en relèvant parfois le niveau, parfois du génie. Ca rappelle Tricky et Massive Attack par moments, respectivement pour la maîtrise pédante et le côté soulful, et laisse rêveur sur ce que le premier aurait pu produire si sa relation avec Björk n'avait pas tourné court. Du bout de leur tentacules (ils sont trois), les producteurs ventousent les éléments versatiles de la house (comprendre le côté tribal, bien que l'on décèle également une influence électro forte mais symbiotique), du rock et de la pop pure et simple pour recracher une encre singulière et toxique, qui prend son temps pour s'effacer — leur premier ne s'intitule pas Survival of the Shittest par hasard. La pochette laisse l'observateur hésitant entre burqa et masque vénitien, et effectivement, l'auditeur persiste dans l'antinomique après écoute, qualifiant cette fois l'album d'un enflé “carnaval terroriste”.

Deux autres grosses sorties du genre marquèrent l'année, peut-être plus nichées (comme dans “musique de niche”) mais tout autant appréciables.

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D'un côté, le profondément ancré dans la pop synthétique Saturdays = Youth de M83, qui malgré la répulsion profonde que j'éprouve envers la musique des années 80 est parvenu à attirer mon attention. Extrêmement sexy mais assez élitiste, je recommande aux amateurs du Love Deluxe de Sade et à ceux qui ont foutu Relax, Take It Easy en sonnerie de portable à l'époque ; les sporadiques envolées post-rock redirigent toutefois l'album vers les sentiers battus de celle que j'ai envie de qualifier scène alternative traditionnelle.

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De l'autre, l'électronique Out My Window d'un Koushik qui poursuit tout simplement le travail accompli trois ans plus tôt sur Be With. Comprenez exploration de sonorités diaphanes sur fond lumineux, influences rythmiques hip-hop et funk, c'est-à-dire inconstantes et généralement enjouées, et puis gros développement d'ambiance plus largement. Ce type a de l'avenir ; je l'imagine aisément devenir une figure majeure de la production indépendante dans les années à venir.

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La mixtape Miles Remixed de l'Apple Juice Kid fut également une valeur sure de l'instrumental en 2008. Là où une réinterprétation des phases marquantes de la discographie de Miles Davis par un producteur anonyme autoproclamé hip-hop laissait augurer un massacre d'envergure on a en fait eu droit à quelques basslines bien smooth mais rythmées, à du sampling parfois de très haut niveau, et plus généralement à un véritable travail d'orfèvre. La preuve, c'est que jamais ces beats ne semblent manquer de substance : ils subsistent sans interprète, plaisent au moins et subjuguent au mieux. A chopper par ici.

La musique en 2008, seconde prise

Entre temps, RZA se dissipe. Devenu coqueluche du cinéma depuis son dernier solo, le parrain du Wu apparaît égaré sur Digi Snacks, méconnaissable. Je veux dire, on y déniche quelques excellentes productions dans la veine “raw” du Clan qui jadis forgèrent sa réputation (les basses désaccordées de Booby Trap, les nappes bondissantes de piano et le sample vocal récurrent sur un Money Don't Own Me faisant évidemment écho à C.R.E.A.M.), voire d'autres plus audacieuses, plus surprenantes (les gémissements brûlants de l'azuré Good Night, laid-back et érotique au possible, les crescendos futuristes portés par une ligne de piano classique lourde absolument superbe de Long Time Coming), mais toutes se retrouvent étrangement ponctuées de déchets invraisemblables (David Banner ?!) venant au final lester un album qui aurait gagné à être épuré de quelques unes de ses seize pistes. Un petit gâchis, à écouter et trier.

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Autre beatmaker à surveiller, le jeune frenchy Dela. Des influences Pete Rock et 9th Wonder émanent nettement de son Changes of Atmosphere, malheureusement proche de l'intoxication. Tandis que niveau technique le jeune semble au point, le produit global reste limpide et on a trop souvent l'impression d'écouter un pastiche, voire un exercice de style — échantillonner quatre barres légendaires sur un refrain de cinq secondes, même Primo n'ose plus. Difficile cependant de rester versatile tout en surprenant l'auditeur en invitant plus de vingt vocalistes sur un même disque puisque même le First Soul Brother s'y est cassé les dents, ainsi j'espère apprendre la couvée d'un duo d'ici peu. A écouter malgré tout, J-Live et Large Pro répondent présent.

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Moment de remercier mon pote Jyuza pour avoir proposé dans ses colonnes Selective Hearing, un album aux allures de street tape réalisé par Kev Brown en collaboration avec LMNO. On croirait écouter du Jay Dee par moments, d'autant plus que la qualité toute relative des fichiers engendre ce même grésillement permanent caractéristique des réalisations du dieu cité ci-avant (dit-il). Un LP plus soulful que jazzy, je ne vais même pas prendre la peine de commenter, les heads kifferont, les autres n'y comprendront pas grand chose. Et puis, Georgia Anne Muldrow (et Oh No et Dudley Perkins, mais c'est déjà moins important). Common, c'est ça qu'on attendait d'Universal Mind Control, oublies tes enfantillages au studio la prochaine fois.

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Conclusion à contre-pied avec une grosse critique positive du Carter III de Lil Wayne, le rapper eater. Pourquoi bouder le plaisir ? Lil Wayne pourrait raconter n'importe quoi (et le fait plus ou moins, ses rimes en association libre flirtant fréquemment avec la poésie éthylique), sa voix, son swagger comme on dit sont suprêmes… La production à gros budget joue également un rôle non-négligeable dans l'alchimie et malgré deux-trois beats sudistes à oublier, les participations de Kanye West (l'insaisissable Comfortable, le lancinant Tie My Hands, l'over-dramatic “where the fuck is my guitar” Shoot Me Down, et surtout le saillant Let The Beat Build) enrichissent considérablement l'album le plus vendu de l'année. Un blockbuster rafraîchissant comme on aimerait en voir plus souvent.

Enjoy, personnellement je vais me remettre au poisson.


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