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Jour 270 : LADYHAWKE, Self-titled (2008)

Publié le 14 janvier 2009 par Oagd
Jour 270 : LADYHAWKE, Self-titled (2008)    Visuel (à partir de différents éléments du livret) : Youri Gralak    Texte : Sylvain    Ecoute : Paris Is Burning On peut trouver ce disque inutile parce qu'il refait les années 80. Mais « refaire » n'est pas faire ; dans la répétition se loge une dimension nou- velle, une question peut-être. La même posée par le passage infini de l'eau sur une pierre, dans le film Dieu sait quoi de Jean-Daniel Pollet (1), avec en voix off ces mots de Francis Ponge : « Maintenant, il faut bien le dire, parmi ce que la nature ou l'art nous propose, il y a toujours un peu de ce que nous savions déjà, et qui ne nous intéresse plus. » Qu'est-ce qui, dans la vie répétitive, m'intéresse encore ? Je n'écouterais pas Kim Wilde aujourd'hui ; je reçois Ladyhawke avec plaisir. Je ne serais pas surpris qu'il existe un lien entre le fait d'aimer ce disque et celui d'avoir des enfants : un certain rapport à l'indécence. Oui, pour une période renouvelée, on accepte l'humiliation de vivre. Je découvre dans une vitrine de Noël le coffret Rock Band : une batterie électronique, une pédale, un micro, une mini-Stratocaster en plastique. « Réécrivez l'histoire du rock », dit le slogan. Je vois d'ici la famille gen- timent dans son jus, un 25 décembre au matin, à simuler le rock parmi les cartons ouverts, « réécrivant » une histoire qui n'a peut-être même pas été écrite. Mais le malaise ne me vient pas de ces instruments de pacotille. Au travers d'eux, je vois les vrais, et leur pensée suffit à me faire honte. Enfant, Sébastien Tellier recevait des instruments à chaque Noël, et que fait-il désormais ? Il n'a de cesse d'en désamorcer la réalité physique, estompant dans ses albums jusqu'à la notion du type en train de jouer. Sa sensibilité au ridicule instrumental, sensibilité que je partage, me semble avoir rapport avec la honte d'être soi. Ladyhawke appartient à ce champ des musiques plus pensées que jouées. La jeune Néo-Zélandaise sonne comme si elle utilisait le coffret Rock Band, mais ne « réécrit » rien : elle ajoute une strate d'écriture à une autre. A la différence de Tellier, elle ne se projette pas dans un au-delà de la dimension instrumentale, mais se tient en deçà. (L'inventeur de la musique pas encore instrumentalisée s'appelle Lawrence, il a fait ça avec son second groupe, Denim.) 2008 aura connu une forte tendance intra-utérine, je pense par exemple à l'album de Christophe, amniotique au possible, et pas pour rien titré : Aimer ce que nous sommes. Parallèlement, je lis qu'une société de design (2) propose des « urnes de naissance », dans quoi recueillir le placenta (premier « Autre » de la vie d'avant la vie), transformé en poudre. On peut aussi porter en pendentif du lait maternel, chimiquement durci. Plutôt que de proposer un revival des années 80, Phillipa Brown, alias Ladyhawke, fait comme si elle pouvait figer ce qui a été normalement jeté. Née en 1981, elle mène sur elle-même une enquête qui nous concerne, car effectuée au présent. Entre s'affronter à la honte d'être soi, et "aimer ce que nous sommes", il y a un parcours qu'elle dessine entièrement. D'un côté, son album fonce droit sur la honte (s'incarnant dans la chambre, parmi les posters, avec la grande sœur sur le lit, en tenue Flashdance, qui « fait » la pop dans la lumière violette d'un foulard jeté sur la lampe de chevet), mais de l'autre, cette honte semble avoir été chimiquement durcie. Sur la surface lisse de ce bijou bizarre, les mélodies exigent une seconde écoute pour réellement se dessiner. Faux, ce disque l'est sur un mode familial : on joue des scènes qui ont à voir avec le monde extérieur, mais c'est entre nous, sans conséquence. Si la blonde « Pip » Brown met dans sa voix une touche d'érotisme, c'est moins pour séduire des hommes, que jouer à l'intention d'un petit frère ou d'une petite sœur le sketch du glamour. En cela, elle renoue avec une tradition effectivement des années 80, lorsque Kim Wilde, Kate Bush ou Debbie Harry étaient surtout des grandes sœurs nous parlant à l'oreille. Hélas, tout ceci prend un tour plus triste lorsqu'on apprend que Phillipa souffre du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme. Il y a un chemin vers l'extérieur qui n'a pas été entièrement accompli, et cela s'entend, avant de se savoir. Ce premier album éponyme serait donc une urne de naissance. Sur les dessins du livret, la jeune femme est représentée uniquement entourée de chats. La projection fonctionne dans les deux sens : grande sœur imaginaire d'un petit complice lui-même virtuel. Pour d'obscures raisons, douze chansons durant (quasi douze fois la même), nous devenons ce petit complice. Références : (1) Dieu sait quoi, de Jean-Daniel Pollet, 1995, disponible en DVD chez p.o.m. (2) Article sur le design du pré-natal : revue Archistorm, oct.-nov. 2008. Prochain article : 24 décembre à minuit. (Pas un article, d'ailleurs, plutôt une surprise pour Noël...)

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