Magazine Beaux Arts

Robert Frank

Publié le 22 janvier 2009 par Marc Lenot

Au Jeu de Paume (jusqu’au 22 mars), la série mythique des Américains et ses photos parisiennes (plus deux films que je n’ai pas encore vus, et bien d’autres films en salle de documentation).

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Pour Robert Frank, l’Amérique, c’est d’abord la route, lors de ce périple familial, et le titre de bien des photos est en effet US 285, US 30, US 1 : des voitures, des restaurants, des scènes aussi. Voici donc pour commencer US 66 Arizona, une scène balayée par le vent qui soulève des brindilles qui troublent la vision, qui floutent l’image. Devant quelques baraques délabrées, quatre personnes, graves, semblent attendre. Devant elles, au sol, un amas sous un drap, un corps sous un linceul : scène christique, tragique. Mais le linceul est trop grand pour un seul corps : une famille, victime d’un accident ? Et, à bien regarder, la femme à gauche a une silhouette étrange : une autre femme est juste derrière elle, à peine visible. Cetet scène de bord de route en devient irréelle, notre vision est perturbée, par les brindilles, par l’inconnu sous le linceul, par ce dédoublement. Ce pourrait être un tableau Renaissance, codé, mystérieux.

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Robert Frank aime les signes, les textes et les images, leur scansion qui parsème le paysage, publicités, signes commerciaux (Save) ou religieux (Christ died for our sins). Il aime aussi les contrastes, les scènes où deux mondes se croisent : nurse noire et bébé blanc, vieil homme mélancolique sur un banc devant les jeunes diplômés de Yale à la nuque rase. A Butte, Montana (un peu le trou du cul du monde), le bureau de recrutement de la Marine : Butte est loin, très loin des deux océans. Un encadrement de porte austère, un bureau banal, des classeurs, des stylos, des affichettes Join the Navy. La présence humaine ? Deux pieds sur le bureau, chaussures réglementaires, chaussettes blanches; du sergent recruteur, nous ne saurons rien de plus. Est-ce là ce qui peut faire rêver les petits gars de Butte, ou simplement les sauver du quotidien ? 

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La photographie du bus à New Orleans est très connue, elle fait la couverture de la réédition américaine du livre (les histoires d’édition sont complexes). Comme dans un tableau moyenâgeux, il y a trois registres. Au centre, les héros, quatre adultes et deux enfants; tous, sauf la femme noire à droite, regardent le photographe, me regardent, m’interrogent. Le premier à gauche est moins visible, caché par la vitre baissée. Lui, comme la femme blanche derrière lui, sont froids, distants, presque méprisants. Le petit garçon au noeud papillon, trop propre sur lui, est de la même veine. C’est en allant vers l’arrière du bus que vient l’humanité : la petite fille  qui pleure ou crie ou s’étonne, en tout cas qui montre une émotion, puis l’homme noir émerveillé, doux et la grosse Noire qui regarde ailleurs. Un succédané d’humanité, un témoignage discret sur les races dans le Sud des Etats-Unis en 1955. Au dessus de ces cinq fenêtres de l’étage des héros, il y a cinq prédelles, petites histoires soulignant la grande : ces vignettes sont floues, elles reflètent la rue mais les formes y sont décomposées. On peut imaginer qu’une des silhouettes noires au centre est celle du photographe, et le motif géométrique curviligne à droite se retrouve dans la vitre en dessous, mais pour le reste, ce ne sont que des images pour rêver. En bas, enfin, sur la seule surface d’envergure de la photo, il n’y a que des ombres, des fantômes indistincts, comme un soubassement de fresque florentine, comme un exercice pour se purifier l’esprit.

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Encore une photo, tout aussi construite que la précédente, Los Angeles. C‘est un jeu formel en quatre plans : le toit blanc avec lucarnes et cabane noire, le mur noir, le trottoir en pente avec ses dalles grises, et la chaussée sombre. Horizontal, vertical, horizontal, vertical, mais tout est aplati, ramené dans le plan de la photographie dans cette vue en plongée, écrasante. La flèche lumineuse attire le regard, et ce n’est qu’alors qu’on distincte l’homme qui marche, suivant son injonction, gravissant la pente. Toutes les images de Robert Frank ne sont pas aussi composées, et celle-ci est un modèle.

La série parisienne est moins sèche, moins nette, les thèmes y sont autres, mais le regard est le même, précis, aiguisé. J’y ai beaucoup aimé les photos dans la brume.

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La plus belle, que je ne trouve pas pour l’inclure ici, montre Notre-Dame grise à l’arrière plan, avec un élégant cycliste sur le parvis, aux contours plus nets, plus noirs, et plus loin, deux jeunes femmes sur la droite émergeant de la grisaille. Celle ci-contre joue sur la même thématique, figure humaine émergeant de la brume, avec cette construction en V des immeubles derrière lui.

Toutes photos © Robert Frank.


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