Magazine Analyses graphiques

Sauver le secteur bancaire et perspectives

Publié le 28 janvier 2009 par Graphseo

La phase initiale de la crise déclenchée par l’insolvabilité des ménages américains, provoquant les premiers craquements dans l’énorme bulle de la dette mondiale, a érodé non seulement la valeur des titres adossés à l’immobilier, mais ébranlé la confiance jusqu’alors imprudemment accordée à cette fragile pyramide de créances qui s’était accumulée depuis 20 ans en raison de la distorsion des revenus au détriment du travail et du déficit chronique des USA - sans oublier le vieillissement de la population des pays développés et cette fausse bonne idée de la retraite par capitalisation. La première vague de faillites et de panique a été contenue in extrémis en novembre par la garantie qu’ont apportée les Etats. Mais celle-ci n’a pas mis un terme au processus de liquidation destructrice à l’oeuvre. D’une part parce que, au vu de la taille de la bulle, les créances irrécouvrables sont encore nombreuses, et d’autre part parce que le ralentissement de l’économie réelle - selon la formule consacrée - provoque une nouvelle érosion des actifs financiers, avec son lot de dépréciations et d’établissements au bord de la faillite. Que faire ? Aux USA , en Grande Bretagne, la nationalisation de pans entiers du secteur bancaire est désormais la solution que de nombreux économistes préconisent. Ce débat est certes crucial, car pour le moment se sont les contribuables qui payent ces sauvetages devenus indispensables sans pour autant être assurés d’en retirer un quelconque bénéfice, et ce au nom du sacro saint principe de liberté dont devraient continuer à jouir ces entreprises dont le comportement irresponsable par le passé ébranle aujourd’hui dangereusement nos sociétés. Mais il ne doit pas masquer cet autre enjeu, autant sinon plus fondamental : nous devrons réformer en profondeur cette économie notoirement inefficace et inégalitaire de la dette spéculative, nous dit Paul Jorion, faute de quoi nous retomberions à coup sûr dans les mêmes errements, dont nous ne pouvons plus nous payer le luxe. Faut-il y insister ? L’urgence climatique ne sera pas soluble dans l’aveuglement et le court termisme des marchés, soyons en sûrs.

Par Paul Jorion, 26 janvier 2009

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Diverses méthodes sont aujourd’hui expérimentées pour tenter de sauver le secteur bancaire dont on avait imaginé que les difficultés apparues à l’été 2007 étaient une question de liquidité : les acheteurs devenus frileux manquaient simplement à l’appel. Or ceux qui se trouvaient dans le secret des dieux savaient déjà six mois auparavant qu’il ne s’agissait pas de liquidité mais de solvabilité : les acheteurs n’étaient pas frileux par caprice mais par calcul : parce que les produits en question, ABS (Asset-Backed Securities) et CDO (Collateralized-Debt Obligations) remplies de petites ABS étaient trop dépréciés pour justifier une offre, quel qu’en soit le prix. Quand il se confirma qu’il n’y avait plus d’acheteurs, ceux qui possédaient ces produits en portefeuille firent leurs comptes et l’on constata alors que dans un bel ensemble ils se trouvaient en-dessous de la ligne de flottaison : sous le niveau de réserves déterminé par le ratio de solvabilité défini pour les établissements bancaires par les régulateurs.

Deux solutions s’offraient pour venir en aide aux banques, la première étant que les autorités se substituent au marché défaillant en se portant acheteuses de ces produits à un prix d’« après-crise », au sein d’une banque d’agrégation ou « mauvaise banque », mettant effectivement ces produits toxiques en quarantaine, et offrant ainsi une valorisation à des produits qui, faute d’acheteurs, sont aujourd’hui sans prix. La deuxième solution étant que l’on ne fasse pas un cas particulier de ces instruments de dette dépréciés et que l’on se contente de recapitaliser ces banques, c’est-à-dire qu’on leur fournisse les fonds qui leur permettront de respecter à nouveau leur ratio de solvabilité. Une alternative à cette formule consiste pour le gouvernement à prendre une participation majoritaire dans ces banques, leur apportant ainsi la garantie effective de l’État, et à baisser le ratio de solvabilité exigé, par exemple de 8 % à 5 ou 6 %, comme viennent de le faire les Anglais. L’étape ultime dans cette voie serait cela va sans dire celle de la nationalisation pure et simple - dont je disais il y a un an déjà que même les Américains s’y résoudraient peut-être un jour.

Comme on s’en souvient, Mr. Paulson, ci-devant ministre des finances américain, entama une valse-hésitation très remarquée entre les deux approches, la raison en étant évidente car, comme le rappelait ici-même il y a quelques jours François Leclerc : soit le prix offert est suffisamment élevé pour satisfaire les banques et le contribuable y perd sa chemise, soit il est suffisamment bas pour que le contribuable puisse un jour s’y retrouver et le banquier n’a rien à y gagner.

Le système bancaire, assumant les fonctions qu’il exerce aujourd’hui serait sauvé. Mais cela suffirait-il à sauver le capitalisme ?

Car, rappelons-nous brièvement ce qui s’est passé. L’incendie s’est déclaré dans l’immobilier américain, d’abord dans sa partie la plus fragile, dite subprime , pour mettre bientôt le feu à tout l’édifice : l’ensemble de l’immobilier résidentiel américain - chose qu’on semble oublier en ce moment en France où l’on évoque la « crise des subprimes » comme un événement ayant eu lieu dans un passé reculé.

On dit à juste titre que les banques centrales ont favorisé toujours davantage les investisseurs et les dirigeants d’entreprise aux dépens des salariés et que ceux-ci furent forcés de suppléer à leurs salaires manquants par le prêt à la consommation. C’est vrai. De leur côté, les entreprises recoururent toujours davantage à la dette. Il en a résulté une hypertrophie du secteur du crédit, personne n’ayant plus semble-t-il comme capital que celui qu’il emprunte. Le crédit fut encouragé par les politiques des banques centrales qui maintinrent les taux courts à des niveaux artificiellement bas. Les pays d’Extrême-Orient achetèrent en quantités astronomiques les Bons du Trésor américains à long terme, assurant aux taux longs eux aussi des niveaux exceptionnellement bas dans ce pays. Une configuration fragile se mit en place, et il suffit alors que le prêt hypothécaire américain ayant épuisé par le bas le panier où il trouvait de nouvelles recrues, s’essouffle, pour que le prix de l’immobilier s’effondre et que tous les instruments de dette qui lui sont associés se déprécient massivement.

Voilà où en est. Quand la machine repartira - si elle repart un jour, une chose n’aura en tout cas pas changé : une économie dépendant à tous ses niveaux d’un secteur du crédit hypertrophié, faute pour les capitaux de se trouver là où ils sont indispensables.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

* Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Article communiqué par Paul Jorion

Illustration : John Thain, ex patron de Merrill Lynch, a dépensé 1,2 million de dollars pour décorer son bureau et distribué 4 milliards de bonus 3 jours avant le rachat de son établissement en difficulté par Bank of America


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Graphseo 22 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte