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Umar Timol : De la dépossession à l'horizon nu

Par Ananda

Avec Vagabondages suivi de Bleu (L'Harmattan, 2008, Collection Poètes
des cinq continents), Umar Timol "écrit l'écriture voyageuse". Les
poèmes qui constituent son troisième recueil poétique sont
circonstanciés dans le temps de même qu'ils ne sont rattachés à aucun
lieu précis. Ce journal poétique s'ouvre comme l'expérience du
morcellement et de la pluralisation. Personnages, affects, sentiments
et surtout langage sont déconstruits alors même que la variété
typographique (dans la présentation des textes) introduit l'importance
du blanc. Vagabondages célèbre d'abord le blanc. Mais quelles sont les
incidences de ce blanc sur l'écriture de ce poète et de sa fascination
pour le vide ? L'écriture de U. Timol altère la page blanche, la
salit, les mots "prolifèrent sur la page" et retracent des
expériences, des révélations touchant à des espaces quasi-mystiques :
" L'écriture est attente. Attente des surgissements. Attente des
exlosions. Attente des mots. L'écriture est désert... l'écriture est
vide. Une surface glacée et lisse. Un continent-silence... Ouvrager
jusqu'à l'écoeurement et ternir le drap blanc de ses larmes encrées.
L'écriture est langage. La miner de l'intérieur. La subvertir.
Détruire et la créer..." Le poème s'écrit alors dans le désir d'un
espace précédant la dénaturatoin des choses et dans la recherche du
dépouillement de soi, de la dépossession : "L'écriture est dévoilement
et masque. L'être écarte les branches, les veines et les chênes afin
de naître au plein-soleil..? Donner rêves et espoirs. Forces et
fragilités. Donner à ceux qui n'ont que pour seul vêtement leur
dénuement..." La solitude de la langue comme l'extrême solitude de
l'individu attirent notre poète. Umar Timol avoue d'emblée l'échec de
la langue : "Mais la langue et ses mots sont ailleurs. Toujours. Il
m'arrive de croire que je sais les soudoyer mais ils me foudroient, me
violentent, alors je les crache au lieu de la fusion et ils se
métissent, - obscènes avant d'être beaux -, et maculent la page. Cet
échec de la langue sert une volonté de dépassement..." Le dépassement,
la jubilation ne résident pas dans l'invention d'un nouveau langage -
Umar Timol reconnaît les audaces d'écriture depuis Rimbaud - mais dans
une sorte de jeu transgressif avec la convention. Ses poèmes
saccagent, sa seule liberté est de décomposer la langue pour exhiber
son fonctionnement. Il est dans ses mots une virulance et une rupture
avec toute notion de mesure. Mais au-delà des poèmes en forme
d'allégorie protestataire Umar Timol sait tirer du lyrisme de belles
images : "sang cataclysmique qui perfore la croûte solaire /
raz-de-haine qui exècre et excrémente l'amour, / tornades de feu qui
sarabandent les voûtes constellées, / bête désarticulée aux patttes
enduites de morve, / montagnes ornées de crocs qui dévalent les pentes
: lisses, / océans huileux et bouillonnants qui désossent le sable/ et
l'écume...."

Le journal poétique décomposé, recomposé de Umar Timol s'ouvre aussi
au dialogue avec la femme, l'enfant, l'ami. Cette mobilité des voix,
des lieux, des espaces d'écriture exige une lecture qui accompagne le
poète dans ce voyage qui le mène jusqu'à la passion, la souffrrance,
la folie, la blessure et la mort. Ce sont ces continents inquiétants
que les mots de Timol tentent d'approcher. Lui qui refuse tout système
clos, toute contrainte idélogique, social et autre. Lui, le poète au
ton de révolte. Les titres des chapitres fixent le sens de sa démarche
: "Résistance", "La chute - Rwanda", "Révolutions". Plus qu'un autre
Umar Timol a senti peser sur lui les contraintes du carcan social. Il
a ressenti les outrances de l'existence, les atteintes à la dignité et
se veut en dehors des circuits du pouvoir et de l'argent. U. Timol
finit par donner un sens pur aux mots de sa tribu (langue-créole,
langue-séga, langue tam-tam, langue islam, langue mystique...). Dans
un petit texte où il introduit la gravité du bleu, le poète exalte sa
dissolution. Il retourne à l'étendue lisse, vide, celle d'un espace
qui semble la promesse de l'éternité, un espace ouvert à tous les
possibles. Le vide et le bleu vers lequel il faut tendre :

pour l'éternité

bleu,

complètement bleu,

bleu de mer, bleu, bleu.



Norbert Louis, Week - End

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