Magazine France

Sarkozy dictateur ? (1)

Publié le 05 février 2009 par Sylvainrakotoarison
« Dictateur : n. m. 1. antiq. rom. Magistrat suprême investi temporairement de tous les pouvoirs politiques et militaires, en cas de crise grave. 2. Mod. Chef d’État qui, s’étant emparé du pouvoir, gouverne arbitrairement et sans contrôle démocratique ; autocrate. Par ext. Personne très autoritaire. » (Petit Larousse 1992).
Quand on lit, sur Internet, et en particulier sur Agoravox, un certains nombre d’articles laissant croire que la France est devenue une dictature, et ce depuis le 6 mai 2007, on a de quoi tomber de haut. En particulier cet article rédigé par un auteur pour qui j’ai de l’estime et qui reprend beaucoup d’arguments véhiculés ici ou là.
Complotisme… ou antiparlementarisme ?
Il est de bon ton d’avoir une certaine paranoïa, d’imaginer des complots partout, des lobbies manipulateurs tapis derrière un rideau de théâtre, ici contre la démocratie. En dénonçant ce qu’on croit s’y tramer, on se sent supérieur, on se sent au-delà des masses qui gobent tout, qui avalent tout, sans réagir. C’est en quelques sortes se sentir révolutionnaire. C’est sans doute un bon exercice thérapeutique.
Que cela alimente l’antiparlementarisme diffus et latent que beaucoup d’extrémismes expriment semble ne pas inquiéter ceux qui jugent que, n’ayant pas gagné un combat politique, se croient obligés de contester la légitimité politique du vainqueur à une élection.
Dictature du dictionnaire
Il n’est pas question d’être le défenseur acharné du Président de la République Nicolas Sarkozy (d’autres sont bien meilleurs que moi dans cet art), mais de rétablir quelques éléments pour participer au débat.
Comme toujours, les mots ont un sens, propre et parfois figuré. Il est facile donc, vu la définition tant du mot "dictateur" que du mot "dictature" de les mettre à toutes les sauces, tant dans la vie professionnelle (des "petits chefs" autoritaires au grand patron paternaliste) que dans la vie politique. Donc, je laisserai à l’appréciation des lecteurs leur propre définition de ces mots en n’oubliant pas que l’excessif est insignifiant, à savoir, que de nombreux pays dans le monde envient notre démocratie française (certes loin d’être exempte de défauts).
Libre dictature
C’est toujours amusant de lire des articles librement rédigés, librement publiés, librement lus et librement commentés dénonçant l’existence de la dictature ! Le dictateur d’une telle dictature me paraît bien faible et bien imprudent pour laisser tant d’oppositions s’exprimer.
Mais la vraie erreur de diagnostic, c’est d’être convaincu que la dictature avance depuis mai 2007, ou même depuis mai 2002 (puisque c’est à cette date que Nicolas Sarkozy a été nommé Ministre de l’Intérieur). Sans se rendre compte que rien n’a vraiment changé, sinon en bien, depuis une quarantaine d’années (j’exclus la Présidence du général De Gaulle dont la stature et la sincérité vis-à-vis de l’intérêt général sont incontestables aujourd’hui).
Monarque républicain
Le terme même de « monarchie » audacieusement introduit le 8 janvier 2008 par Laurent Joffrin relève d’une affligeante banalité pour décrire le pouvoir actuel (monarchie impériale ou royale) car rien n’est nouveau. La personnalisation du pouvoir depuis De Gaulle a conduit les journalistes à souvent qualifier la VeRépublique de « monarchie républicaine », certains caricaturistes peignant De Gaulle en Louis XIV (voir les dessins de Moisan dans le Canard enchaîné, ici et là), Giscard d’Estaing ou encore Chirac en rois (parfois arabe), sans parler de François Mitterrand qui, mieux que ses prédécesseurs, devenait carrément Dieu le père.
La seule différence depuis que Nicolas Sarkozy est à l’Élysée, c’est que ce dernier, refusant ce qu’il appelle une hypocrisie, montre sans complexe, sans discrétion et sans doute avec une certaine vulgarité proche du fanfaron (« qui vante exagérément ses qualités, ses réussites, réelles ou supposées », Petit Larousse) toute l’étendue du pouvoir que tous ses prédécesseurs exerçaient avant lui avec la même application et le même soucis du détail mineur.
C’est, à mon avis, une véritable erreur de communication de Nicolas Sarkozy, qu’il semble d’ailleurs avoir comprise puisque sa communication a quand même évolué depuis vingt mois.
Mais revenons aux éléments de fond, et passons-les en revue :
1. La démocratie représentative
Une des clefs du succès de la campagne des primaires de Ségolène Royal (le succès est mitigé puisqu’elle n’a pas été élue), c’est son thème des débats participatifs. Expression sans doute creuse mais qui révèle un véritable doute sur la démocratie représentative.
Démocratie participative contre démocratie représentative : étrangement, le clivage droite/gauche s’est inversé sur ce thème en 2007. Rappelez-vous en 1962 où toute la classe politique (et en premier lieu la gauche) s’opposait résolument à l’élection au suffrage universel direct du Président de la République, une mesure qui reprenait la Constitution de 1848. À l’époque, on ne parlait pas de "dictature" mais de "forfaiture". Les référendums de De Gaulle, que ce soit sur l’Algérie ou encore sur la participation, étaient considérés tant par lui que par ses opposants comme autant de plébiscites qui devaient le légitimer à nouveau dans son pouvoir.
Avec l’accession au savoir et à la connaissance de plus en plus de monde, notamment grâce à Internet et grâce à une meilleure instruction (contrairement à ce qu’on pourrait ressentir, le niveau monte au fil des décennies), il est de plus en plus dur de cacher des informations, de laisser opaques certaines procédures.
Mais il n’en demeure pas moins qu’un pays à forte population ne peut éviter de déléguer l’exercice de la démocratie à des représentants. Même les parlementaires s’organisent dans différentes commissions pour approfondir les sujets qu’ils connaissent le mieux.
La représentation parlementaire peut être contestée (c’est notamment le cas du Sénat), le mode de scrutin lui aussi (c’est un vieux serpent de mer avec des variantes comme la fameuse loi sur les apparentements qui cassa définitivement le RPF gaulliste sous la IVe République), mais le mode de scrutin sert avant tout à désigner des députés censés former une majorité à l’Assemblée Nationale pour pouvoir agir sans instabilité.
Et le choix du scrutin majoritaire uninominal à deux tours a été fait en 1958 et pas en 2007 ! (avec une exception en mars 1986 pour des raisons très politiciennes : Mitterrand voulant empêcher la constitution d’une majorité UDF-RPR en faisant élire 36 députés du FN).
D’ailleurs, un Parlement ne sert pas forcément à représenter toutes les tendances politiques du pays (même si ce serait mieux), mais à légiférer, et pour cela, il faut dégager une majorité. Ceux qui, de toutes façons, refuseront toute alliance pour constituer une majorité n’ont pas vocation à participer à celle-ci et donc ne pourraient de toutes façons pas légiférer (c’est pourquoi les communistes ont toujours un groupe à l’Assemblée Nationale car ils restent dans une perspective d’un gouvernement socialo-communiste comme sous Mauroy ou Jospin alors que le MoDem, ayant refusé toute alliance, n’a pas de groupe, idem pour le FN qui refuse également toute alliance).
Cette logique se retrouve également dans les conditions de candidature à l’élection présidentielle. À ce sujet, maître Éolas, dans un article de son célèbre blog, n’était pas choqué par le fait que le système puisse empêcher Jean-Marie Le Pen de se présenter dans la mesure où, dans tous les cas, il était sûr qu’il ne serait jamais élu (but de l’élection), l’élection de 2002 montrant à l’évidence le rejet définitif de l’électorat contre Jean-Marie Le Pen.
Si je comprends bien les arguments des promoteurs du scrutin proportionnel (intégral ou partiel), il me paraît en revanche logique qu’un parti, pour être utile au Parlement, soit il a une capacité à être majoritaire seul (c’est le cas de l’UMP et du PS, mais c’est aussi l’ambition du MoDem) et dans ce cas, il n’a pas besoin d’alliance, soit il doit s’allier pour former une majorité (c’est le cas du Nouveau centre, du Parti radical de gauche, du PCF, des Verts).
C’est d’ailleurs la grande différence entre le FN et le MoDem : le FN n’a aucune vocation ni volonté à s’intégrer à une majorité, alors que le MoDem oscille paradoxalement entre la volonté d’une large alliance allant de l’UMP au PS (exemple, les municipales de mars 2008) et l’absence totale d’alliance (législatives de juin 2007) dans le but d’être à son tour, un jour, majoritaire à lui tout seul.

Je poursuivrai avec d’autres éléments de fond dans un prochain article.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (5 février 2009)
Pour aller plus loin :
La dictature soft à la française.
Les institutions.
Où est le monarque ?
(Illustration : caricature de Plantu d’après Tabary et Peyo).


Retour à La Une de Logo Paperblog