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Sous le regard des loups

Par Chatperlipopette

Canada, 1867, à Dove River, une communauté d'origine écossaise découvre un trappeur, un peu marginal, d'origine française, assassiné dans sa cabane. C'est le choc et l'horreur devant le corps égorgé et scalpé de Jammet. D'autant plus que c'est Mme Ross qui a découvert le corps mutilé et par la même occasion s'est rendue compte de la disparition de son fils adoptif, Francis. La Compagnie de la Baie d'Hudson dépêche quelques hommes dont Donald Moody, un tantinet naïf, fraîchement débarqué de son Ecosse natale. Faut-il lui parler de la disparition, la fuite de Francis? Doit-elle rester sur son quant à soi vis à vis de l'étrange Sturrock, sur la piste d'un objet d'une grande valeur spirituelle et historique? Peut-on encore faire confiance à cet homme, célèbre pour avoir retrouvé des enfants enlevés par les indiens mais aussi pour avoir lamentablement échoué dans la recherche désespérée des soeurs Seton?
Mme Ross, qui ne peut croire en la culpabilité de son fils, se lance à sa recherche aux côtés de Parker, coupable idéal mais innocent en fuite, alors que l'hiver terrible isole cette partie du monde. Une question cependant taraude la communauté: pour quel motif a-t-on assassiné Laurent Jammet?
Au cours de cette cavale au coeur de la blancheur des paysages, les fils se dénouent lentement au rythme haletant des traîneaux glissant sur les étendues neigeuses et gelées: entre la course contre la montre pour devancer le froid mortel de l'hiver, la rencontre avec une étrange communauté religieuse norvégienne et les apparitions lointaines mais fortes des loups, le lecteur est plongé dans une aventure humaine extraordinaire. Les personnages, dans le récit que chacun fait de lui-même, se croisent, tissent des liens parfois étroits, parfois distendus, pour un destin qui les changera et changera le regard qu'ils ont pu avoir sur le monde. Entre lâchetés et bassesses, opiniâtreté et grandeurs, Stef Penney, dans ce roman à tiroirs, dresse un portrait haut en couleurs de l'âme humaine, universelle, et de ce Nouveau Monde aussi hostile que fascinant. Le Nouveau Monde attire autant par la richesse de sa nature, l'étendue immense de ses espaces sauvages d'une beauté à couper le souffle, la promesse d'une vie meilleure grâce à l'acquisition d'une liberté et la capacité, apparemment inépuisable, de faire d'incroyables profits grâce au commerce des peaux. Ces peaux, arrachées aux autochtones, à ces amérindiens que les colons dépossèdent sans remords de leurs richesses tant matérielles (la nature et ses dons) que spirituelles (la négation d'une culture florissante car sans écriture), ces tribus reléguées dans les territoires les plus hostiles, réduites à s'adapter ou à mourir, contraintes à oublier les traditions immémoriales.
On ne peut rester insensible à l'histoire d'amour maternel, cette relation mère/fils exacerbée par l'extrême de la situation: Francis qui lentement s'éloigne de ses parents, se sent de plus en plus étranger, l'angoisse de sa mère, Mme Ross, sublime personnage féminin épris de liberté et d'indépendance, qui perçoit un secret, un non-dit qui mine la famille. Elle s'élance pour sauver son enfant et au fil de cette blanche et glaciale randonnée apprendra qui est réellement Francis puis l'acceptera dans toute sa différence.
Et les loups dans tout cela? Ils apparaissent, furtivement, au cours de la blanche randonnée: esprits de la forêt, esprits de ces immenses espaces, yeux qui suivent, attentivement, les gesticulations de ces hommes qui parfois ne sont plus des êtres humains, déformés par leurs envies mortifères. Présence spirituelle, immuable de l'imaginaire du Grand Nord, présence totémique d'une civilisation qui lentement se meurt?
Stef Penney s'approprie de belle manière le Grand Nord, espace de l'imaginaire s'il en est, et subtilement démontre combien l'homme peut être un loup pour l'homme avec une immense différence: ce n'est pas pour la survie de l'espèce qu'il devient loup mais pour son profit personnel, il ne tue pas juste ce qu'il lui faut mais veut s'accaparer le tout pour la chimère de posséder. Elle sait ouvrir et fermer les tiroirs de la mémoire, de l'intimité de ses personnages afin de dérouler avec une lenteur extrême parfois agaçante (comme on aimerait savoir le pourquoi du comment au plus vite!), l'écheveau des interactions des personnages. Que le fil est savoureux à lire, à déguster malgré le froid, la dangerosité de cette neige tellement belle et pure et si monstrueuses lorsqu'elle se mue en tempêtes! On découvre, haletant, comme lorsqu'on pèle un oignon, ce qui construit cet édifice romanesque: ces vies rêvées, ces amours vécues, souhaitées, imaginées, interdites ou fantasmée, ossatures d'un récit protéiforme qui est tout sauf indigeste à lire.

Roman traduit de l'anglais (Ecosse) par Pierre Furlan
Les avis de Cuné Yvon


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