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Vénus gravettiennes (à compl. v1)

Publié le 11 février 2009 par Collectif Des 12 Singes
C'est avec l'humain de Cro-Magnon que l'on a enfin des images de l'homme et de la femme préhistorique, grâce à l'épanouissement de l'art figuratif dès -40 000 ans environ, même si les représentations humaines restent rarissimes. Après l'apogée des organes génitaux à l'Aurignacien, au Gravettien la situation change radicalement. On assiste à une production standardisée de statuettes anthropomorphes féminines stéréotypées : ces fameuses Vénus paléolithiques. Les représentations de la femme en statuettes sont d'une facture et d'un style très différent de celles de l'art pariétal. Les Vénus ne sont pas réalistes, les traits sexuels sont accentués, elles sont souvent inexpressives, sans mouvement, d'une symétrie presque parfaite. L'art mobilier s'observe pendant la même période que l'art pariétal, de l'Aurignacien à la fin du Magdalénien et, en gros, sur le même territoire. Les Vénus font cependant exception : elles sont inconnues en Espagne mais apparaissent jusqu'en Sibérie. Partout en Europe, d'Ouest en Est, de l'Atlantique à l'Oural, on retrouve ces caractéristiques : hanches larges, seins pendants, visage lisse et formes amples. Deux exceptions confirment la règle quant à la non-représentation des traits du visage :
• Dolni Vestonice en Moravie (en terre cuite : malgré la distance, les pièces russes montrent la même opposition entre celles qui entrent bien dans le schéma Leroi-Gourhan et celles qui s'en écartent manifestement)
• la « Dame à la capuche » de Brassempouy (elle représente, dans un style réaliste en contraste total avec la Vénus de Lespugue, une tête de jeune femme, soigneusement coiffée, presque un portrait si la bouche n'avait pas été omise. Et cette omission, compte tenu de la virtuosité du sculpteur, n'est pas un oubli).

Ces Vénus sont accompagnées d'un cortège de statuettes zoomorphes basé plus ou moins sur l'association mammouth, félins et ours. Les thèmes, empruntés à la nature environnante, faisaient l'objet d'une sélection qui accordait une nette préférence aux animaux forts et imposants, ainsi qu'aux femmes. Ensuite, les symboles sélectionnés étaient intégrés dans une action rituelle qui se déroulait au centre du campement et à laquelle l'ensemble de la communauté assistait, y compris les enfants, ces rituels englobant une mythologie développée.

On distingue deux styles, deux époques dans les représentations de femmes : au Gravettien, les figurations féminines sont réalistes (ce sont les Vénus et les reliefs, et des symboles sexuels simples), au Magdalénien elles seront plus schématiques.

Pendant le Gravettien (-27 000 à -20 000), les représentations féminines deviennent plus fréquentes car elles se retrouvent dans toute l'Europe (disons même Eurasie), jusqu'à la Russie et même la Sibérie (Asie de l'extrême Nord-Est) : la période de -23 000 à -20 000 pourrait s'appeler l'âge des statuettes. Ces statuettes sont loin de suivre un canon unique exaltant les formes généreuses de femmes, peut-être enceintes : il y en a aux belles fesses (callipyges), d'autres aux fesses et hanches grasses (stéatopyges) et certaines plus longilignes. Elles ont dans l'ensemble une attitude figée, leur visage est rarement figuré alors que le corps est assez réaliste. En fait, ces statuettes n'ont qu'une seule caractéristique commune, leur absolue nudité (seuls un bracelet ou un collier venant quelquefois parer le corps de la muse) ! De nombreuses statuettes ont été volontairement brisées, les morceaux étant ensuite dispersés dans l'habitat, certainement lors de rituels (la « Dame à la capuche » de Brassempouy fut retrouvée avec pas moins de neuf fragments de statuettes féminines en ivoire de mammouth). Certaines d'entre elles recevaient des offrandes (pattes de bison, outils), tandis que d'autres étaient ensevelis dans des petites fosses qui leur étaient destinées souvent non loin du foyer, point vital du groupe : autels privés pour un culte rendu à des entités particulières - ancêtres, forces, esprits -, actes d'intention prophylactique - « veiller sur », qui préserve de tout ce qui pourrait être nuisible, en particulier en ce qui concerna la santé -, dépôts de fondation pour porter chance aux habitants d'une nouvelle habitation, sacralisation de l'espace, .... Le feu, maîtrisé vers -400 000 ans, a considérablement influencé le développement des échanges humains et sur leur convivialité. Le foyer est un lieu de resourcement, de réconfort, d'échange et de protection, il réunit tous les ingrédients de la sacralité, là où précisément la matière se transforme au service de la volonté humaine, sous une forme collective et ostentatoire. Le feu est l'épreuve, la marque du pouvoir humain étendu à la Nature, ou à l'humain lui-même, là où sa dignité fut bafouée.

Ces émouvantes représentations exaltent le mystère de la fécondité et de la vie humaine, que porte la femme. Elles peuvent également indiquer l'appartenance à un groupe, sachant que certaines cultures pratiquent la matrilocalité (la constitution du foyer domestique au lieu même de l'habitation des femmes, les hommes étant alors des pièces rapportées, provenant d'un groupe extérieur - notamment pour éviter les problèmes de consanguinité et favoriser les alliances, l'homme pouvant partir quand il le souhaite puisque la femme reste sur place, chez elle), voire la transmission matrilinéaire du statut ou du rôle social.

Les figurations partielles masculines (pariétales ou mobilières), n'appartiennent qu'à un seul type, le phallus, et ne sont pas très nombreuses (même si elles le sont plus que les représentations globales, le corps en totalité ou presque). Ces images trouvent leurs exacts correspondants du côté des images féminines sous la forme d'un intérêt soutenu pour la représentation du triangle pubien.

Les représentations féminines sont comme leurs homologues masculines, soit globales soit partielles. A l'inverse des images masculines, les féminines sont variées : leur nombre et leur structure sont des indices parlant de l'évident attrait exercé par la femme. La qualité est également parlante, alors que les représentations masculines sont toutes sommaires, réalisées sans le moindre souci du réel et sans la moindre préoccupation artistique. La femme s'inscrit ainsi avec les grands mammifères parmi les thèmes artistiques majeurs de l'art paléolithique.
Les figurations féminines se répartissent en deux groupes. Le premier (de loin le moins nombreux), se compose de figures partielles et sommaires tout à fait comparables à ce qui s'observe du côté masculin. Le second groupe est constitué par des sculptures et des gravures réalisées avec un souci assez évident de reproduire la réalité de façon à la fois satisfaisante et artistique. Cette tendance s'exprime de manières différentes : formes gracieuses, harmonieuses, équilibrées ou stylisées, voire normalisées.


L'élément le plus marquant et le plus émouvant de l'art paléolithique est représenté par les célèbres Vénus, que l'on trouve sur une période de vingt millénaires et sur une étendue de neuf mille kilomètres (mais surtout au Gravettien, entre environ -29 000 et -19 000 ans). La plupart des Vénus sont sculptées en statuettes dans les matériaux les plus nobles (ivoire, os, pierre, argile ; pour créer l'une des Vénus de Moravie méridionale, les peuples d'il y a plus de 24 000 ans ont même inventé la technique de la terre cuite - uniquement dans le cadre des statuettes votives, jamais pour des ustensiles pratiques -, procédé qui sera perdu pour être redécouvert au Néolithique), mais certaines sont gravées ou sculptées en bas-relief.

Sur l'immensité du territoire russe, l'art paléolithique se manifeste en deux groupes géographiques distincts : la Russie européenne (c'est-à-dire la plaine russe) et la Sibérie orientale.
À Kostenki sur le Don vers -24 000 / -18 000 (Gravettien), les statuettes féminines sont généralement bien proportionnées et réalistes (bien que certains détails soient exagérés à outrance : seins volumineux et pendants, énorme ventre gonflé, des bourrelets de graisse dans la région du bassin et des hanches : femme-mère). Sans compter de nombreux fragments, on connaît actuellement près de trente figurines en ivoire complètes ou presque, ainsi qu'une dizaine en marne calcaire (une gravure sur une plaquette en marne calcaire). Les statuettes de l'Europe de l'Est portent deux ceintures, l'une au-dessus des seins, l'autre en-dessous du ventre. La lanière passée autour de la taille et des poignets a pu être interprétée comme un procédé pour faciliter l'accouchement. Les mains reposent souvent sur le ventre.

Tandis que les statuettes de l'Europe de l'Est ressemblent à celles de l'Europe centrale (comme Willendorf et Dolni-Vestonice) et de l'Ouest (spécialement les spécimens de Brassempouy, Lespugue et le bas-relief de Laussel), celles de Sibérie en sont bien distinctes.
Alors que les statuettes européennes représentent des femmes aux formes opulentes, même quand il s'agit de statuettes allongées et assez sveltes, les statuettes sibériennes n'indiquent jamais ces formes d'une façon claire : les seins sont le plus souvent marqués par un faible relief ou une rainure peu profonde, les hanches sont à peine accusées, les fesses ne s'élargissent pas, ni à l'arrière ni sur les côtés, mais en même temps elles sont relevées, parfois considérablement.
Quant à leurs proportions, contrairement aux statuettes européennes dont les têtes sont toujours réduites par rapport au torse, les figurines sibériennes ont une grosse tête (souvent ornée, mais le visage n'est jamais décoré), une petite cage thoracique, tandis que la partie inférieure du torse et les jambes sont parfois démesurément allongées.
En Russie occidentale, on signale des figurines humaines stylisées en forme de tiges, parfois couronnées d'une tête. On les suppose masculines (bien qu'elles soient dépourvues d'attributs masculins primaires ou secondaires), dans le sens où chacune de ces figurines se distingue à sa manière des statuettes nettement féminines. Il faut remarquer que des représentations masculines nettement marquées sont très rares dans l'art paléolithique.

Certaines des statuettes féminines ont un visage bien individualisé et, sans être de réels portraits, il existe des représentations concrètement différenciées, ce qui incite à y voir des femmes réelles plutôt que des déesses. Presque toutes les femmes représentées sont enceintes, quelques-unes au stade ultime de leur grossesse ; prêtes à accoucher, elles témoignent d'une symbolique forte de la femme-mère. Les statuettes féminines présentent le principe de la fertilité, le miracle de la naissance, la source de la vie : le centre du corps est privilégié, l'important est le ventre. La femme à la corne de Laussel ressemble aux statuettes : la corne portée dans la main peut représenter la lune ou la fertilité (bovine ?).

Les statuettes féminines gravettiennes, qu'elles soient françaises, rhéno-danubiennes, russes ou sibériennes, présentent presque toutes un corps plus ou moins complet. Les régions ou organes représentés répondent à un schéma unique et de ce fait significatif (inscription des seins, de l'abdomen et des fesses hypertrophiées dans un cercle, et de l'ensemble dans un losange à grand axe vertical). Ce qui n'est pas montré, ce sont les mains, les pieds, les traits du visage quand ce n'est pas la tête entière. Ce qui est représenté ce sont : les seins, les fesses, le sexe, l'abdomen et les tissus adipeux de la ceinture pelvienne, toutes régions ou organes dont le caractère sexuel ne fait aucun doute. Le volume des seins, des fesses, de l'adiposité pelvienne est en outre souvent exagéré. Dans la plupart des cas, la fente vulvaire n'est rendue visible que par une distorsion majeure, les artistes tenant à faire figurer le triangle pubien et à montrer la fente vulvaire, privilégiant la réalité fonctionnelle sur la vérité anatomique (montrant bien tout l'intérêt qui lui est attaché).

Les fesses paraissent un autre point à prendre en considération dans la mesure où, comme la fente vulvaire, elles ont retenu l'attention des Paléolithiques au delà de toute mesure (importance donnée au massif fessier ; vu par les premiers sapiens, il est plus que généreux quand il n'est pas franchement disproportionné).
Ce sont généralement des femmes enceintes, Vénus opulentes, aux formes généreuses (Vénus stéatopyges) à l'origine du supposé culte de la « déesse-mère » pratiqué par les Gravettiens et leurs descendants.
On peut distinguer deux types de figures féminines, presque aussi répandues l'une que l'autre. Les unes sont adipeuses, avec un bassin très développé, des hanches débordantes et donc une disproportion entre le haut et le bas du corps ; on utilise à leur propos le terme de stéatopygie (« à grosses fesses » : ces réserves se constituent dans l'enfance et atteignent leur niveau de développement maximal au cours de la première grossesse, pouvant s'accompagner d'une hypertrophie des petites lèvres ; ces formes pouvaient être considérées comme une marque de beauté et de fertilité). D'autres sont sveltes, ont la taille fine et les seins menus. Face à ces deux types de femmes, certains préhistoriens affirment qu'il ne s'agit pas de la réalité des femmes de l'époque, mais d'une exagération, de l'objet de fantasmes (masculins ?) et de rêves économiques (les femmes opulentes signifiant une richesse de l'alimentation et donc de la cueillette et de la chasse). Toujours est-il que les fesses constituaient au Paléolithique une zone érogène très privilégiée.

La réduction du corps humain aux parties médianes (privilège abdominal) conduit finalement à résumer l'individu à un sexe.
L'identité physiologique est essentiellement donnée par la région abdomino-pelvienne ; c'est en effet le moyen de déterminer le sexe d'un humain et de dire quelle a été l'histoire physiologique de cet individu : la femme a-t-elle eu plusieurs enfants, est-elle enceinte, quel est son âge ?... Les représentations féminines sont donc des représentations « fonctionnelles » (fonctions de génitrice, de nourrice, de partenaire sexuelle, ...).
Ce réalisme biologique est l'expression de l'identité biologique de la femme dans son vécu fonctionnel, dans les grandes fonctions du corps féminin : grossesse, accouchement, allaitement. Ces fonctions ont un retentissement sur la morphologie féminine (l'adiposité caractérise la féminité car la fécondité nécessite une certaine masse graisseuse).


L'art paléolithique, rupestre et mobilier, peut fournir les éléments d'une riche réflexion sur la place de la femme dans la préhistoire : reproduction sociale, fécondité, relations humaines, affectivité, valeurs exprimées incluses dans la notion de féminin. Les sites du Paléolithique supérieur ont livré des images de femmes d'une grande variété et souvent d'une grande beauté.
Dès ses origines, l'art pariétal donne une place aux figures féminines. La plus ancienne des grottes ornées aujourd'hui connues (la Grotte Chauvet, -30 000 ans avant le présent), livre en effet, à côté des thèmes habituels du bestiaire, des symboles et des images évoquant les formes féminines, et qui constitue comme une « matrice » des thèmes que l'on retrouvera, inlassablement répétés, tout au long de la préhistoire. Des vulves stylisées sur les parois des grottes, des silhouettes féminines gravées dans la roche, des corps graciles ou plantureux sculptés dans la pierre ou dans l'ivoire, modelés dans l'argile, sont connus depuis le début du Paléolithique supérieur. Les Vénus de Laussel, de Lespugue ou de Brassempouy en France, de Willendorf en Autriche, de Dolni Vestonice en Moravie, d'Avdieevo et de Kostienki dans la plaine russe, nous donnent sous la forme de statuettes d'ivoire, d'os ou de calcaire, les versions les plus anciennes de ces portraits de femmes (plus tard, ce seront les silhouettes gravées en bas-relief de Laussel, ou celles, plus lascives, de la Magdeleine et d'Angles sur l'Anglin). La plupart de ces figurations paléolithiques exhibent seulement la partie centrale de leur corps : les traits du visage, le dessin des bras, des mains ou de l'extrémité des jambes n'importaient pas.
Certains y ont vu l'expression de rites de chasse ou de fécondité, voire même l'expression sans détour de la libido masculine, l'équivalent préhistorique de notre pornographie. D'autres y ont vu la preuve d'un matriarcat primitif ou d'une religion de la Grande Déesse.

L'abbé Breuil voulut voir dans l'art pariétal paléolithique une expression religieuse et magique, liée au mode de vie des grands chasseurs. L'image de la femme (ou la vulve qui la représente) exprimerait la notion et le désir de la fécondité ou serait liée aux rites de la chasse, c'est-à-dire aux préoccupations d'une survie immédiate. Prenant pour point de comparaison les rites africains de fertilité et de fécondité, les coutumes des Esquimaux ou des Australiens, Breuil interprète les figurations d'animaux-bisons de Dordogne (aux bosses cervicales exagérées, mâles suivant de près les femelles, parfois gravides) comme traduisant une « magie de reproduction du gibier » ; la représentation particulière des figures féminines, qui magnifie les caractères sexuels, et qui figure parfois des femmes enceintes, serait elle aussi liée à la magie de fécondité.
Pourtant, cette hypothèse qui peut valoir pour les images des animaux, dont la reproduction est la condition inéluctable de la survie du chasseur, est discutable en ce qui concerne les figurations humaines : au point de vue économique, la multiplication des chasseurs accroit la concurrence pour la nourriture dans une plus large mesure, semble-t-il, qu'elle ne facilite la chasse par l'entraide, et d'ailleurs les enfants ne deviendront utiles comme chasseurs qu'à échéance lointaine et resteront pendant de longues années des bouches inutiles. Ainsi, pour le psychanalyste Henri Luquet en 1926 (idée d'abord émise par Freud en 1917) « ce n'est pas le caractère générateur de la femme, mais son caractère voluptueux qui avait éveillé les auteurs de ces œuvres ». Il y aurait selon lui dans ces représentations une forme d'érotisme gratuit (silhouettes de femmes aux attributs sexuels exagérés, femmes « ployées » ou lascives, innombrables vulves dessinées sur les parois des grottes), essentiellement masculin, peut-être lié à la frustration sexuelle, induite par la dureté de la vie et le manque de ressources alimentaires en certains moments de l'histoire humaine (l'époque glaciaire).
Les statuettes féminines du Paléolithique supérieur seraient l'extériorisation des besoins et des désirs des hommes de ce temps, les auteurs des figurations rupestres paléolithiques étant pour l'essentiel de jeunes chasseurs, de très jeunes hommes.
Des modèles ainsi proposés, il faudrait conclure que l'art paléolithique est dans sa totalité (et plus spécifiquement dans les figurations féminines qu'il propose), un art viril, fait par et pour les hommes, qui traduit la dominance mâle dans les tribus des grands chasseurs paléolithiques. La femme paléolithique serait ainsi une reproductrice dont seule la grossesse importe, ou un objet sexuel, incapable de subvenir à ses besoins, et dont les faveurs s'échangent contre le butin de la chasse.
Chez les chasseurs-collecteurs, il existe une division sexuelle du travail réservant la chasse active, sanglante, et l'équarrissage, aux hommes, quelques heures par jour : force est alors de conclure que les grands peintres et graveurs étaient des hommes plutôt que des femmes. Et ils disposaient sans doute de plus de temps libre que leurs compagnes. Au Paléolithique le plus ancien, les activités féminines étaient sans doute liées au charognage, au dépeçage, à la transformation et au transport des animaux morts. Ces activités ne requièrent pas une force physique particulière et la femme a parfaitement pu y participer. Au Paléolithique supérieur, les femmes ont un rôle actif de cueillette, de collecte et sont donc pourvoyeuses de nourriture. Par ailleurs, la chasse masculine étant rarement fructueuse, ce « complément alimentaire » féminin devait souvent être la seule source de nourriture pour le clan.

En Russie, sur la surface des sols d'habitation (ou plus souvent ensevelies dans des fosses de détritus et en partie brisées), on découvrit nombre de figurines d'ivoire ou de calcaire sculpte. Ces statuettes féminines avaient les mêmes formes opulentes que certaines des Vénus Paléolithiques d'Europe occidentale.
Pour certains, les représentations féminines caractéristiques de cette époque incarnent à la fois le rôle social et économique de la femme, mais aussi son rôle spirituel, comme support iconique d'une idéologie dominée par les femmes-mères, au sein d'une organisation sociale de type matriarcal. Pour eux, l'image de la femme, fixée par les statuettes, montre le rôle important qu'avait la femme-mère dans la communauté du Paléolithique supérieur. Elle représentait à la fois la femme-maîtresse de maison, du foyer et du feu dynamique, et la femme-ancêtre à laquelle se rattache l'idée de la femme gardienne d'une puissance magique capable d'assurer le bon déroulement d'une des principales activités de subsistance, la chasse.

Le mythe du matriarcat primitif peut être un moyen de reléguer le pouvoir des femmes dans un passé perdu, d'inventer une mythologie dont la fonction n'est autre que de cautionner l'état présent des rapports de hiérarchie et de domination des femmes par les hommes. Le matriarcat primitif est maintenant abandonné au profit d'un système matrilinéaire : c'est par la femme que se créé la famille, sans pour autant lui donner un pouvoir hiérarchique ou politique. Les conditions de vie étaient d'une telle dureté, aux temps préhistoriques, que toutes les ressources humaines devaient être utilisées et complémentaires. Cela n'induisait pas forcément un rapport de force entre les individus et les sexes, mais plutôt de la coopération.
Même si l'on se limite aux conceptions traditionnelles qui assignent aux femmes les soins du foyer et des enfants, elles peuvent exercer, dans ce cadre, un certain nombre d'activités, à condition qu'il s'agisse de taches non dangereuses, qui n'exigent pas une grande mobilité, et peuvent être souvent interrompues. De fait, de nombreuses activités répondent à ces critères. Si l'on admet par exemple que les activités de tissage et de filage sont dans beaucoup de cultures le domaine des femmes, il se peut bien que ce soient elles qui aient inventé, il y a quelque 20 000 ans, la corde et l'art du tissage de fibres végétales, dont témoignent les parures et les vêtements qui ornent certaines statuettes paléolithiques : ainsi, la résille qui coiffe la « dame a la capuche » de Brassempouy, le « pagne » de la Vénus de Lespugue, les « ceintures » des Vénus d'ivoire de Kostienki, qui sont peut-être des moyens de portage des bébés. Contrairement aux idées reçues, les femmes préhistoriques ont pu être techniciennes, fabricatrices et utilisatrices d'outils : la gente féminine, moins mobile que les mâles chasseurs, pouvait se consacrer à des ouvrages manuels tels que la fabrication d'outils, d'armes ou le tissage (en fibres végétales).

L'étude des traces de pas dans les grottes ornées et des empreintes de mains positives ou négatives sur leurs parois, les techniques utilisées, ne permettent pas d'exclure que des femmes aient pu participer à l'élaboration des figures rupestres ou des objets de l'art mobilier.
La série des statuettes de Grimaldi, est plus convaincante (la station de Grimaldi près de la frontière française a produit une dizaine de statuettes féminines). Ces figurines sont toutes de petite taille, et certaines comportent un trou en anneau à la partie supérieure qui permet de les porter en pendentifs, tandis que d'autres, terminées en fuseau, pouvaient être tenues dans la main ou fichées en terre. Il pourrait s'agir d'amulettes destinées à protéger la grossesse ou l'accouchement : un usage féminin par excellence, qui ne fait pas intervenir l'idée d'une magie de chasse ou de fécondité, qui ne requiert pas plus la mythologie du matriarcat ou de la « grande Déesse », mais qui met en avant la nécessité pour les femmes de se protéger en un épisode de leur vie lourd d'émotions et de périls. On peut imaginer que ces objets ont pu être fabriqués par des femmes pour leur usage personnel ou pour celui de leurs semblables.
L'idée que l'art rupestre et mobilier préhistorique a pu être réalisé ou utilisé par des femmes trouve d'autres arguments dans le comparatisme ethnographique : chez les Aborigènes australiens, l'art sacré est, en certains lieux et en certaines occasions, réservé aux femmes. Si on admet que l'art paléolithique a pu avoir une fonction rituelle ou spirituelle, certaines images et certains objets étaient peut-être destinés aux femmes ou à l'initiation des adolescentes, plutôt qu'à un usage exclusivement masculin. D'autres analyses ont mis en évidence sur certains sites (par exemple dans le site mésolithique de Lepenski Vir) plusieurs formes artistiques de taille et de facture distinctes qui traduisent peut-être une expression féminine différente de celle des hommes, voire même peut-être opposée à elle. De même, les techniques de fabrication de la poterie pourraient révéler une distribution sexuelle des lieux et des rôles, selon que ces objets sont destinés à un usage domestique ou à des échanges à une échelle plus large, l'importance d'activités de production et de subsistance qui tout au long de la préhistoire pouvaient être pratiquées par des femmes : ainsi, la chasse du petit gibier, la cueillette, la fabrication d'outils de pierre sur éclats, le tissage ou la poterie, la production d'images, figurations gravées ou peintes, de figurines sculptées. On voit alors une femme productive, inventive, artiste ! En parallèle, du point de vue physiologique, les femmes sont les associées sexuelles, les mères de soins et les partenaires sociaux. Le caractère plus ou moins érotique d'une figure nue peut être en grande partie déterminé par le contexte et tel était le cas semble t-il au Paléolithique, en particulier pour les statuettes Gravettiennes. En outre une figuration féminine nue peut fort bien être érotique tout en étant belle et avoir pour les paléolithiques une résonance franche dans l'opposition humain-animal. En effet, la femme dans l'art paléolithique, souvent présente, se veut discrète et n'essaie pas de rivaliser avec les grandes fresques animalières des grottes : elle prend la forme de petites statuettes, de gravures, de bas-reliefs ou de peintures dans les endroits confidentiels des sanctuaires souterrains.


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LES COMMENTAIRES (2)

Par  Collectif Des 12 Singes
posté le 21 août à 12:54
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bonjour, pr information, nous avons synthétisé les sources les plus récentes validées scientifiquement (publication dans des revues sérieuses, dans des dossiers dédiés ou sous forme d'articles/news).pr faire avancer les choses, il serait intéressant de ns mentionner quelles idées vs ne partagez pas et en quoi Duhard contredit nos informations.merci en tt cas de ns avoir lu et critiqué, c'est comme ça qu'on avance

Par peyuco
posté le 05 août à 12:46
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je ne partage pas toutes vos idées et je crains que n'ayez pas lu les bons auteurs, dont : *J.-P. Duhard *(1993). Réalisme de l'image féminine paléolithique. Paris, CNRS, cahiers du quaternaire n° 19. voir aussi dans inlibrovéritas..

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