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Jeux, sexe et maths…

Publié le 11 février 2009 par Boustoune


Jonas, seize ans, est un peu livré à lui-même. Ses parents sont divorcés et sa mère, qui en a la garde, est fréquemment absente. Le jeune garçon s’entraîne dur pour devenir tennisman professionnel. Malheureusement, s’il brille à l’entraînement, il perd tous ses moyens en match. Son coach finit par penser qu’il n’a pas l’étoffe des champions et lui conseille de se concentrer exclusivement sur ses études.
Le problème, c’est que de ce côté-là, c’est encore moins brillant. Il a encore raté ses examens et son école, le jugeant trop âgé par rapport aux autres collégiens de sa classe, refuse de le faire redoubler une fois de plus. Seul horizon, un apprentissage professionnel qui n’emballe pas franchement le jeune homme… A moins que Jonas ne se présente au jury central, le concours qui, en Belgique, permet d’obtenir un diplôme supérieur en dehors de la filière classique. Mais là encore, cela relève du parcours du combattant : réussir le concours requiert une sérieuse préparation et les cours privés qui permettent d’y accéder sont hors de prix.
Un trio d’amis adultes, tous âgés d’une trentaine d’années, se propose de l’aider à passer le concours en candidat libre. C’est l’un d’eux, Pierre, qui se chargera d’enseigner à Jonas les matières nécessaires pour réussir aux examens.
Un acte généreux ? Pas si sûr… Car les trois adultes ont d’autres idées en tête. Non contents d’élever le niveau intellectuel de Jonas, ils ont décidé de parfaire son éducation sexuelle et de l’initier à certaines pratiques érotiques… Une méthode d’enseignement plutôt perverse…

Elève libre, le quatrième long-métrage de Joachim Lafosse, risque de choquer plus d’un spectateur. Non pas à cause de certaines scènes explicites, qui sont filmées avec une certaine pudeur, mais à cause des thèmes abordés, un peu tabous : la perversion de l’innocence, la sexualité des ados, la pédophilie… Mais le réalisateur ne cherche absolument pas à choquer gratuitement. Si tel était le cas, il aurait privilégié la pornographie et l’obscénité plutôt que son approche suggestive. Non, il cherche à faire réfléchir sur les sujets de la transmission du savoir, de l’importance du rôle de l’éducateur - et des bornes qu’il faut fixer à la relation prof/élève -, de la relativité du libre-arbitre et des limites que peut (ou doit) s’imposer chaque individu.

Le cinéaste montre comment Pierre et ses deux camarades tissent patiemment leur toile autour de Jonas. Le jeune homme est naïf, un peu paumé face aux difficultés de la vie, à la peur de l’échec et à la découverte de sa sexualité, et il ne peut même pas s’appuyer sur sa famille, qui le délaisse. Les trois adultes, eux, semblent pleins d’assurance, de maturité et de sérénité. Ils maîtrisent le langage, possèdent le savoir et connaissent les choses de la vie. De quoi forcer l’admiration d’un Jonas en quête de repères et de modèles. Ils le poussent à se livrer à eux sans pudeur, à leur parler de sa vie sexuelle. Ils le mettent en confiance, le rassurent ou le déstabilisent, selon les moments, pour mieux le manipuler. La méthode consiste à le convaincre qu’il y a les gens ordinaires, les « médiocres », ceux qui se fixent des limites, qui ne cherchent pas à voir plus loin que le bout de leur nez, et puis les autres, l’«élite », ceux qui ont tout compris à la vie, qui expérimentent tout dans tous les domaines, y compris – et surtout – l’érotisme. Le jeune homme est d’abord dérouté par les sollicitations de ces adultes qui « ne cherchent qu’à l’aider », mais comme il fait peu à peu d’énormes progrès dans ses études, s’ouvrant à des domaines inconnus, comme la littérature, il finit par penser qu’il ne peut en être autrement en matière de sexualité et s’abandonne aux petits jeux du trio pervers.

Ce qui est intéressant dans le film de Joachim Lafosse, c’est autant la façon dont le piège se referme peu à peu sur l’élève, que la façon dont les trois adultes vont se retrouver pris à leur propre jeu. A partir du moment où ils sont parvenus à leurs fins, rien ne va plus. C’est la débandade – si j’ose m’exprimer ainsi … Ils se croyaient supérieurs, sûrs de leur philosophie de vie défiant toute limite, et probablement persuadé d’être des modèles de tolérance et de liberté. Ils vont découvrir qu’ils sont comme tout le monde, qu’eux aussi ont des tabous et des barrières à ne pas franchir. Le couple se délite brusquement, le désir ayant fini par s’évaporer. On peut raisonnablement supposer que le petit jeu avec Jonas n’a été qu’une façon artificielle de sauver une union qui battait déjà de l’aile, à moins que la jalousie n’ait finit par prendre le pas sur le détachement… Pierre, lui, va céder à ses pulsions animales et s’en retrouver honteux, apeuré, prenant conscience qu’il a franchi un interdit, lui qui pensait ne pas s’en être fixé… Au final, ce sont ces trois trentenaires qui semblent pathétiques, engoncés dans leurs philosophies absurdes, traînant leurs blessures comme des boulets, et capables uniquement de pervertir un plus faible qu’eux. Jonas, lui, en sort plus fort, plus mûr, mieux armé pour affronter la vie.

C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus choquant dans cette histoire : L’acceptation par le jeune homme d’une situation moralement inadmissible, et la mise en place tacite d’un marché entre Pierre et lui, une éducation contre des avantages en nature… En somme, le choix de la perte de l’innocence, voire d’une partie de son humanité pour prendre un meilleur départ dans la vie...
Filmé avec une certaine subtilité et porté par une distribution irréprochable, de Jonas Bloquet, la révélation du film, à Jonathan Zaccaï, troublant et ambigu à souhait, Elève libre aborde des questions complexes, sujettes à débat, et confirme le talent de Joachim Lafosse, qui lentement mais sûrement, s’impose comme l’un des jeunes talents belges à suivre.
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