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Randonnée à la frontière afghane

Publié le 12 février 2009 par Argoul

Une heure et demie de jeep plus tard, nous abordons le village de Bumburat dans la vallée kailash d’à côté. Les hameaux de cette vallée sont plus touristiques, vu le nombre d’hôtels et de guest houses offerts sur des pancartes dans un mauvais anglais. Les enfants sont mieux habillés et mieux tenus (plus boutonnés, par exemple). Ce n’est qu’au camping qui servira à notre nuit que nous pouvons enfin prendre le pique-nique. Il se réduit d’ailleurs à des biscuits, des fruits secs et des beignets à la pâte – qui sont un peu le « sandwich au pain » kailashi.

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Ce n’est que maigrement lestés que nous partons pour une promenade d’après-midi. Karim, notre guide pakistanais à l’anglais fleuri, a pour mission de nous emmener vers la frontière afghane toute proche. Nous partons donc. Sur un muret de pierres au carrefour de chemins, Karim reprend sa voix de conférencier pour nous raconter Alexandre, ses conquêtes, et la lassitude ou la maladie de certains de ses soldats. Ils sont restés ici, dans ces vallées, s’y sont installés et mariés. C’est pourquoi nombre de locaux sont blonds aux yeux verts, et certains enfants ont un vague air grec. Après cet exposé, les choses se compliquent. Nous partons vers un bassin d’élevage de truites puis, plus haut, vers le village où deux maisons sont en construction sur la pente. Au sortir du village, une discussion éclate : où est donc la frontière afghane, promise à une heure de marche à peine ? C’est que les frontières sont perméables et les bornes pas fixées. En fait, nous sommes « en Afghanistan » depuis un moment déjà… Sans le savoir. Je note des expressions imagées qui reviennent souvent dans la bouche de Karim : « sida, sida » veut dire tout droit ; « tika tika », d’accord.

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Au retour de la marche la douche à l’eau de rivière, dans une cabane obscure, est glacée, mais nécessaire. Certains rapportent du vin kailash acheté dans une boutique du village (nombre d’habitants de ces hautes vallées ne sont pas musulmans). Il est produit localement. C’est un vin jeune au goût intermédiaire entre cidre et jus de framboise. Nous sommes à 2240 mètres d’altitude et il fait frais pour l’heure du thé. Le dîner arrive à la nuit tombée, sur la terrasse de la maison qui commande le camping. La soupe est particulièrement épaisse avec pâtes et œufs. Suit une salade crue de chou, pommes, carottes, concombre et sauce mayonnaise. Puis des spaghettis et des gombos (gras et salés). Enfin du mouton coriace noyé dans le ketchup, ce qui ne lui va pas du tout. En dessert, nous avons du melon d’eau. Cette fois, de l’eau a été bouillie, il y a aussi de l’eau chaude et du thé ! Nous nous couchons tôt car le lendemain sera dur ; il faudra se lever dès cinq heures pour le passage du col.

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Ce sont les oiseaux qui nous réveillent en piaillant d’une voix rauque sur les arbres alentours. Les filles du groupe qui ont décidé de coucher dehors, à la belle étoile, ne tardent pas à caqueter de concert, nous forçant à considérer, nous qui sommes sous la tente pour éviter l’humidité, l’idée d’un lever possible. Inutile de se presser : tout le monde s’agite mais le résultat est peu efficace, tous ces citadins doivent passer plus de temps en usant leur salive que nous les habitués. Emergeant de la toile, sac fait et chaussures seulement à enfiler, je contemple le spectacle du désordre : matelas pêle-mêle et sacs ouverts attendant les affaires. Si ces dames sont enfin habillées, sinon maquillées, rien n’est rangé du tout ; et les messieurs errent encore sans savoir par où commencer. Le petit-déjeuner est prévu pour nous bourrer de crêpes molles, de muesli gluant et d’omelette grasse, avec deux sortes de thé aussi fades l’une que l’autre.

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De la terrasse, je préfère regarder les enfants du camp, encore endormis dehors, devant la maison. Ils couchent à trois sous la même couverture, torse nu mais sans quitter le pantalon. Ces garçons ont entre 9 et 12 ans et l’un d’eux est presque blond. Réveillés par notre bruit, encore ensommeillés, ils émergent des tissus, minces et bruns, s’étirant dans l’air frais avant d’enfiler vite fait leur kamiz dont ils laisseront l’encolure béante pour chasser les dernières moiteurs de sommeil. Le soleil se lève aussi, à l’est comme tous les jours, ce qui nous donne ce matin quelque repère. Les pics se découpent dans la brume matinale avant de s’embraser d’or. Les deux chevaux qui paissent habituellement le gazon du camping, et les bêtes du village, cultivent les mouches, qui sont ici petites et agaçantes. Nous les avons autour de nous dès le soleil levé. Quand l’école du matin ouvrira, à sept heures, les petits écoliers auront attaché leur kamiz, certains à l’aide d’une épingle de nourrice, auront vissé leur casquette sur leur tête, et pris leurs cahiers. Nous en dépassons en partant, sur le chemin de l’école vers sept heures moins dix, tous en noir, rajustés sauf quelques irréductibles gavroches qui, par une vigueur particulière ou une indifférence profonde aux apparences, laissent leur gorge découverte jusqu’au sternum.


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