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Des heures supplémentaires à contre emploi

Publié le 16 février 2009 par Juan
Fin janvier, Christine Lagarde a remis un rapport au parlement sur "la mise en oeuvre de l'article 1 de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat relatif aux exonérations de charges sur les heures supplémentaires". Il a failli passer à la trappe. C'eut été dommage. Retour sur une arnaque, alors que le chef de l'Etat rencontre les partenaires sociaux le 18 février.
Travailler plus, pour qui ?
L'UMP, sous la plume de Frédéric Lefebvre, s'était rapidement félicité du pouvoir d'achat supplémentaire pour les foyers les plus modestes que représente ce dispositif: "Le rapport sur les heures supplémentaires montre que le revenu médian des salariés qui ont bénéficié de la mesure (18.149€ annuels tout compris) est inférieur au salaire moyen des Français moyens (18.631€ en 2006 source INSEE, et encore il s’agit d’un salaire moyen, hors prestations sociales et hors revenus du capital)."Effectivement, le bilan de la première année complète du dispositif peut se résumer ainsi :
  • 750 millions d'heures supplémentaires en 2008 auraient bénéficié des exonérations de charges dans le secteur privé (dont 30 millions dans l'agriculture).
  • Le dispositif aurait concerné 5,5 millions de salariés
  • Il coûterait, "en rythme de croisière", 4,4 milliards d'euros au budget de l'Etat (ce dernier compensant les exonérations de cotisations sociales aux régimes de sécurité sociale).
  • Les entreprises qui ont augmenté leur recours aux heures sup depuis octobre 2007, soit 20% des effectifs salariés du secteur privé (hors agriculture), sont essentiellement des PME.
  • Le gain de pouvoir d'achat pour chaque salarié serait de 150 euros par mois.
Une loi nuisible pour l'emploi
A lire le rapport de près, on doit nuancer fortement les cris de victoire de l'UMP et du gouvernement:
1. Les statistiques sont pauvres sur le volume d'heures supplémentaires avant l'entrée en vigueur de cette loi. On ne peut donc pas clamer, comme le fait régulièrement Christine Lagarde, que le nombre d'hueres supplémentaires a augmenté. Au contraire, les estimations existantes émanant d'organismes publics chiffrent à 900 millions d'heures avant 2007. En d'autres termes, le volume d'heures sup' a baissé depuis la mise en oeuvre de la loi. Les salariés du secteur privé ne travaillent pas plus depuis octobre 2007 !
2. Une autre loi, votée en août 2008, est venue briser un autre argument sarkozyste, celui de la liberté de travailler plus dont chaque salarié bénéficierait. La loi du 20 août 2008 "portant sur la rénovation sociale et la réforme du temps de travail", rappelle le rapport, a éliminé la notion d'heures choisies par le salarié (ie celles effectuées par le salarié en accord avec son employeur), en encadrant le contigent d'heures sup' et les contreparties en repos par une négociation au niveau de chaque entreprise (au lieu d'accords collectifs de branches auparavant, 700 environ avant la loi d'août 2008).
3. 44% des entreprises n'utilisent toujours pas ce dispositif, 15 mois après l'entrée en vigueur de la loi. Le nombre d'entreprises du secteur marchant non agricole utilisant la loi TEPA est très stable depuis avril : environ 175 000 chaque mois, pour celles qui font des déclarations mensuelles, et 433 000 pour celles trimestrialisées.
4. Le nombre d'heures sup' défiscalisées est de 10 heures par salarié par mois, un chiffre stable depuis le 1er trimestre 2008.
5. Le nombre de salariés à temps complet bénéficiant d'heures supplémentaires était déjà estimé à 5,5 millions de personnes en 2006 par la DARES, d'après le rapport. Un nombre stable en 2008, estimé sur la base des déclarations de revenus estimés pour 2008.
6. Le gain de pouvoir d'achat estimé à 150 euros par salarié et par mois ne repose que sur les déclarations de revenus 2007. Le député suppléant Frédéric Lefebvre a été trop pressé dans son communiqué le 30 janvier dernier.
7. Le coût des heures supplémentaires tient à leurs exonérations de cotisations salariales, de cotisations patronales (partielles), et d'impôt sur le revenu. Sur la base d'une estimation 2008 de 5,5 millions de salariés concernés et 750 000 millions d'euros supplémentaires, le rapport détaille ainsi le coût, entièrement supporté par l'Etat : 230 M€ de dépenses fiscales, 2,75 milliards d'€ de cotisations salariales en moins;
Enfin, le dernier argument, qui est peut être le principal, revient à tenter de mesurer les effets de cette loi au niveau macro-économique vis-à-vis de l'emploi en général. La crise économique perturbe l'analyse. Le rapport conclue, rapidement (quelques lignes page 18) que ce dispositif "n'induit pas d'effet malthusien des heures supplémentaires de substitution des heures supplémentaires à d'autres formes de travail (CDI, CDD, intérim, etc)." La seule preuve avancée en support de cette affirmation est les 150 000 emplois supplémentaires créés dans le secteur privé entre octobre 2007 et mars 2008. Manque de chance pour les auteurs du rapport, l'emploi intérimaire et le nombre de CDD ont fortement chuté dès le mois suivant, soit en avril 2008 : la fédération patronale de l'intérim a confirmé que "le plongeon est continu depuis mars 2008 et la baisse du travail intérimaire a atteint 14% en octobre sur un an, 22% en novembre, 23% en décembre."
L'économiste Eric Heyer déclarait au Monde que "la loi TEPA vient juste rajouter du chômage au chômage" et qu' "inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu'il n'y a plus d'activité est nuisible à l'emploi."
L'effet sur l'emploi se mesure également en étudiant la taille des entreprises utilisant le dispositif : plus l'entreprise est petite moins le dispositif est utilisé. Ce sont les plus grandes entreprises qui recourent principalement aux heures supplémentaires défiscalisées, celles-là même qui seraient mieux à même d'embaucher compte tenu de leur taille : 35% des entreprises de moins de 10 salariés contre 80% des entreprises de plus de 2000 salariés. Faites le calcul. Une entreprise de 3000 salariés à 10 heures sup mensuelles (moyenne nationale) génère 30 000 heures supplémentaires. A raison de 140 heures de travail par salarié (35 heures X 4 semaines), on abouti à 214 postes équivalent temps plein que l'entreprise économise... Sans commentaire.
Lire aussi :
  • Le baromètre Marianne de l'emploi: 4 millions de chômeurs.
  • Christine Lagarde et le Figaro : flagrant délit de manipulation (Peuples.net)
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