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Séance du 16/02/2009

Publié le 18 février 2009 par Colbox

schopenhauer.1234969194.jpgSchopenhauer

En deçà du principe de plaisir ?
(De la pulsion au désir 5)

“Ce qui suit est spéculation, une spéculation qui remonte bien loin et que chacun, selon ses dispositions, personnelles, prendra ou non en considération. C’est aussi une tentative pour exploiter de façon conséquente une idée, avec la curiosité de voir où cela menait”
“Je ne suis pas moi-même convaincu et je ne demande pas aux autres d’y croire. Ou plus exactement : je ne sais pas dans qu’elle mesure j’y crois”
“Nous tenterons ainsi de résoudre l’énigme de la vie”

Il y a plusieurs façons de lire “l’au-delà du principe de plaisir”. Le titre en lui-même tel que Freud l’abrège dans sa correspondance ; “L’au-delà”, indique un dessein particulier à ce texte, une portée universelle, philosophique, voire théologique si Freud ne mettait pas en garde : “Je ne demande pas aux autres d’y croire”

En première lecture, une envolée philosophique de Freud à la recherche de la pierre philosophale, “l’énigme de la vie”, autrement dit, une extension de la psychanalyse en dehors du simple champ médical, en dehors du seul traitement de ce qu’il appelait les psychonévroses : il s’agit d’établir une théorie générale et universelle de la pulsion qui rendrait compte de tout être vivant. Rien moins que ça (ça ?).
Et de convoquer la philosophie, de Platon à Schopenhauer, mais aussi les sciences les plus abouties de son époque, Darwin, mais aussi Weismann et Hartann, scientifiques allemands qui avaient quelques influences en leur temps.
Une sorte de philosophie scientifique en quelque sorte, comme une 3ème voie entre les conceptions purement religieuses ou fondamentalement scientistes qui dominaient déjà les débats intellectuels.
Remarquons que le même phénomène se produira avec Jacques Lacan, dans le sens où les mathématiques vont venir prendre la place du biologique chez Freud : chaque époque a ses sciences de prédilection.
Pour Freud, comme pour Lacan, il me semble qu’il s’agit toujours de se tenir sur ce chemin de crête entre raisonnement scientifique et intuition mystique, entre l’ordre symbolique et l’idéal imaginaire, afin d’aborder au plus près le réel. En tant que la pulsion est précisément le représentant de ce réel dans la vie psychique de tout être parlant.

Si l’on se replace dans le contexte historique de l’élaboration de ce texte, écrit en 1919, publié en 1920, nous nous trouvons plongés au cœur même des affres de l’effroyable 1ère guerre mondiale. Comment ne pas faire le lien avec la conceptualisation de la pulsion de mort ?
Freud est alors aux prises avec d’importantes difficultés financières, il est profondément affecté par l’absence de ses 2 fils envoyés au front, et il s’affronte aux somaticiens pour faire valoir l’origine psychique des névroses de guerre. Coïncidence, l’enfant à la bobine à l’origine de ce jeu du “Fort-Da”, fut observé par Freud en 1915 à Berlin, chez sa “fille préférée”, Sophie, qui mourra de l’épidémie de grippe… en 1919.
C’est ainsi qu’en rend compte Fritz Wittels , le premier biographe de Freud, malgré les démentis de ce dernier : “Soit, en toute chose, non seulement une pulsion de vie, mais aussi une pulsion de mort. Lorsque Freud communique cette découverte, il est sous le coup d’une profonde émotion : il a perdu sa fille chérie, en plein épanouissement, après avoir longtemps tremblé pour ses proches qui se battent au front”.

D’un autre point de vue, si l’on considère l’ensemble de l’œuvre freudienne, “L’au-delà” apparaît comme le premier élément d’un triptyque, ou plus exactement d’une trilogie, avec “Psychologie collective et analyse du moi”, paru en 1921 et “Le moi et le ça” en 1923. C’est en quelque sorte le premier volet de la seconde topique, Moi/Ca/Surmoi, qui vient remplacer les hypothèses antérieures Conscient/Préconscient/Inconscient. Des prémisses qu ‘il formule ainsi : “Nous échapperons à l’obscurité en opposant non pas le conscient et l’inconscient, mais le moi, avec sa cohésion, et le refoulé”. A son grand étonnement, “L’au-delà” eut un certain succès : “En ce qui concerne l’au-delà- écrit-il à Etington en mars 1921 , j’ai été assez puni : c’est très populaire, et me vaut une quantité de lettres et d’éloges. J’ai du commettre une grosse bêtise”
Ce succès en librairie diffère radicalement de la réception de “L’au-delà” auprès de ses disciples. Ce sont là les permisses de la rupture fondamentale entre Freud et ce que l’on appelle les “freudiens orthodoxes” Ceux-là mêmes qui s’arrêtent aux écrits antérieurs à 1920, à la 2ème topique, ceux-là même qui théoriseront “l’Ego psychology” que combattra en son temps Jacques Lacan.
Il faut savoir que la pulsion de mort, en particulier, n’a pas bonne presse auprès de nombreux psychanalystes qui se disent freudiens. Depuis maintenant près d’un siècle, ils n’ont de cesse que de réduire la pulsion de mort à une sorte de pulsion d’agressivité, pulsion partielle parmi d’autres.

Mais force est de constater, qu’encore une fois, à plus de 60 ans, Freud n’hésite pas à remettre en cause les fondements mêmes de la science qu’il a créée, qu’on le suive ou pas. Parce que pour lui, il s’agit avant tout et toujours, de partir de la clinique. L’expérience de la cure, de la clinique, prime avant tout, c’est à dire avant le savoir théorique, et il le rappelle constamment : sa seule légitimité, il la tient de ses analysants : l’analyste n’apprend que de ses analysants, et c’est bien là le fondement même de l’analyse : aucun savoir constitué, serait-il universitaire, ne pourrait décrypter le dire de l’analysant. Parce que ce n’est pas dans le savoir que cela joue, mais dans le transfert.

Avec “L’au-delà”, Freud nous invite à franchir un “3ème pas” dans la théorisation de la pulsion, un pas topologique qui ne s’oppose pas pour autant aux conceptions antérieures qui relevaient alors essentiellement d’un point de vue économique : ” On est cependant en droit de dire qu’il n’y avait rien qui soit aujourd’hui à rejeter, dans l’ancienne formule, la psychonévrose repose sur un conflit entre les pulsions du moi et les pulsions sexuelles. Il s’agit seulement de caractériser d’une autre façon, à savoir du point de vue topique, la distinction des 2 sortes de pulsions, qu’on tenait à l’origine pour une différence qualitative”
Le point de vue économique, c’est la prévalence dans le fonctionnement psychique du principe de plaisir, qui tend constamment à la réduction des tensions, sur le modèle du principe de constance de Fechner. Gustav Fechner (1801-1887) est l’inventeur de la psychophysique, dont l’ouvrage éponyme paru en 1860. Il s’agissait d’établir une science permettant de mesurer de façon objective les phénomènes d’ordre psychologique. C’est l’ancêtre de la psychologie expérimentale.
Mais le principe de plaisir n’est pas isolé, il est relayé, cadré par le principe de réalité sous l’influence des pulsions d’autoconservation du moi. C’est ainsi que la satisfaction de la pulsion, c’est à dire, la neutralisation de l’excitation interne, peut être différée, inhibée, détournée, …
Bien plus, certaines pulsions se trouvent incompatibles avec l’intégrité du moi, elles font l’objet du refoulement : où l’on retrouve le conflit pulsionnel entre le moi et la libido. Cette partie clivée, refoulée du psychisme parvient quand même à se satisfaire par des voies détournées, celles des formations de l’inconscient, et en premier lieu dans le symptôme névrotique. La pulsion refoulée se trouve dès lors à se satisfaire alors même qu’elle procure une sensation de déplaisir.
L’expérience de satisfaction de la pulsion refoulée consiste donc en une expérience d’insatisfaction, en contradiction apparente avec le principe de plaisir. S’en suit une nouvelle conception du psychisme, une description topologique, qui n’oppose plus le conscient à l’inconscient, mais qui délimite les frontières du moi et le lieu du refoulé. Ce sont là les prémisses de la seconde topique qui sera développée dans “Le moi et le ça”.
Ainsi dans la névrose traumatique, le vécu traumatique refoulé ne cesse de faire retour dans les rêves au grand désespoir du malade. C’est le refoulé qui est à l’origine de cette compulsion de répétition qui semble contrevenir à la prévalence du principe de plaisir dans le fonctionnement psychique.

La compulsion de répétition ne se repère pas que dans le champ psychopathologique, elle est aussi bien à l’œuvre dans le jeu de la bobine de l’enfant, et elle se manifeste au cours de l’expérience analytique : “Le malade ne peut pas se souvenir de tout ce qui est en lui refoulé, et peut-être précisément pas de l’essentiel (…) Il est bien plutôt obligé de répéter le refoulé comme vécu dans le présent au lieu de se le remémorer comme un fragment du passé”
“En fin de compte –dira Lacan - c’est le fait massif de la reproduction dans le transfert qui lui impose la décision d’admettre comme telle la compulsion de répétition”

Freud effectue alors un retour à Freud, au Freud des origines, au temps de son travail avec Breuer sur l’hystérie en 1895 (25 ans plus tôt) Le refoulé obéit au processus primaire, il se comporte comme de l’énergie libre, en attente de liaison avec le psychisme du moi. D’où son incessant et insistant retour dans les formations de l’inconscient (rêves, symptômes, etc.) Ce n’est que dans un second temps, à la faveur du travail psychique ainsi sollicité, que cette énergie pourra éventuellement se lier, s’intégrer à la cohérence du moi et se soumettre au principe de plaisir –complété par le principe de réalité.
C’est pourquoi la compulsion de répétition apparaît comme “plus originaire, plus élémentaire et plus pulsionnelle que le principe de plaisir qu’il met à l’écart” Elle est emblématique du fonctionnement pulsionnel. L’excitation interne peut être inhérente à l’organisme vivant, être entrée par effraction du pare-excitation dans le cas du traumatisme, ou s’originer des motions pulsionnelles refoulées : c’est de l’énergie libre qui ne cesse de solliciter le travail du psychisme afin de se lier, de se conformer à la cohérence du moi. C’est en quoi la compulsion de répétition n’est pas antagoniste du principe de plaisir, elle lui est plus originelle, plus archaïque.
Bien mieux, elle manifeste cette propension immuable du vivant à se débarrasser de tout ce qui vient perturber sa quiétude, c’est le principe du Nirvana. En ce sens, les pulsions apparaissent comme éminemment conservatrices, leur but ultime étant le retour à l’inanimé, à l’absence totale d’excitation : “Une pulsion serait une poussée inhérente à l’organisme vivant vers le rétablissement d’un état antérieur (…) elle serait une sorte d’élasticité organique ou, si l’on veut, l’expérience de l’inertie de la vie organique”

Alors, ce n’est pas au-delà, mais en deçà du principe de plaisir que se situe cette énergie pulsionnelle primordiale, qui s’oppose à la libido, qu’elle soit moïque ou sexuelle : Freud la nomme pulsion de mort. C’est un véritable retournement épistémologique pour le médecin qu’était Freud, la mort n’est plus l’échec du vivant, mais la source même de la vie à laquelle le vivant ne cesse de vouloir retourner. “La mort est le but de la vie” avait écrit Schopenhauer (1788-1860) bien avant Freud.
Nous avons alors affaire à un nouveau dualisme pulsionnel, qui ne contredit pas pour autant le conflit entre pulsions du moi et pulsions sexuelles, à l’origine du symptôme névrotique. Si la compulsion de répétition permet d’envisager l’hypothèse d’une pulsion de mort, les pulsions libidinales, elles, relèvent alors d’une pulsion de vie.
Freud s’embrouille un peu pour trouver la place des pulsions d’autoconservation du moi. En définitive, et ce sera un peu plus clair dans les textes ultérieurs, Eros, la pulsion de vie, s’identifie à la libido, qu’elle soit moïque ou sexuelle, et la pulsion de mort se manifeste essentiellement par la compulsion de répétition.
La pulsion de vie fait lien, elle unit le moi et l’objet, les êtres sexués entre-eux, elle est à l’origine de la socialité. D’une certaine façon, elle dissipe l’excitation en la propageant, en la diluant dans des ensembles toujours plus grands.
La pulsion de mort, elle, vise à séparer, à détruire, à disjoindre. En quelque sorte, le but ultime de la pulsion de mort est la destruction de la source d’excitation, du vivant même.
Eros et Thanatos sont étroitement intriqués, jamais l’une sans l’autre ; même si certaines situations cliniques peuvent faire penser à une désintrication possible des 2 pulsions (mélancolie, passage à l’acte, etc.)

Par la suite, Freud ne reviendra pas sur sa “spéculation” toute philosophique, malgré l’hostilité de la plupart de ses disciples. Le dualisme pulsionnel reste pour lui la pierre angulaire de la théorie philosophique, et avec l’intrication d’Eros et de Thanatos, il fait un saut quantique, de la psychopathologie aux fondements même du vivant.

Je terminerais par une intervention de Jean Laplanche au 1er congrès de la Fondation Européenne de psychanalyse à Marseille en 1984 . Il se réfère à une conception unifiée et sexuelle de l’énergie pulsionnelle : “la pulsion sexuelle est la seule vraie pulsion”. Néanmoins, il oppose les pulsions sexuelles de vie aux pulsions sexuelles de mort du point de vue de “leur mode de fonctionnement énergétique, de leur but, de leur rapport au moi et de leur objet source.
Les pulsions sexuelles de vie fonctionnent selon le principe de l’énergie liée (principe de constance) ; leur but est la synthèse, le maintien ou la constitution d’unités et de liens ; elles sont conformes au moi ; leur objet-source est un objet total régulateur.
Les pulsions sexuelles de mort fonctionnent selon le principe de l’énergie libre (principe du zéro) ; leur but est la décharge pulsionnelle totale au prix de l’anéantissement de l’objet ; elles sont hostiles au moi qu’elles tendent à déstabiliser ; leur objet-source est un aspect clivé, unilatéral, un indice d’objet”

Christian Colbeaux (16/02/09)


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