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Poètes désespérés…

Publié le 24 août 2007 par Lawrence Desrosiers
Poésie derrière les barreaux, à Guantanamo.
Recueillis par un juriste américain, les poèmes écrits par certains détenus de la base américaine de Cuba, et qui ont échappé à la censure, vont être publiés aux Etats-Unis.
Sur un gobelet en Styrofoam [plastique en polystyrène], on a gravé les mots d'un célèbre poète pakistanais avec un galet. Puis, sous le nez des gardiens de la prison de Guantanamo, ces vers sont passés de cellule en cellule. Quand les gardiens ont découvert ce qui se passait, ils ont détruit les gobelets et les ont jetés, craignant que ce ne soit une manière de transmettre des messages codés.
Des fragments de ces « poèmes sur gobelet » ont survécu, et on peut les retrouver dans une anthologie de 84 pages intitulée « Poèmes pour Guantanamo : les prisonniers parlent », qui devrait être publiée cette année chez University of Iowa Press. Ces vers constituent un témoignage poignant des souffrances et du désespoir des détenus de Guantanamo, dont seulement deux ont été officiellement inculpés.
Les poèmes ont été découverts par Marc Falkoff, professeur de droit américain titulaire d'un doctorat de littérature. Représentant dix-sept détenus yéménites, il s'est rendu à dix reprises à Guantanamo. Il a dédicacé l'ouvrage ainsi : « À mes amis derrière les barbelés ». Pendant l'été 2005, ses clients lui ont fait parvenir deux poèmes. Rédigés en arabe, ils avaient été intégrés dans la correspondance que les détenus sont autorisés à envoyer. Les communications avec les prisonniers étant considérées comme une menace potentielle pour la sécurité nationale, tout – lettres, comptes rendus d'entretien, documents légaux – doit être scellé et soumis à l'analyse d'une unité du renseignement américain. Considérés comme un risque potentiel, les deux poèmes sont restés classifiés jusqu'à ce jour.
Le professeur Falkoff a contacté d'autres avocats et s'est ainsi aperçu que plusieurs d'entre eux avaient également reçu des poèmes de leurs clients. D'autres détenus, comme Moazzam Beg et Martin Mubanga, deux citoyens britanniques qui ont été libérés, ont écrit des poèmes pendant leur incarcération et les ont emportés avec eux quand ils ont été libérés.
Mais au camp, la censure est toujours totale. Aux yeux de l'armée américaine, « la poésie représente un risque particulier ». On craint, disent certains officiers, qu'une image allégorique en poésie serve à transmettre des messages codés à des militants à l'extérieur.
Les réflexions des prisonniers sont jugées si dangereuses par les militaires de Washington qu'ils n'ont droit ni à du papier ni à un crayon. Ils ne bénéficient que de rares périodes d'une dizaine de minutes pendant laquelle ils peuvent écrire à leurs familles par l'intermédiaire de la Croix-Rouge internationale. Même alors, leurs textes sont sévèrement censurés.
Les « poèmes sur gobelet » de Guantanamo parlent de l'étrange absence de fleurs au printemps, des bracelets des jeunes femmes et des menottes des militants. Le poète Abdurraheem Muslim Dost a gardé en mémoire quelques fragments de ses œuvres après sa libération, mais il a perdu des milliers de vers qu'il avait composés en cellule. Dost, universitaire religieux, poète et journaliste respecté, auteur de près de vingt livres jusqu'à son arrestation, en 2001, a passé près de trois ans avec son frère à Guantanamo. Renvoyés chez eux il y a deux ans, les deux frères ont été interceptés par les services spéciaux pakistanais. Ils ont disparu, et depuis, personne n'en a entendu parler.
Aami Al-Haj, ressortissant soudanais, était journaliste et couvrait la guerre en Afghanistan pour la chaîne Al-Jazira quand il a été arrêté, en 2001. L'armée américaine l'a accusé de servir de relais financiers aux rebelles tchétchènes et d'avoir aidé Al-Qaida, sans avancer de preuves à l'appui de ces affirmations. « Quand j'ai entendu roucouler les pigeons dans les arbres/des larmes brûlantes m'ont baigné le visage », a-t-il écrit depuis sa prison. « Ils ont des monuments dédiés à la liberté, ce qui est beau et bon. Mais je leur ai dit que/L'architecture n'est pas la justice ».
Leonard Doyle
The Independent
P.-S. : Je me suis intéressé à ce texte pour une raison; la poésie est un langage universel et indestructible. Il y a toujours quelqu'un quelque part, qui s'y intéresse. On en a la preuve ici.
Lo x

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