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Malheureux qui comme Elias…

Publié le 21 février 2009 par Boustoune


Eden à l'ouest - 2En d’autres temps, le personnage du nouveau film de Costa-Gavras aurait pu s’appeler Ulysse et se lancer dans un voyage peuplé de créatures mythiques et fantastiques. Mais il s’appelle Elias et si, tel le héros d’Homère, il entreprend une longue Odyssée, celle-ci est profondément inscrite dans le réalisme social et la dureté de nos sociétés contemporaines.
Eden à l’ouest raconte le périple d’un homme décidé à quitter son pays pour tenter sa chance en occident, où la vie est forcément plus belle. Sa nationalité est inconnue. Le cinéaste a tenu à ce que le personnage ait un côté universel, afin de représenter tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ont un dû un jour s’expatrier. En confiant le rôle principal à l’acteur italien Riccardo Scamarcio, il a choisi un homme ayant à la fois les yeux clairs et la peau mate, regroupant des caractéristiques empruntées à toutes les cultures méditerranéennes. Quant à la langue parlée par ces immigrés, elle a été inventée par Gavras et son coscénariste, Jean-Claude Grumberg, en inversant des mots de français et en les modifiant quelque peu…
Eden à l'ouest - 7Tout commence en mer Egée. Des migrants sont menés d’un petit canot au bateau supposé les conduire en Occident. Ils sont tenus d’abandonner toute trace de leur ancienne identité, en jetant leurs passeports dans la mer. Dorénavant, ils sont sans papiers, des clandestins. Et pour gagner ce « privilège », encore faut-il se délester de quelques papiers supplémentaires, des billets de banque… Et cette somme rondelette ne garantit même pas une arrivée à bon port, puisque dès que la police côtière repère l’embarcation, l’équipage se fait la malle sur l’unique canot de secours, abandonnant les clandestins à leur triste sort…
N’écoutant que leur courage, Elias et quelques autres plongent et tentent de gagner les côtes à la nage. Ils ont fait trop de chemin pour renoncer, et trop de sacrifices pour revenir en arrière. Au bord de l’épuisement, Elias parvient quand même à gagner le littoral. Quand il se réveille, une jolie brune, nue de la tête aux pieds, lui demande de lui lancer le ballon tombé à ses pieds. Il est sur la plage nudiste d’un hôtel de luxe, vraisemblablement situé en Italie, l’hôtel Eden. Le Paradis ? Pas vraiment… La police a encerclé l’hôtel afin de récupérer les clandestins ayant sauté du bateau, et la direction de l’hôtel organise ses propres battues, avec l’aide de clients friqués trop heureux de pouvoir participer à ces excitantes patrouilles miliciennes. Pour s’en sortir, Elias, qui ne parle que sa langue natale et quelques mots de français, doit se faire passer pour un des employés de l’hôtel.
Malheureux qui comme Elias…
Au cours de ce séjour dans l’établissement quatre étoiles, puis de son périple vers Paris, la ville lumière, capitale du « pays des droits de l’homme », il va faire de nombreuses rencontres qui vont sérieusement ébranler le mythe d’un occident dit « développé », mais finalement complètement « à l’ouest », déboussolé : personnages hautains, pourris par l’argent ou par le vice, esclavagistes modernes, paumés arnaquant ceux qui sont encore plus faibles qu’eux, âmes solitaires à la recherche d’un peu de réconfort… Autant de symboles d’une société en train de faire naufrage (ce n’est pas un hasard si l’eau est omniprésente dans le récit, sous forme de pluie battante et d’inondations dantesques…)
Ici, pas de cyclopes, juste des personnages aveuglés par leur propre bêtise, pas de Calypso, juste une bourgeoise solitaire en quête d’un peu d’amour, pas de Lotophages, mais une femme et son enfant cherchant à retenir celui qui pourrait les aider, pas de Circé, mais un illusionniste qui,, en coulisses, n’a rien de magique. Les sirènes sont juste celles des bateaux de police et la descente aux enfers, si elle est bien réelle, se fait au sens figuré, par le biais du séjour d’Elias dans des centres d’accueil de SDF. Et au bout du voyage, les Champs-Elysées. Pas le lieu où les héros trouvaient la paix dans la mythologie grecque, non… L’avenue parisienne, qui se transforme plutôt en impasse pour le héros de cette odyssée moderne.
Malheureux qui comme Elias…
Malgré des références ludiques à l’œuvre d’Homère, l’œuvre est d’un réalisme cru qui rappelle moins l’épopée du guerrier grec que celle de Stavros, le personnage central d’America America. Un film signé Elia (sans ‘s’) Kazan, également réalisateur de… A l’est d’Eden. Gavras et Kazan ont connu des trajectoires assez similaires, deux immigrés grecs ayant réussi à s’imposer comme de grands réalisateurs au sein des cinématographies occidentales. Costa Gavras rend ici hommage à son aîné, en adoptant un schéma narratif proche d’America America – le parcours chaotique et initiatique d’un migrant vers un ailleurs pas forcément idyllique, mais plein de promesses pour qui sait s’adapter au système.
La comparaison s’arrête là. Les styles des deux auteurs sont très différents, et Eden à l’ouest n’a malheureusement pas la densité dramatique du film de Kazan. On a un peu l’impression que Costa-Gavras a hésité à jouer pleinement la carte de l’ironie et de la farce grinçante. Du coup, le côté picaresque de son récit n’est pas forcément perceptible par tout le monde, et certaines scènes tombent complètement à plat, comme la rencontre un peu « cliché » entre Elias et une bourgeoise parisienne généreuse, qui lui offre des vêtements neufs ou l’étrange scène finale.
Le film n’est cependant pas dénué de qualités, loin de là. A commencer par le jeu impeccable des comédiens. Riccardo Scamarcio, déjà remarqué dans Mon frère est fils unique, Romanzo criminale ou Nos meilleures années, est parfait dans ce rôle de Candide des temps modernes, témoin de la décadence de notre société. A ses côtés, on note de belles performances d’Eric Caravaca, Ulrich Tukur ou de Juliane Köhler.
Eden à l'ouest - 5
Impossible également, de ne pas adhérer au discours humaniste de Costa-Gavras, qui dénonce au passage certaines injustices comme cette exploitation scandaleuse de la détresse et la crédulité des immigrés, travaillant pour un salaire de misère en échange d’une bouchée de pain, d’un hébergement de fortune et de la promesse d’un hypothétique permis de séjour.
Au moment où se durcissent les conditions d’accueil des immigrés sur notre territoire, et où de nombreux travailleurs sont toujours privés de papiers, vivant dans la crainte permanente d’une expulsion, le film a le mérite de remettre l’humain au cœur des débats.
Eden à l’ouest
n’est peut-être pas l’œuvre la plus aboutie de Costa-Gavras, mais c’est assurément un film sincère, engagé et utile.
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Eden à l'ouest
  

Tags : Eden à l'ouest, Costa-Gavras, Riccardo Scamarcio, Elia Kazan, Homère, Ulysse, immigration, voyage initiatique, occident

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