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Guadeloupe : le syndrome des histoires parallèles

Publié le 22 février 2009 par Dangelsteph
Comment une situation en apparence des plus classiques -un mouvement social contre la vie chère dans un département d’outre-mer, pour simplifier- a-t-elle pu embarrasser le gouvernement et le chef de l’Etat au point de laisser le conflit frôler l’insurrection ?

On avait connu Nicolas Sarkozy plus loquace, incisif et piquant même dans des situations qui ne s’y prêtaient pas. C’est sa marque de fabrique, ou sa marque fabriquée -difficile chez un homme politique de cerner précisément la partie « homme » et la partie « politique »…

Et puis là, des semaines de conflit en Guadeloupe, au cours desquelles on n’entend que son silence. Un passage à la télé sur les problèmes des Français, et pas un mot sur l’escalade qui se joue alors à l’autre bout du monde certes, mais en France tout de même.

Ce n’est pas que notre président adepte du storytelling (l’art de raconter des histoires pour convaincre) ait décidé de changer de style : il continue de construire et raconter les différentes facettes de son histoire -le pan Carla, le pan rupture, le pan défense des victimes (des grèves, de la crise, des privilégiés de ceci et de cela…).



C’est en fait beaucoup plus inquiétant.


Ce sont deux histoires parallèles qui sont vécues : celle de la Guadeloupe et des autres territoires des Antilles, que les habitants vivent tous seuls, et celle que Nicolas Sarkozy entend vivre avec les habitants de la métropole. Ce n’est pas la même et c’est parce que le gouvernement et le chef de l’Etat n’en ont pas tenu compte que la situation s’est envenimée. Que se passe t-il aujourd’hui lorsqu’éclate un conflit social en France ? La stratégie -qui d’un point de vue stratégique est cohérente- vise à opposer le silence et l’intransigeance, ce dernier point étant un élément clé de l’histoire de la nouvelle France voulue par Nicolas Sarkozy. Au besoin, on y ajoute un zeste de dialectique, en opposant les « râleurs » à tous ceux qui n’ont pas le privilège de pouvoir râler.

C’est également cela que l’on a voulu calquer sur le cas de la Guadeloupe : le rappel d’Yves Jégo, surpris en pleine négociation et sur le point d’accepter les revendications des grévistes est symptomatique.


On a voulu voir dans ce conflit, un conflit de même nature qu’un conflit métropolitain ; et en même temps on a omis de tenir compte du contexte : ce n’était pas qu’une histoire de pouvoir d’achat que racontaient les Guadeloupéens, mais aussi toute l’influence du passé, de l’Histoire sur la structuration de leur vie d’aujourd’hui.

On ne peut pas calquer une histoire globale dans un environnement dont le contexte et l’auditoire réclament une histoire spécifique. L’histoire de la France sarkozyenne n’est pas plus à prendre en bloc ou à laisser qu’une autre : comme n’importe quel récit, elle doit laisser à ses auditeurs une place dans cette histoire, un espace qui leur permette de faire la synthèse entre leurs spécificités et celles du chef de l’Etat.


Simpliste ? Non, mais pas si compliqué à mettre en œuvre que cela : renvoyer en Guadeloupe un Yves Jégo porteur des nouvelles annoncées hier, recevoir le LKP à l’Elysée comme on le fait avec les syndicats métropolitains en cas de conflit auraient été des épisodes de l’histoire autrement plus efficaces que l’annonce tardive de quelque 600 millions d’euros d’aide aux Antilles.

Il est maintenant trop tard, l'occasion est passée : ce n'est pas aux 3/4 d'un film que l'on change le scénario, surtout quand on n'est même pas d'accord sur la nature du film : documentaire reflet de la vie réelle pour les Antillais, fiction pour le gouvernement et, reconnaissons-le, une bonne partie des métropolitains.


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